Abdellatif Jouahri, Wali de BAM, a expliqué pourquoi il ne peut, en matière de politique monétaire, se projeter sur des horizons étendus. La projection économique au Maroc est un exercice délicat. Faute d'un système national de statistiques performant, se projeter sur des horizons étendus semble presque impossible. Un projet de texte pour réformer le système, déposé au SGG depuis 2003, n'a pas encore vu le jour.
Par Y. Seddik Le système statistique national (SSN) : Quand la donnée fait défaut La construction et l'évaluation des politiques monétaires se font sur la base de modèles bien précis. Ces derniers intègrent un certain nombre d'indicateurs permettant de formuler les orientations et leur transmission. Dans les pays développés, les Banques centrales disposent d'un horizon de projection assez large. A titre d'exemple, en communiquant sur sa politique monétaire, la BCE a récemment indiqué qu'elle n'agira pas sur ses taux jusqu'à mi-2020 au moins. Même son de cloche à la FED, qui prévoit des taux inchangés jusqu'à l'automne 2020. Au Maroc, l'indisponibilité, ou du moins l'insuffisance de la data économique fait que Bank Al-Maghrib (BAM) se limite dans ses projections à un seul trimestre. Chez la Banque centrale, on se veut pourtant clair. Interpellé par Finances News Hebdo sur cette problématique lors du dernier Conseil de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, Wali de BAM a pointé du doigt l'appareil statistique national. «Quand on va vers la croissance, nous ne disposons pas des chiffres. C'est nous qui les formulons grâce à nos modèles», a-t-il confié. Même chose pour l'emploi : «ce n'est pas non plus de notre rôle de mener des enquêtes sur le travail», a-t-il expliqué. Non sans préciser que les chiffres relatifs à l'emploi disponibles datent du premier trimestre et qu'ils ne disposent même pas des données sur le patrimoine ou sur les revenus. «Se projeter sur l'avenir ? Point d'interrogation ! », s'est exclamé le gouverneur. Car, il faut savoir que la Banque n'est chargée que de la collecte et de la diffusion des statistiques bancaires, monétaires et des taux de change. Et dans son rôle de planificateur, elle manque drastiquement d'autres types de données. Mais c'est le cas pour tous les pays en voie de développement où l'information chiffrée fait souvent défaut et où sa collecte est particulièrement malaisée. Pour pouvoir se prononcer sur des horizons plus éloignés et s'aligner sur ce que font les Banques centrales des pays avancés, «nous devons, très honnêtement, plus affiner, plus diversifier et plus compléter tout notre appareil statistique, et ce pour apporter une analyse mieux fondée, mieux argumentée dans un terme plus lointain», martèle Jouahri. Car, bien que complémentaires, statistiques et planification risquent de ne pas s'exercer au même rythme au Maroc, faute d'un système national de statistiques performant.
Le système statistique national (SSN) : Une série de défaillances… Le système statistique national (SSN) représente l'ensemble des organismes et unités statistiques qui, ensemble, collectent, produisent et diffusent des statistiques officielles au nom du gouvernement. En plus du HCP qui constitue son noyau central, d'autres organismes collectent, analysent et publient de l'information statistique couvrant, essentiellement, leurs champs de compétence. Force est de constater que ce système est fortement décentralisé, avec des sources de données diverses et éparpillées. D'ailleurs, une mission de la Cour des comptes (CC) a relevé au début de cette année plusieurs dysfonctionnements liés au SSN. D'abord, «l'insuffisance de personnel statisticien qualifié au sein des structures sectorielles et régionales reste un handicap à l'amélioration de la production statistique de ces structures», a noté la Cour dans un rapport. Les investigations effectuées par la CC ont également révélé une insuffisance en termes de dotation des ressources matérielles, en particulier informatiques, et financières pour le fonctionnement courant des structures du système statistique national. En outre, les données produites souffrent souvent d'une insuffisance d'analyses approfondies. D'ailleurs, c'est le même constat partagé par le wali, qui a évoqué qu'«il faut une batterie de données, à la fois disponible et affinées. Car il ne suffit pas d'avoir des chiffres globaux, mais granulés». Sur le plan de la diffusion, les données statistiques produites par le HCP sont diffusées en grande partie sur des supports électroniques (Internet, CD, catalogue en ligne des publications, bibliothèque, etc.), ce qui permet d'en faire profiter un large public. Toutefois, pour les autres producteurs de l'information statistique, la diffusion n'est pas politique de communication efficace, en ayant recours à des sources d'information dispersées et à une diffusion principalement sur papier. Bref, le système souffre de dysfonctionnements alors que les réformes n'ont pas encore vu le jour.
Le système statistique national (SSN) : des retards dans les réformes Dans la perspective de réformer le système statistique national, le gouvernement marocain avait préparé un projet de loi (109-4) portant création d'un Conseil national des statistiques (CNS), lequel devrait remplacer le comité de coordination des études statistiques (COCOES), entité créée en 1968. Ce projet de texte, déposé au bureau du Secrétariat général du gouvernement depuis 2003, n'a pas encore vu le jour. Ce projet de loi visait la modernisation du cadre juridique de ce système, vu qu'il ne répond plus aux développements que connaissent les structures de production de l'information statistique officielle. Le Conseil du gouvernement avait décidé de créer une commission ministérielle pour examiner les dispositions dudit projet de loi. Toutefois, ce projet n'a pas été adopté, et le conseil national des statistiques n'a pas encore vu le jour. Il y a lieu de noter que le COCOES devrait, en principe, prendre en charge le monitoring et la coordination entre les différents organes du SSN en vue de faciliter l'échange des données entre eux et garantir la consistance des méthodologies et résultats. En revanche, ce comité semble ne pas jouer pleinement son rôle. La Cour des comptes nous apprend que «son fonctionnement est presque réduit à son secrétariat assuré par la direction de la statistique auprès du HCP, ce qui accentue la séparation entre les différents organes du système statistique national». En effet, certains départements producteurs des statistiques préparent leurs stratégies de façon totalement autonome, sans garanties suffisantes quant au respect des normes et standards statistiques. Au final, du chemin reste à faire pour réorganiser le SSN. Jouahri espère, quant à lui, qu'avec le développement technologique actuel, que la modernisation du domaine des statistiques se fasse «plus vite». ◆
Le système statistique national (SSN) : Orientation monétaire, mode d'emploi Pour évaluer l'orientation de la politique monétaire, les Banques centrales recourent à une panoplie d'indicateurs. Parmi les plus répandus, figurent les indices des conditions monétaires (ICM). Ces derniers synthétisent l'information contenue dans plusieurs variables constituant des relais de transmission, à travers lesquels les décisions de politique monétaire impactent les variables cibles, généralement l'inflation ou la croissance. Au départ, la composition de ces indices était limitée au taux d'intérêt et au taux de change effectif. Par la suite, elle a été élargie pour intégrer, en fonction des spécificités de l'économie, d'autres variables, essentiellement financières, les ICM laissant alors place aux «Indices des conditions monétaires et financières» (ICMF). Dans le cas du Maroc, Bank Al-Maghrib utilise un indice des conditions monétaires et financières qu'elle a construit sur la base de trois variables. Il s'agit du crédit bancaire au secteur non financier, du taux d'intérêt débiteur moyen et du taux de change effectif. Le calcul des poids de ces variables se base sur les fonctions d'impulsion généralisées cumulées sur 8 trimestres, horizon de prévision de la politique monétaire.