◆ Les mesures prises par l'Etat peuvent ralentir les défaillances de paiement, mais pas les arrêter. ◆ Les entreprises marocaines sont toutes touchées par le double choc de l'offre et de la demande. ◆ Entretien avec Mehdi Arifi, Directeur général assurance-crédit chez Coface Maroc
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Quels sont les secteurs les plus susceptibles de connaître des défaillances de paiement au Maroc ? Mehdi Arifi : Les secteurs susceptibles de connaître des défaillances sont globalement les mêmes à l'échelle internationale. Ce sont ceux qui sont les plus touchés par un choc de l'offre et de la demande comme les services liés au tourisme (hôtellerie, restauration, etc.). L'ONU anticipe d'ailleurs une baisse d'activité de 20% dans le monde cette année contre -4% en 2009. Concernant les loisirs, les transports et en particulier l'aérien, l'Organisation internationale du transport aérien (IATA) prévoit une perte pour le marché aérien entre 11% (63 milliards de dollars américains, USD) et 19% (113 milliards d'USD) des revenus passagers cette année. Je cite également ceux de la distribution comprenant notamment l'électronique, le textile et l'habillement, malgré le soutien du e-commerce, le secteur automobile, qui sera fortement pénalisé à cause des impacts sur les chaînes de valeur. La Chine connaît d'ailleurs une baisse de 80% des ventes automobile. Concernant les entreprises marocaines, elles sont toutes aussi touchées par ce double choc d'offre et de demande. Selon la dernière note du FMI, le Maroc ne sera pas épargné par les impacts économiques dévastateurs de cette crise sanitaire. Son économie connaîtra une récession de 3,7% et un chômage de 12,5%. Le FMI anticipe également un redressement en 2021 de 4,8%.
F.N.H. : L'Etat est conscient de cette problématique et tente d'assumer sa part de responsabilité via plusieurs mesures. Comment voyez-vous cette approche? Pourra-t-elle ralentir les défaillances ? M. A. : Il est vrai que l'Etat a mis en place un certain nombre de mesures financières proactives et réactives destinées à soutenir les entreprises (reports des impôts sur les sociétés, suspension du paiement des charges sociales, soutien de la trésorerie en accordant des lignes de crédit bancaires supplémentaires, etc.). Parmi ces mesures, figure celle qui a été mise en place le 26 mars dernier, incitant les organismes publics à accélérer les délais de paiement au profit des entreprises (particulièrement des TPE et PME qui souffrent davantage de l'impact de cette crise). Ceci jouera en faveur des entreprises, en améliorant notamment leur trésorerie et en leur permettant d'honorer leurs engagements auprès de leurs fournisseurs. Ce qui peut ainsi ralentir les défaillances, mais pas les arrêter.
F.N.H. : Quelles sont vos anticipations ? M. A. : Coface retient une hausse des défaillances d'entreprises dans le monde de 25%, et malgré toutes les procédures gouvernementales mises en place par l'Etat, le Maroc n'échappera malheureusement pas à cela du fait du triple choc entraîné par la crise, notamment sur l'offre et la demande. On voit aujourd'hui que la confiance est rompue, et les marchés en forte baisse. Il faut donc s'attendre à une diminution des investissements des entreprises au moins au deuxième trimestre, en Europe et aux Etats-Unis. Cette diminution concernera les matières premières qui augurent des moments difficiles pour un certain nombre de pays émergents (notamment les pays exportateurs de pétrole qui étaient déjà dans une situation financière un peu difficile : Angola, Nigéria, et Algérie).
F.N.H. : La montée des défaillances au niveau mondial peut-elle avoir un impact sur la relation économique entre les différents pays ? M. A. : Selon Coface, à plus long terme, la crise du Covid-19 pourrait également avoir des conséquences sur la structure des chaînes mondiales de valeur. Même si la majorité des entreprises des principales économies mondiales restent d'abord dépendantes de leurs fournisseurs locaux, la dépendance aux chaînes internationales de production varie beaucoup d'un secteur d'activité à l'autre. Si la crise actuelle pourrait inciter des entreprises à réduire cette part pour relocaliser certaines productions, la principale source de vulnérabilité des entreprises, dans le contexte actuel, est leur forte dépendance à un nombre réduit de fournisseurs situés dans quelques pays, voire même un seul. Augmenter leur nombre pour anticiper de possibles ruptures dans les chaînes d'approvisionnement sera donc désormais une priorité pour les entreprises. Or, cette diversification des fournisseurs et des pays pourrait à la fois pénaliser les échanges avec certains pays (comme par exemple la Chine dans des filières électronique, automobile et textile) au profit d'autres pays (d'Asie du Sud-Est pour l'électronique, Turquie, Maroc ou Mexique pour l'automobile). Dit autrement, cette recherche de diversité pourrait modifier la structure des échanges de biens à l'international sans le ralentir davantage.