■ La connexion entre les crises, financière, économique et sociale, a embrasé le monde. ■ Le Maroc essaye tant bien que mal de contrer les effets du printemps arabe par une batterie de réformes. ■ La 3ème édition du Forum de Paris-Casablanca Round a permis de lever un peu la tête du guidon et de voir vers où va le monde. L'année 2012 marque le quatrième anniversaire de la crise mondiale qui a éclaté en 2007. De l'eau a coulé sous les ponts et le monde a subi plusieurs bouleversements d'ordre économique certes, mais de plus il fait face à une onde de choc politique asymétrique. En effet, certaines zones du globe ont été touchées plus que les autres, et le questionnement sur le modèle économique s'est vite transformé en une question sur le modèle politique même, et l'effet domino aidant certains pays se sont vite embrasés ! Pour faire le topo sur la situation mondiale, il était fort recommandable d'assister, interventions des participants à la 3ème édition du Forum du Paris- Casablanca Round. Placée sous le thème «Bouleversements politiques, défis économiques», cette édition survient un peu plus d'une année après le déclenchement du printemps arabe et deux ans après que l'Europe ait reçu de plein fouet l'onde de choc de la crise des subprimes. De ce fait, le pourtour de la Méditerranée est devenu imprévisible et en mouvement, pour ne pas dire un laboratoire d'essais dont le résultat reste inconnu ! Lors de cette rencontre, il était donc question que chacun livre sa version des suites des évènements que nous vivons, son analyse, voire qu'il lise dans sa «boule de cristal» jusqu'où peuvent nous mener ces changements. Dans certains pays, notamment côté rive Sud de la Méditerranée, la crise économique a donné lieu à une crise sociale et des revendications qui ont eu raison de beaucoup de régimes politiques, notamment ceux de la Tunisie, de l'Egypte et de la Libye. Sur tous ce qui concerne la partie Nord, l'Irlande sanctionne par les urnes, le Portugal voit son premier ministre changer, en Grèce les émeutes, l'Espagne organise des élections anticipées, l'Italie connaît la tourmente… ! Sans oublier bien évidemment d'autres foyers de tensions, comme le Yemen, Bahrein, la Syrie, la Russie… Et le pire n'est pas derrière nous, malheureusement ! En effet, la région, pour ne parler que du pourtour méditerranéen, est toujours secouée d'un côté par une crise de la dette sans précédent, et de l'autre par un ou plutôt plusieurs printemps arabes, dont les effets ne sont pas les mêmes partout et au sujet desquels la situation est encore loin d'être stabilisée. Le Maroc garde la tête hors de l'eau De l'avis de Nizar Baraka, un nouvel ordre mondial est en train de se construire… et il ne peut se faire que sur un modèle de développement durable et plus équitable. Le printemps arabe n'est qu'une des illustrations de cette tendance. Pour lui, les bouleversements politiques que connaît la région sont une opportunité … Ils donnent naissance parallèlement à ce qu'il appelle la dictature de l'instant. En effet, la rue veut tout et tout de suite. Dans le cas du Maroc, où l'effet printemps arabe s'est traduit par ce qui est qualifié très officiellement d'avancées démocratiques, le ministre a énuméré cinq axes à suivre par le gouvernement pour répondre aux attentes et sollicitations des Marocains. Le premier est la consolidation d'une croissance exogène en maintenant les investissements publics. Sur le plan économique, l'Etat s'attellera à l'amélioration de la compétitivité de notre économie et à la diversification des marchés pour une meilleure résilience en cas de choc. Rappelez-vous la crise des subprimes qui s'est propagée dans le monde du fait du large recours à la cession des crédits bancaires d'une institution à l'autre. Ce choc financier a littéralement stoppé les commandes extérieures de l'économie marocaine à la fin de 2008 et au début de 2009 du fait notamment d'une panique rarement vue chez nos clients européens. Et encore, ce n'est pas terminé. En 2011, les économies européennes se sont à nouveaux ralenties, voire arrêtées et l'endettement