Dans un contexte très évolutif, la réglementation doit aller de pair avec l'innovation financière. Elle doit intervenir avant que le risque soit systémique. Il existe une corrélation forte entre la croissance et la dynamique de l'ingénierie financière. Georges Pauget, président du pôle de compétitivité Finance Innovation-Europlace, nous livre son analyse sur l'ingénierie financière, ses soubassements, ses risques et sa portée. * Finances News Hebdo : Aujourd'hui, au regard de ce qui s'est produit aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe, on parle désormais de la nécessité d'une réglementation qui doit aller de pair avec l'ingénierie financière. Est-ce que, selon vous, c'est possible dans la mesure où ces produits innovants ou dérivés, une fois enclenchés, se multiplient de manière rapide et anachronique ? * Georges Pauget : L'innovation financière va plus vite que la réglementation et ceci depuis la nuit des temps. Aujourd'hui, pour gérer ce décalage qui existe et qui existera toujours, il faut qu'il y ait des autorités de supervision, de régulation et de surveillance qui regardent ce qui se passe effectivement sur le marché et qui sont à l'origine des problèmes, et ce avec toute la souplesse et la capacité d'intervention nécessaires pour combler aussi vite que possible les retards de la régulation. Parce qu'il nous faut en fait éviter de freiner cette innovation, qui est créatrice de richesses, mais aussi de nous assurer des risques qui sont pris et intervenir avant que ces risques ne soient trop importants. Parce qu'il y a beaucoup de produits financiers qui ne présentent un risque global ou systémique que s'ils atteignent une certaine taille. Donc, il faut intervenir avant. Vous voyez qu'il y a un équilibre complexe, subtil à maintenir entre une réglementation qui doit être fondée sur des principes très solides et puis, il faut y ajouter des mécanismes de surveillance qui viennent compenser, si je puis m'exprimer ainsi, le retard que prend toujours la réglementation. Parce qu'une réglementation nécessite des lois et des règles et souvent cela met du temps à se mettre en œuvre. Et donc on arrive ainsi à gérer. Ce qui s'est passé dans les crises que nous avons connues, c'est que soit les régulateurs étaient en retard, soit dans le cas des Etats-Unis, ils ont considéré qu'il n'était pas de leur responsabilité d'intervenir, ce qui était évidemment une erreur. * F. N. H. : Si on prend l'exemple du Maroc, on peut dire que l'une des raisons de sa résilience face à la tourmente financière, c'est sa forte réglementation. Est-ce que vous estimez que le moment est venu pour le Maroc de développer les produits dérivés,ou doit-il tempérer un peu ? * G. P. : En fait, il y a plusieurs types de produits dérivés parce que la finance est une matière complexe. Donc, c'est toujours un peu délicat d'importer toute la formation nécessaire. Vous avez des produits dérivés qui sont simples dès lors qu'on a une réglementation bien faite ; le Maroc a tout ce qu'il faut pour la définir ainsi, et donc on n'est pas dans une situation de risques. Les produits qui étaient à l'origine des crises sont des produits dérivés complexes. Ces produits ont connu des défaillances parce que dans certaines circonstances de marché, ils se sont comportés de façon radicalement différente de ce que nous avons anticipé; nous n'avons pas su à cet instant trouver les mécanismes de parade. Dès lors qu'on reste dans des produits dérivés simples, le risque est minime. Aussi, ce sont des produits qui existent depuis de nombreuses années et dont le comportement est connu. Il y a plusieurs sortes de dérivés qu'il ne faut pas mettre dans le même chapeau. C'est d'ailleurs le projet du Maroc de rester, au moins dans une première phase, dans les produits simples. * F. N. H. : En la matière, le Maroc est appelé à s'inspirer des expériences étrangères. Laquelle vous paraît la plus plausible pour un pays comme le nôtre ? * G. P. : J'aurais du mal à citer un pays en particulier, parce qu'il faut citer ce qui s'est passé. Il y a eu des succès et des échecs dans différents pays. L'un des pays qui a le mieux traversé la crise est le Canada. * F. N. H. : Quel type de corrélation peut exister entre la croissance du PIB et l'ingénierie financière ? * G. P. : On a du mal à faire le détail du cheminement, mais quand on regarde, statistiquement parlant, on remarque que c'est dans les périodes où l'industrie financière est dynamique que la croissance est plus forte. * F. N. H. : S'il y a des opportunités que nous pouvons saisir en cette période de crise, lesquelles seraient-elles d'après-vous ? * G. P. : On est en train de rebâtir complètement le système financier autant que faire se peut pour tirer toutes les leçons de la crise. Donc, cela va nous donner de nouvelles règles du jeu, de nouvelles façons de fonctionner, et donc il y a des pages blanches que nous sommes en train d'écrire et ça crée des opportunités dans les différents domaines et à tous les niveaux. Il n'y a pas de domaines spécifiques parce que le propre d'un acteur du système financier c'est à la fois de continuer les choses qu'il sait bien faire et puis de mettre un peu de nouveautés. * F. N. H. : Quid des conditions qui doivent être remplies pour favoriser l'ingénierie financière ? Est-ce que le Maroc remplit ces conditions, là je fais allusion essentiellement à l'éducation financière ? * G. P. : A ce que je vois, oui. Pour ce qui est de l'éducation financière, pour avoir des responsabilités en finance, c'est un long chemin, c'est un travail qu'il faut faire sans cesse parce que le propre de la matière financière c'est d'évoluer de manière permanente. Ce n'est pas une discipline stable, ce n'est pas une discipline statique. Il y a de l'innovation en permanence et du changement dans les conditions du marché. C'est un métier où la règle d'or est l'adaptation. Propos recueillis par Soubha Es-siari