Le PLF 2021 n'apporterait pas de mesures concrètes censées avoir un impact significatif sur la relance économique. Pour preuve s'il en faut, le budget général du PLF 2021 prévoit une baisse des dépenses d'investissement public de 8 milliards de dirhams.
Hicham Mouchir, économiste, expert-comptable et commissaire aux comptes, décortique tour à tour la fiscalité d'entreprise et celle des particuliers à la lumière du PLF 2021, tout en analysant les progrès en termes de clarté et de stabilité des règles fiscales.
Propos recueillis par M.Diao
Finances News Hebdo : Quelle lecture faites-vous du PLF 2021, confectionné dans un contexte particulier en proie à la crise liée à la Covid-19 ?
Hicham Mouchir : Effectivement, le projet de Loi de Finances pour l'année 2021 intervient dans un contexte difficile et inédit, marqué par les conséquences économiques et sociales négatives de la crise sanitaire. Il faut dire qu'il intervient également suite aux Orientations royales et à la mise en œuvre de la Loi de Finances rectificative de 2020, dans une perspective de dépasser les répercussions néfastes de la Covid-19, en tenant compte également des différentes contraintes nationales et internationales. Il se fixe comme objectifs le triptyque : relance économique, généralisation de la couverture sociale et amélioration de la gouvernance publique. A mon avis, face à une conjoncture exceptionnelle, des politiques exceptionnelles doivent être prises pour en atténuer l'impact et amorcer une véritable relance.
Je crois aussi que l'hypothèse de base prévoyant un taux de croissance pour l'année 2021 de 4,8%, est très optimiste sachant que l'année 2020 connaîtra une récession économique estimée à -5,8% et que les années précédentes avaient enregistré un taux de croissance qui n'avait pas dépassé 2,5% 2019 et 3,1% en 2018. Maintenant, je pense que la question qui se pose avec acuité pour les opérateurs économiques, c'est de savoir si ce PLF 2021 est la réponse idoine à ce contexte de crise ou faut-il peut-être un plan d'action global pour rectifier le tir et rétablir la confiance des investisseurs et des ménages ?
F.N.H : Quelles sont vos observations relatives à la fiscalité des entreprises et des particuliers à lumière du PLF 2021 ?
H.M : En principe, pour relancer l'économie dans un contexte de crise, il est essentiel de relancer l'investissement public et privé et relancer la consommation intérieure devant la faiblesse de la demande internationale. Dans l'absolu, je pense que le PLF 2021 n'apporte pas de mesures concrètes censées avoir un impact significatif sur la relance économique.
D'ailleurs, le budget général du PLF 2021 prévoit une baisse des dépenses d'investissement public de 8 milliards de dirhams (en passant de 85 à 77 milliards de dirhams). A contrario, il est prévu une augmentation des dépenses de fonctionnement de 10 milliards de dirhams (de 215 à 225 milliards de dirhams), consacrées majoritairement à la masse salariale.
En outre, un effort supplémentaire est demandé aux entreprises et aux particuliers à travers la contribution sociale de solidarité sur les bénéfices des grandes, petites et moyennes sociétés et sur les revenus personnels (professionnels, agricoles, fonciers et salariaux) des contribuables personnes physiques. Il faut toutefois, noter et saluer :
- la proposition de simplification et de clarification consistant dans la mise en place d'une contribution professionnelle unique en faveur des professionnels forfaitaires, conformément aux recommandations des dernières assises fiscales tenues en 2019 ; - la mesure proposée d'exonérer de l'IR les salaires versés au titre des premières embauches des jeunes ; - la lutte contre la fraude fiscale via un contrôle strict des émetteurs de factures fictives ; - l'augmentation des tarifs douaniers des droits d'importation applicables à certains produits étrangers qui menacent les branches de production nationale (cartouches toner, tissus d'ameublement, produits du chocolat, étoffes de bonneterie notamment).
Néanmoins, je trouve contradictoire et inéquitable l'institution simultanée d'une contribution de solidarité sur les salaires à partir de 10.000 dirhams par mois avec la mise en place d'une exonération de l'IR pour les nouveaux recrutements de jeunes.
Ainsi, on admet que 10.000 dirhams est un salaire relativement modeste pour profiter d'une exonération et en même temps, on demande aux contribuables à partir de ce seuil de contribuer davantage au budget général.
F.N.H : La simplicité et la clarté des règles fiscales est une préoccupation majeure pour les experts-comptables. Le PLF 2021 est-il de nature à renforcer la simplicité et la clarté des règles fiscales ?
H.M : En fait, je pense que la réponse est négative car à mon sens, il y a le texte et le contexte. Certes, un effort de simplification, de clarification et d'harmonisation est perceptible ces dernières années de la part du ministère de l'Economie et des Finances et de la Direction générale des impôts, mais il faut avouer que finalement l'efficacité dans l'application du texte fiscal dépend dans une large mesure de l'interprétation qu'ont fait les inspecteurs des impôts.
Un travail collégial a été fait par l'équipe chargée de la relecture du Code général des impôts en collaboration avec les représentants de l'Ordre des expertsc-et nos attendons l'adoption de la nouvelle mouture pour avancer ensemble sur ce chantier épineux, de manière à consolider la confiance entre l'administration fiscale, les conseillers et les contribuables. Sur ce même registre, il est crucial de pouvoir assurer une certaine stabilité aux règles fiscales afin de donner plus de visibilité aux investisseurs.
A ce niveau, je trouve navrant qu'on puisse proposer de manière brusque de mettre fin d'ici 2 ans, à la durée d'application de l'ancien régime fiscal plus avantageux de CFC. Rappelons que la Loi de Finances 2020 avait prévu que cet ancien régime fiscal demeure applicable pour les entreprises qui ont obtenu ce statut avant le 1er janvier, sans limitation dans le temps.
F.N.H : Enfin, le PLF 2021 vous paraît-il être en mesure de booster la relance des activités des TPME, premières victimes de la crise ?
H.M : Une Loi de Finances ne peut à elle seule booster la relance économique sans un plan de développement national global avec une vision claire. Comme vous le savez, la promotion de l'investissement nécessite un ensemble d'actions stratégiques, économiques, financières, fiscales et administratives de facilitation et d'accompagnement des opérateurs.
A rappeler à ce titre, que généralement les TPME pointent 3 types de problèmes (les trois B si j'ose appeler) : la bureaucratie administrative, les barrières à l'entrée et les contraintes bancaires de financement. Sur le plan fiscal et pour encourager les TPME, il y a lieu à mon avis, d'accélérer l'adoption du projet de loi cadre, censé donner corps aux recommandations des dernières assises fiscales de 2019 et encadrer la réforme fiscale d'ici 2024.