de certains Etats européens devenait effrayant en l'absence de croissance. Le troisième axe développé par Nizar Baraka est le renforcement de l'attractivité. Là, encore la conjoncture est tellement morose et le climat mondial est tellement instable qu'il paraît difficile de faire mieux que les dernières années. La régionalisation, par contre, peut mobiliser les potentialités régionales et réduire les écarts entre les différentes villes du pays. Enfin, encore et toujours, l'amélioration de la gouvernance, mais on n'en dit pas plus. Aucune autre explication n'est donnée sur comment sera activée l'évaluation des finances publiques et la reddition des comptes. De plus, l'obstacle financier se posera à ce gouvernement puisque sa marge de manœuvre sera réduite avec une attente de la population très pressante. Un environnement extérieur en mouvance Pour Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, nous serions en phase de vivre la fin du monopole occidental dans la gestion du monde. En effet, tout se négocie et plus rien ne s'impose… selon Vedrine. Quoiqu'il a suffi d'un veto russe pour bloquer l'action internationale contre le régime syrien. Pour lui, le monde se partage en trois blocs, les pessimistes ou les inquiets, notamment le monde occidental, les optimistes débordant d'énergie, notamment l'Asie, puis le monde arabo-musulman qui entame un nouveau virage. Cela dit, il estime que les pays émergents ne constituent pas un seul bloc proprement dit puisqu'il y aurait une certaine rivalité entre l'Inde et la Chine. Mais qui dit nouvel ordre mondial, si jamais ordre mondial il y a, suppose de nouveaux enjeux et une reconfiguration des rapports entre pays. Pour rester dans la Méditerranée, autant dire que les rapports se corsent entre les deux rives, crise de l'euro et printemps arabes obligent. Pour Ana Palacio, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères, il y a, entre autres défis, celui de la perception. «Du Sud vers le Nord, beaucoup pensent que le Nord n'est plus ce partenaire européen du passé à cause de la crise qu'il traverse. Ils faut leur rappeler qu'il s'agit d'une crise temporaire et que l'UE est la zone la plus riche et la plus libre… Et du Nord vers le Sud, le printemps arabe se résumerait à une montée en puissance des islamistes au pouvoir. Et là, le Maroc peut jouer un rôle pédagogique pour changer cette perception et cette peur irrationnelle», poursuit A. Palacio. Mais encore, il faut relever les défis «physiques» comme la gestion des flux migratoires qui a toujours été une pomme de discorde entre les deux rives. Le Forum a été une bonne occasion d'avoir un aperçu pragmatique de l'après-printemps arabe, notamment le cas de la Tunisie à travers l'intervention de Jelloul Ayed, banquier et ancien ministre des Finances du gouvernement de transition en Tunisie. En effet, il y a des leçons à tirer de cet exemple dans le sens où dans la prise de décisions en temps de crise il ne faut pas céder à la facilité même si l'on veut faire une fleur à la foule. Jouer aux pompiers oui, mais derrière, il faut travailler sur le long terme. En Europe aussi des interrogations sont posées, notamment le niveau de solidarité des pays de l'UE entre eux. La crise ayant ravivé les inquiétudes des eurosceptiques. Bref, tellement de questions auxquelles les intervenants du Casablanca Round par leur expérience ont apporté des éclairages. Des brillants intervenants qui se sont succédé et chacun a fait sa lecture de ce que vit le monde aujourd'hui et des pistes de réflexion à approfondir pour le futur. Les uns étaient optimistes, d'autres sceptiques. Mais personne ne s'est évertué à établir un planning ou à émettre des pronostics sur la sortie de crise globale que nous vivons. Car, de tous les scénarios que les spécialistes avaient jadis dressés, notamment en 2008 et 2009, aucun n'a pu prévoir les chamboulements que nous vivons aujourd'hui. Il semblerait que tout le monde a finalement appris la leçon : nul ne peut prédire l'avenir ! Par contre, on peut toujours s'y préparer. ■ Dossier réalisé par I. Bouhrara & I. Benchanna