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Jouahri appelle à la prudence
Publié dans Les ECO le 22 - 09 - 2011

Comme à l'accoutumée, c'est un Jouahri très franc qui s'est présenté devant la presse à l'issue du troisième conseil de Bank Al-Maghrib (BAM) de l'année. D'emblée, le gouverneur de la Banque centrale esquisse le contexte international dans lequel évolue l'économie marocaine. En effet, «jamais la conjoncture internationale n'a été aussi incertaine et les mesures prises pour relancer l'économie n'ont pas pu stopper le ralentissement économique», déplore le wali de BAM. Ce constat s'avère certes inquiétant pour le Maroc, dans le sens où si une nouvelle crise se déclenchait au niveau international, elle ne manquera pas d'affecter le Maroc. Cependant, force est de constater que jusque là, «on s'en sort plutôt bien», nuance tout de même le gouverneur. Ce dernier s'appuie en effet sur les principaux indicateurs économiques du Maroc, lesquels font ressortir un comportement meilleur que celui attendu. Les données prises en compte par la Banque centrale pour sa décision de maintenir le taux directeur à 3,25% font en effet ressortir qu'en dépit du ralentissement de l'activité économique mondiale, l'orientation favorable de la demande intérieure s'est poursuivie. Dans ces conditions, la croissance globale et celle du PIB non agricole devraient se situer entre 4,5% et 5,5% en 2011. «Cette tendance, qui devrait continuer en 2012, est toutefois conditionnée par une amélioration graduelle de l'environnement international» note-t-on auprès de la Banque centrale, ce qui n'est pas forcément acquis. Et pour cause, on assiste aujourd'hui à un phénomène pour le moins inquiétant et qui a trait au ralentissement économique que connaissent même certains pays émergents.
Pour l'heure, il est encore trop tôt pour tirer la sonnette d'alarme, car dans ce contexte, l'output gap non agricole devrait afficher des valeurs proches de zéro, selon l'équipe de Jouahri, au cours des prochains trimestres, dénotant ainsi l'absence de pressions inflationnistes provenant de la demande. Par ailleurs, le soutien du secteur bancaire à l'économie nationale semble regagner en intensité, vu que les données du marché monétaire font ressortir une légère accélération de la croissance du crédit, avec un rythme de 7,1%. C'est dans ce sens que la Banque centrale retient pour ses prévisions une inflation en ligne avec l'objectif de stabilité des prix. «L'inflation devrait s'établir à environ 2%, aussi bien au terme de l'horizon de prévision, soit le quatrième trimestre 2012, qu'en moyenne sur cet horizon», peut-on lire dans le rapport de politique monétaire, publié en marge de la tenue du Conseil de la Banque centrale.
La prévision moyenne en 2011 est donc restée quasi-inchangée, soit 1,3% au lieu de 1,4% lors du rapport sur la politique monétaire précédent. C'est là la principale raison qui a plaidé pour un statu quo du taux directeur de la Banque centrale. Néanmoins, le contexte de sous-liquidité qui a marqué le marché interbancaire ces derniers mois et qui a poussé BAM à accentuer le volume de ses injections de cash dans les trésoreries bancaires, au point d'atteindre 30 milliards de DH, a imposé une réaction de la Banque centrale à ce niveau, contrairement aux précédentes réunions de son conseil. Cependant, ce n'est pas au niveau du taux de la réserve monétaire qu'est intervenue la réaction de Bank Al-Maghrib, celui-ci ayant été maintenu à 6%. En effet, le Conseil de BAM a décidé de poursuivre ses injections régulières de liquidité, mais cette fois en optant pour la possibilité de recourir à des pensions de plus long terme. Jusque là, celles-ci étaient servies pour une maturité de sept jours seulement. Désormais, BAM pourra injecter des liquidités pour des périodes pouvant atteindre 3 mois, ce qui permettrait d'alléger la pression sur le marché interbancaire. «Cela va se faire, tout en veillant sur l'instauration d'une base communiquante entre les pensions à 7 jours et celles à trois mois», insiste Abdellatif Jouahri. Cela n'empêche pas que la récurrence de ce déficit de liquidité devient inquiétante, vu le volume des besoins de trésorerie des banques, d'autant plus que la Banque centrale reconnaît «qu'on ne peut aujourd'hui avoir de visibilité sur la durée de maintien de ce contexte de sous-liquidité».
Caisse de compensation : La réforme urgente, mais compliquée
Que ce soit dans son rapport présenté en début de semaine au roi, ou à l'issue de la tenue du Conseil de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri ne cesse de clamer l'urgence de la réforme de la Compensation. Il est en effet de plus en plus difficile de gérer une compensation qui coûte 5% du PIB. Cependant, l'avis du gouverneur de BAM ne diffère pas beaucoup de celui des économistes, qui reconnaissent que la problématique est assez difficile à résoudre, dans le sens où assurer un ciblage de la compensation revient à mettre en place un mécanisme qui peut être complexe. Ce qui est sûr en revanche, c'est que la Caisse de compensation est loin aujourd'hui d'assurer son rôle d'instrument de redistribution des revenus et seul le ciblage des populations les plus démunies peut lui redonner ce rôle.
Conjoncture internationale : Mais que se passe –t-il ?
