Elle nous pétrifie, cette musique sensuelle et très attachante. Essaouira transe, Mogador chavire. Gnaoua a retrouvé sa partenaire souirie et n'a plus l'intention de desserrer son étreinte. «Alla a Soudane» de Moktar Gania & Gnawa Soul en est la formule magique.
Fils du grand maâlem Boubker, frère de feu Mahmoud et petit-fils du feu gnaoui Ba Massoud, Moktar Gania est (re)devenu une star; les enceintes – aujourd'hui – résonnent au son d'Alla a Soudane. Un son réarrangé avec Yacine Ben Ali et Anouar Ben Brahim, et remixé par le Philadelphien Ben Arsenal qui a su rester fidèle au groove gnaoui.
Dans le dessein de toucher d'autres horizons, Moktar Gania, le regard caché derrière des wayfarer, s'évertue à décloisonner les genres en alliant gnaoua et musiques du monde. Guembri, qraqeb, tama, guitare, clavier, beats et effets permettent à chacun de se donner toutes les libertés et, dans ce cas précis, en toute égalité dans la fraternité gnaouie, soli et impros partagées.
C'est dire qu'Essaouira redécouvre avec enthousiasme un genre musical dont elle a contribué à faire la fortune. D'autant qu'une formidable histoire d'amour lie la ville à cette musique insaisissable, cadencée, mélancolique – et répétitive.
La ville a été et demeurera une grande capitale des Gnaouas. Leur rite dans sa forme la plus aboutie est dépisté à Essaouira. A en croire les connaisseurs (et au risque de voir s'étrangler les puristes du Merssaoui et Marrakchi…). Mais ne dites pas que vous l'avez lu dans Finances News. Inventez plutôt une confidence entendue dans la moiteur de Zaouia Sidna Boulal.
«Pour la grande part, les Gnaouas sont les descendants soit de ces esclaves noirs emmenés du Soudan par les sultans saâdiens, soit de cette garde noire qui veillait sur le sultan Moulay Ismaïl et qui s'est dispersée après sa mort à travers villes importantes et ports prospères, ou de ces tirailleurs sénégalais enrôlés par l'armée française à l'époque coloniale. Constituant une confrérie fortement implantée à Marrakech, Essaouira et Casablanca, ils ne disposent pas de temples, à l'exception de la zaouia Sidna Boulal, bâtie par les Gnaouas d'Essaouira, au matin du XXe siècle, sur un terrain offert gracieusement par une famille aisée de la cité bleu azur», écrit Et-Tayeb Houdaïfa.
Forts de cette énorme richesse souirie, Moktar Gania & Gnawa Soul ont eu l'excellente idée de faire revivre cette musique – saga musicale – avec Alla a Soudane, une chanson qui parle de la délivrance et la grâce de Dieu et rend hommage aux quelques tribus africaines : Haoussa, Foulane, Soudane, Bambara.
«A Allah soudan, laâfou (ô Dieu du Sudan délivre-moi) / Allah foulan, laâfou (Dieu de Foulan délivre-moi)… ». Allez-y, écoutez-le ! Et si ce n'est pas suffisant, prolongez votre plaisir, nourrissez votre mélancolie par le clip qui lui a été dédié.