Les 3 sociétés immobilières cotées ont des histoires différentes, mais des destins communs. L'asymétrie d'informations entre investisseurs privés et professionnels est à son paroxysme.
Le secteur de l'immobilier coté est en ce moment aussi efficient qu'un marché de voitures d'occasion : les vendeurs ont une information que les acheteurs ne possèdent pas (les amateurs de la théorie de l'asymétrie apprécieront). Les chiffres sont édifiants : l'indice sectoriel «Participation et promotion immobilières», qui regroupe les trois promoteurs cotés, est passé de plus de 16.000 points en novembre 2017 à 6.400 points aujourd'hui. Depuis le 1er janvier 2018, la capitalisation flottante du secteur a baissé de 51% pour atteindre le timide chiffre de 3 Mds de dirhams. «Ce ne sont pas les 25 Mds ou les 22 Mds de dirhams de capitalisation flottante de Maroc Telecom ou Attijariwafa bank», commente un gestionnaire de portefeuilles pour qui le secteur n'est plus stratégique pour les OPCVM. En tout cas, beaucoup moins que ce qu'il était quand Addoha était dans le top 10 des capitalisations du marché. «C'est un secteur qui connait un fort engouement de la part des particuliers. Mais les professionnels réduisent leur exposition dessus depuis 2 ans», explique notre interlocuteur qui, interrogé pour les besoins de cet article, dit ne pas comprendre l'étonnement du grand public face à cette baisse. «Il s'agit d'un phénomène normal, qui montre que les investisseurs anticipent bien ce qui se passe sur ce marché», résume-t-il. De son avis, les investisseurs particuliers, qui se positionnent sur les prix actuels en pensant qu'ils sont bas, ne font que spéculer sur un mouvement qui ne se produira peut-être pas.
La Smart Money sur la touche Qu'ils soient Buy-side ou Sell-side, les analystes couvrent de moins en moins le secteur. Parmi les premiers, certains nous expliquent que leurs sociétés de gestion réduisent structurellement leur exposition sur l'immobilier coté qui perd de son intérêt à cause de son poids en baisse dans la capitalisation globale, comme expliqué plus haut. Cela se traduit par un transfert d'actions des mains des investisseurs professionnels vers d'autres un peu moins outillés. En Sell-side, c'est quasiment le même son de cloche, avec seuls 2 ou 3 analystes qui couvrent régulièrement les valeurs du secteur avec des recommandations. Il y a 3 ans, ce chiffre était beaucoup plus élevé. «Nous n'arrivons plus à faire tourner nos modèles de valorisation sur ce secteur», confie un analyste au sein d'une société de Bourse. C'est clairement l'après-2020 et la fin des incitations fiscales sur le logement social qui brouillent les pistes. Pour notre interlocuteur, «les mesures fiscales, si elles ne sont pas reconduites, augmenteront sensiblement la charge d'IS pour les promoteurs». Plusieurs questions se posent dès lors : «Vont-ils ajuster leurs prix de vente des logements sociaux ? Si oui, dans quelles proportions, sachant que dans certaines régions, il est difficile d'écouler des stocks même à 250.000 DH ? Si les prix sont maintenus, qu'en sera-t-il des marges ?». Pour notre analyste, la réponse à ces questions conditionnera la politique d'investissement des promoteurs ainsi que leur capacité à distribuer des dividendes, critères importants pour émettre des recommandations. Un autre analyste nous explique qu'il n'arrive pas à «tirer» un businessplan sur une période supérieure à 3 ans, ce qui ne permet pas d'utiliser pertinemment les méthodes basées sur l'actualisation des flux futurs comme la DCF. Là aussi, à cause du manque de visibilité sur l'après-2020. Et de nous rappeler que jusqu'à présent, le marché a eu raison de vendre ces valeurs quand on voit les chiffres qu'elles publient a posteriori.
Des histoires différentes, un destin commun Les trois représentants du secteur immobilier en Bourse sont à des stades de vie et de tailles différentes. Fondamentalement, même leur business est différent. Addoha représente le mastodonte du secteur, au profil mature. Elle allie liquidité et rendement, et peut offrir jusqu'à 7% de rendement dividende pour les actionnaires. Mais le marché met en doute la capacité de la société immobilière à continuer à offrir un rendement si élevé dans le contexte actuel. Des craintes qui se matérialisent par une capitalisation boursière de 4 Mds de dirhams, soit trois fois moins que son actif net. Résidences Dar Saada est la moins diversifiée des boîtes immobilières, c'est aussi celle qui bénéficie d'un statut de valeur de croissance. D'ailleurs, son cours est le moins chahuté de toutes depuis le début de l'année (-36% à la clôture du 16 octobre). Enfin, Alliances est considérée comme une rescapée. Elle a frôlé la catastrophe en 2015; la société veut renaître de ses cendres. Pour le moment, elle négocie son virage du désendettement. Il faudra voir à quoi va ressembler la société à la sortie de ce virage. Le management assure que la crise est derrière, mais le marché fait la sourde oreille avec une baisse du titre de 52% depuis le début de l'année. Au final, les investisseurs ne font pas de distinction et regardent le secteur dans sa globalité, faisant perdre à toutes les immobilières près de la moitié de leur capitalisation en 2018. ■
Asymétrie de traitement Les professionnels interrogés font remarquer l'importante asymétrie de perception entre les particuliers, d'une part, qui se ruent sur les valeurs immobilières estimant que leurs prix sont bas, et les professionnels d'autre part, qui ne souhaitent pas exposer l'épargne institutionnelle sur ce secteur. «C'est la partie non informée qui a l'initiative sur ce marché, car elle ne donne pas suffisamment d'importance aux risques futurs», conclut ce gestionnaire, qui préfère avoir plus de visibilité avant de mettre du cash dans l'immobilier coté. Cette partie non informée serait, nous dit-on, accompagnée par quelques vendeurs à découvert professionnels qui profitent des mécanismes du prêt/emprunt de titres, un privilège dont ne jouissent pas les particuliers...