«Moi-même, je n'aurais jamais pu croire possible une dégradation de la notation des Etats-Unis». Ce commentaire du gouverneur de la Banque centrale en dit long sur les inquiétudes qui découlent de la conjoncture internationale actuelle. Ce qui se passe dans l'économie mondiale est tout simplement du jamais vu. Pour Abdellatif Jouahri, les luttes politiques dans certains pays ont pris le dessus sur l'intérêt général des économies et cela se traduit par de grandes incertitudes quant aux évolutions de la conjoncture à court terme. Pour illustrer ses propos, le gouverneur de la Banque centrale cite le relèvement du seuil de l'endettement américain, lequel est intervenu de justesse après qu'il ait été pris longtemps en otage par la bataille politique entre les partis démocrate et républicain. La situation est d'autant plus inquiétante que «les mauvaises nouvelles tombent chaque jour et que l'on ne sait plus quoi attendre des réunions des conseils de grandes institutions, telles que le FMI et la Banque mondiale», souligne Jouahri en réaction à chaud à la dégradation dont a fait l'objet l'Italie le jour même de la tenue du conseil de BAM et qui est intervenue quelques jours à peine après la dégradation des notations de plusieurs banques françaises.
Impôt sur la fortune : Ça ne marchera pas !
L'introduction de l'impôt sur la fortune a récemment fait couler beaucoup d'encre, mais pour Abdellatif Jouahri, il semblerait que cela n'en vaut pas la peine. «On en parlait déjà dans les années 80 quand j'étais ministre des Finances et malgré le contexte plus délicat de l'époque (ndlr : le plan d'ajustement structurel) je m'étais prononcé contre cette idée», souligne-t-il. L'ex-ministre des Finances justifie en effet sa position par les résultats d'un benchmark avec les pays où cette taxe sur la fortune avait été instaurée. Dans ces pays, Jouahri estime en effet que cela n'a pas apporté grand chose, vu que les taux qui sont retenus pour cet impôt restent très bas en général. Connu pour ses appels récurrents ces dernières années pour plus de rigueur dans les finances publiques, que ce soit au niveau des dépenses que des recettes, l'analyse faite par Jouahri pour l'impact d'une éventuelle taxe sur la fortune plaide donc pour sa non-pertinence, dans un contexte où l'Etat cherche tant bien que mal de réduire son déficit budgétaire, qui tend à devenir structurel.
Exigences réglementaires : Le modèle marocain
La Banque centrale a sans conteste marqué des points dans sa politique de régulation et de supervision du secteur. La résilience du système bancaire national aux grands chocs de la finance internationale est devenu un exemple dans la région, comme vient de le démontrer un récent rapport du FEMISE (voir www.lesechos.ma). Pour Jouahri, «nous avons été sauvés en imposant aux banques marocaines des règles prudentielles au-delà des exigences connues au niveau international». Cela étant, il faut certes veiller au maintien de cette stratégie, mais en faisant en sorte que ces exigences soient rationnelles, afin de ne pas pénaliser les banques dans leur rôle de soutien à l'économie. Dans ce sens, répondant à la problématique de migration vers les règles de Bâle 3, le gouverneur de BAM estime que l'urgence est «d'aller prudemment en matière d'exigences réglementaires». Pour l'heure, les banques marocaines sont appelées à achever le chantier de la notation interne, conformément à Bâle 2, qui s'avère être un projet de longue alaine. «Nous avons cependant déjà trois des principales banques qui ont déjà finalisé le chantier», se félicite le gouverneur de BAM.
Economie nationale : Le verre à moitié plein
Interpellé sur l'optimisme affiché lors de la présentation de son analyse de la situation de l'économie nationale, la wali de BAM préfère «le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide». Jouahri argue dans son constat que le Maroc est aujourd'hui classé parmi les pays de la région les mieux lotis, malgré le contexte difficile. En effet, malgré les craintes qui ont pesé sur plusieurs secteurs, les indicateurs restent globalement positifs, comme en témoignent les prévisions de la croissance économique que la Banque centrale estime comprises entre 4,5% et 5% à fin 2011. Cela n'empêche pas que les problématiques auxquelles fait face le Maroc appellent à une mobilisation pour plus de rigueur dans la gestion des finances publiques et à une accélération des différentes stratégies sectorielles. «Nous sommes dans un contexte où nos principaux concurrents sont en difficulté. Il ne faut donc pas lâcher le rythme et appuyer sur l'accélérateur pour rendre la conjoncture actuelle bénéfique pour le Maroc», explique Jouahri.
Casa-Finance City : Road show reporté
Le projet de Casablanca Finance City est-il en train de prendre du retard ? Le chantier, auxquel participe de très près la Banque centrale, est confronté lui aussi aux aléas de la conjoncture, qu'elle soit nationale ou internationale. Jouahri indique que le road show de prospection prévu en cette fin d'année a finalement été reporté à 2012. Deux raisons expliqueraient ce report. D'un côté, le chamboulement politique qu'est en train de connaître le pays empêcherait les responsables marocains de se concentrer pleinement sur la mission de séduction auprès des investisseurs internationaux, en raison de leurs engagements dans la phase pré-électorale. De même, le changement au niveau du gouvernement rendrait inopportun d'entamer aujourd'hui des discussions avec les investisseurs qui devront être poursuivies par une autre équipe après l'élection du nouveau gouvernement. D'un autre côté, la crise qui se profile au niveau des marchés internationaux rendrait, selon le wali de BAM, les discussions peu fructueuses, avec des investisseurs préoccupés par la conjoncture dans leur propre pays. Néanmoins, Jouahri confirme qu'au niveau de l'offre immobilière, les choses semblent se déroulent comme prévu, celle-ci étant déjà prête pour la commercialisation.


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