Cette première étape vers la réforme du système de compensation montre toute la complexité et la délicatesse de ce dossier. Un dossier dont le caractère socio-économique reste actuellement emprisonné dans le jeu politique. L'indexation des prix des carburants continue de faire débat. Après les atermoiements des premiers jours liés à la communication défaillante du gouvernement, c'est la pertinence de cette mesure que certains décrient. Fallait-il procéder à cette indexation partielle ? L'analyse stricto sensu des indicateurs macroéconomiques du Maroc, et particulièrement du déficit public, pousse, indubitablement, à répondre par l'affirmative. A fin août 2013, le déficit budgétaire s'est établi à 39,4 milliards de dirhams contre 34,2 milliards un an auparavant, malgré un repli de 19% des charges de compensation. Cette mesure devrait donc permettre d'atténuer le creusement du déficit, que la Banque centrale situe aux alentours de 5,5% du PIB à fin décembre 2013, contre 7,3% du PIB en 2012, avec des charges de compensation qui avaient atteint quasiment 55 Mds de DH. De ce point de vue, beaucoup estiment que la démarche du gouvernement Benkiran est largement justifiée, quand bien même l'indexation partielle, entrée en vigueur depuis le 16 septembre dernier, a conduit à une hausse des prix à la pompe de 0,69 dirhams pour le gasoil et 0,59 dirhams pour l'essence. Une mesure courageuse dans un contexte où son action, dans sa globalité, reste largement décriée ? A l'évidence oui. Car, le gouvernement ne peut s'ériger en simple spectateur à un moment où les finances publiques partent en vrille. Comme le rappelle Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication et Porte-parole du gouvernement, la non-application de l'indexation avait coûté, l'année dernière, 24 milliards de dirhams au budget de l'Etat. Il fallait donc une mesure ponctuelle, à effet immédiat. Quitte à entamer le porte-monnaie des citoyens. Et forcément, après la hausse des prix du lait décidée unilatéralement par les producteurs l'été dernier, et avalisée en fin de compte par le gouvernement, il semblait évident que cette disposition allait faire jaser. Surtout au sein de l'opposition. Pourtant, même avec une mémoire qui s'use avec le temps, il ne faut pas oublier que le gouvernement actuel n'est que l'héritier d'un dossier qu'aucun de ses prédécesseurs n'a voulu affronter de front : la réforme du système de compensation, dont l'indexation partielle décidée actuellement n'est qu'un jalon. Aucun gouvernement, malgré les discours cosmétiques et les promesses de circonstance pré-électoraux, n'a eu le courage politique de s'y attaquer franchement, au risque d'être impopulaire. Reconnaissons donc au Chef de gouvernement, Abdel-Ilah Benkiran, le fait d'essayer. Malgré les maladresses et même s'il met sérieusement sa législature en danger. D'ailleurs, avait-il réellement le choix ? Pas vraiment. Car, hormis l'état alarmant des finances publiques, la réforme du système actuel de subvention est l'une des exigences du Fonds monétaire international qui a déroulé le tapis rouge au Maroc en lui ouvrant une ligne de précaution et de liquidité (LPL) d'un montant de 6,2 milliards de dollars. Les détracteurs de Benkiran lui reprochent justement, entre autres choses, d'être sous l'«influence» ou encore «sous la tutelle» du FMI. Peut-être. Mais s'affranchir du FMI, c'est aussi accepter de s'affranchir de ses sous et de sa caution. D'autant que la marque de confiance du FMI en l'économie nationale, à travers cette LPL, joue en faveur des sorties du Maroc sur les marchés internationaux. L'opposition en première ligne Par ailleurs, pour certains, il y a d'autres pistes à exploiter pour résorber le déficit des finances publiques, notamment la lutte contre l'informel, la hausse de la TVA sur les produits de luxe ou encore l'impôt sur la fortune... Autrement dit, élargir l'assiette fiscale. Des propositions qui peuvent être jugées recevables, mais qui devront être forcément introduites et discutées dans le cadre du projet de la Loi de Finances 2014. C'est certainement ce passage à la LF 2014, avec ce que cela va impliquer en termes de discussions, négociations et amendements, que le gouvernement a voulu éviter en optant pour l'indexation partielle. «On adopte la mesure, et on discute après, parce qu'on n'a pas le temps de papoter», semble avoir dit Benkiran. Et c'est ce qui s'est fait : l'indexation est entrée en vigueur, malgré les cris d'orfraie lancés par l'opposition. Une opposition qui semble se délecter de cette situation. En bons frondeurs, l'USFP et le Parti de l'Istiqlal n'hésitent pas à battre le macadam pour signifier leur mécontentement par rapport à la politique gouvernementale en général, et à l'indexation partielle en particulier. Et la conjoncture économique actuelle leur donnera encore plus du grain à moudre, d'autant qu'au regard des tensions géopolitiques ambiantes qui règnent sur la scène internationale, les cours du pétrole pourraient repartir à la hausse et être encore une fois répercutés sur les prix à la pompe. En tout cas, avec le recul, il semble de plus en plus que la raison économique, qui semble avoir motivé l'indexation, se heurte frontalement au jeu politique. En cela, en ayant appelé à manifester le 22 septembre dernier, le PI, qui vient juste de coulisser dans l'opposition, a clairement mis sa djellaba d'opposant, même s'il continue à fricoter avec le pouvoir en place, d'autant qu'il compte toujours quatre ministres (démissionnaires certes) au sein du gouvernement. L'USFP, tout autant, a promis de lui emboîter le pas prochainement. Oppositions légitimes ou volonté d'avoir une certaine légitimité d'opposants en vue des municipales de l'année prochaine ? C'est à voir. En tout cas, dans ce capharnaüm politico-économico-social, il y a deux choses essentielles à retenir et une question à se poser : -Primo : Si l'indexation était tombée à un moment où les cours du pétrole étaient dans un trend baissier, avec donc comme conséquence une diminution des prix à la pompe, la mesure n'aurait pas suscité autant de vagues et aurait été mieux acceptée. En clair, le timing a joué en la défaveur du gouvernement. -Secundo : Le gouvernement devait aller au bout de sa logique budgétaire en s'abstenant de redistribuer aux taxis et transporteurs, à travers des mesures compensatoires, ce qu'il a économisé grâce à l'indexation. -Tertio : Ceux qui s'agitent actuellement dans l'opposition ont été au pouvoir : qu'ont-ils fait pour faire face à la perversité du système de subvention ?