En matière d'ingénierie financière, le Maroc a quelques projets dans le pipe. L'innovation n'est pas un modèle à copier, elle doit s'adapter au contexte marocain tout en tirant profit des expériences étrangères. Dans leur acte II, les Intégrales de la Finance initiées par la Caisse de Dépôt et de Gestion récemment, ont été un moment d'échanges et de réflexions entre d'éminentes personnalités de la finance. La thématique débattue étant l'ingénierie financière pour pallier les faiblesses du système existant. Inutile de rappeler que le Maroc souffre d'un énorme problème de liquidité, et ce à un moment où il est appelé à augmenter le volume de ses investissements productifs. L'ensemble des dépôts collectés par les banques se sont transformés en crédits à l'économie. On parle dans les milieux financiers d'un taux d'employabilité (dépôts/crédits) de 106%. D'où l'intérêt d'innover et de mettre à la disposition des opérateurs de nouveaux produits à même de les aider à financer leurs investissements créateurs d'emplois et de valeur ajoutée. L'unanimité est de mise sur le fait que la crise financière a mis en évidence la faiblesse des produits structurés qui, au demeurant, échappent à tout contrôle. Pour y pallier, un meilleur encadrement s'avère désormais nécessaire. Dans son intervention, S. Khalid, du ministère des Finances, a passé en revue les nouveaux instruments mis en place ayant bénéficié d'incitations fiscales dans la Loi de Finances 2011 (PEA, PEL, PEE). Le but de ces produits est d'encourager l'épargne à long terme. Il cite par ailleurs d'autres chantiers en perspective tels le marché à terme qui met à la disposition des opérateurs des produits de couverture de risque, l'encadrement des titres prêts-emprunteurs, le capital-risque, la titrisation des prêts hypothécaires. L'autre axe dévoilé par Khalid Safir est l'infrastructure mise en place pour accompagner le développement financier : le projet Casa Finance City qui va permettre au Maroc d'être une plate-forme financière pour le continent africain. Mais cela ne l'empêche pas pour autant de reconnaître que le Maroc a besoin de nouveaux instruments financiers pour accompagner son développement économique. Il faut désormais parvenir à un meilleur dosage entre la réglementation et l'innovation financière parce qu'une réglementation excessive pourrait entraver l'ingénierie financière. Pour Anas Alami, Directeur général de la CDG, l'innovation financière fait partie de nos valeurs. Il donne ainsi l'exemple de la CDG qui peut être considérée comme un produit innovant réussi, dans la mesure où, depuis sa création en 1959, la Caisse n'a cessé d'accompagner le développement économique du Royaume. Il s'empresse d'ajouter que l'ingénierie financière n'est pas la recherche de profit à court terme, mais la conception de nouveaux mécanismes qui peuvent servir à financer des projets créateurs d'emplois. Aussi, l'innovation n'est pas un modèle à copier; elle doit s'adapter au contexte marocain tout en tirant profit des expériences étrangères. Aujourd'hui, le Maroc est appelé à passer à l'étape suivante, celle de l'efficience des marchés financiers, de la sophistication du marché du travail. D'où la nécessité de mettre en place de nouveaux mécanismes financiers. Innovation financière vs recherche & développement G. Pauget, président du pôle compétitivité de Finance Innovation, considère à son tour que les problématiques des marchés doivent être appréhendées différemment. «Il ne faut pas s'arrêter aux récentes dérives financières et à leurs conséquences, sinon on risque de condamner l'innovation financière», annonce-t-il. L'innovation financière n'est pas une fin en soi, mais elle accélère le développement économique. Car il faut reconnaître que le déficit de l'épargne longue est un problème mondial. Chaque pays essaie d'innover et de mettre sur le marché les produits qui s'adaptent à ses besoins. Dans son analyse, G. Pauget donne l'exemple des ruptures qui peuvent exister, telles que celle du système de calcul de mesure de risque, des lois statistiques utilisées, des problèmes de modélisation de liquidités… Tous ces domaines montrent que chaque fois qu'il y a rupture, il y a place pour l'innovation financière. Ce qui permet parfois de nouveaux entrants, voire des baisses des coûts de transactions. A ce moment-là, il faut revoir l'ensemble du process de l'organisation pour faire en sorte qu'un nombre important d'acteurs maintiennent leur compétitivité. Pauget conclut à ce sujet qu'innovation et rupture sont deux termes étroitement liés. Or, pour que l'innovation apparaisse, il faut un environnement favorable qui comprend les compétences nécessaires, la recherche, l'éducation financière au sens large. Cela suppose aussi l'information des consommateurs et puis, évidemment, des politiques de financement qui viennent encourager la création d'entreprises. Il y a besoin dans le domaine de la finance de tout un processus d'accompagnement. La recherche et développement, qui constitue la principale difficulté de l'innovation financière, couvre des domaines extrêmement vastes. G. Pauget a insisté également sur la relation existant entre la recherche et l'industrie. Autant l'industriel communique sur le budget octroyé à la R&D, autant le banquier ne le fait pas. Par exemple, si on prend le bilan d'une banque, on ne retrouve pas de chiffres sur le budget alloué à la recherche. Les banques ont fait ce que l'on appelle de la recherche-propriétaire, ce qui veut dire que chacune d'elles cherche son modèle marketing. Aussi, les infrastructures sont un élément-clé de l'ingénierie financière. Au moment de la crise, on s'est rendu compte que celles-ci jouaient un rôle important. Sad Ibrahimi, Directeur général de Morocco Financial Board, estime que l'innovation financière est un facteur important de compétitivité. Elle est désormais inscrite parmi les chantiers prioritaires. D'où l'ambition du Maroc de devenir un hub financier pour l'Afrique. Un choix qui n'est pas fortuit, mais qui résulte du fait que la région ne dispose pas de centre financier.