Un an après le lancement des premiers green bonds au Maroc, Nasser Seddiqi, directeur de la Direction des émetteurs à l'AMMC, dresse un premier bilan plutôt positif.
Finances News Hebdo : 2016 a été marquée par une levée importante de green bonds par les banques marocaines. Les obligations vertes ont-elles connu l'engouement escompté ?
Nasser Seddiqi : En effet, l'année 2016 a connu un recours significatif à ces nouveaux instruments financiers que sont les green bonds. En plus de Masen qui a réalisé une levée de 1,15 milliard de dirhams, trois banques de la place ont obtenu des visas pour la réalisation de levées de green bonds pour un montant cumulé de 3 milliards de dirhams. Pour mettre ces chiffres en perspective, le montant global des émissions obligataires par appel public à l'épargne autorisées en 2016 s'est élevé à 16,1 Mds de DH. On a donc constaté un engouement important de la part des émetteurs pour ces instruments financiers. Du côté des investisseurs, l'engouement s'est fait ressentir par la forte demande sur ce genre de papier. A titre d'exemple, l'émission de BMCE Bank, réalisée par appel public à l'épargne, a connu un taux de souscription de 8,26 fois le montant offert. Cet engouement a certes été catalysé par l'organisation de la COP22 au Maroc, mais nous constatons qu'il s'agit d'une tendance de fond qui a continué au-delà de cet évènement important. En effet, la BCP, après avoir obtenu un visa préliminaire en 2016, a procédé en 2017 à la concrétisation de son émission en levant près de 1,5 Md de DH et qui, outre son caractère vert, présente la particularité d'être libellée en devises. Par ailleurs, nous sommes sollicités en amont par certaines sociétés qui commencent d'ores et déjà à préparer leurs émissions vertes. Pour accompagner cet engouement, je tiens à rappeler que l'AMMC a procédé, avec le soutien de la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale ndlr), à la publication d'un guide sur les green bonds disponible sur notre site Internet. Ledit document élaboré de manière didactique et synthétique vise à présenter ces instruments financiers aux acteurs du marché tout en fournissant une démarche pratique pour pouvoir réaliser une émission de green bonds au Maroc.
F.N.H. : Quels sont les obstacles à l'émergence du marché des green bonds au Maroc ?
N. S. : Je suis convaincu que notre pays présente un potentiel important pour ce genre d'instruments. En effet, le Royaume est résolument engagé dans la voie du développement durable et dispose par conséquent d'un vivier non négligeable de projets verts, par exemple dans le domaine des énergies renouvelables, que le marché pourrait financer à travers des green bonds. Toutefois, et comme partout ailleurs dans le monde, le développement du marché des obligations vertes peut se heurter à certains freins. Un premier obstacle a trait à la perception qu'ont certains émetteurs par rapport aux coûts associés à l'émission de ces obligations. En effet, d'une part, ces instruments engendrent des coûts supplémentaires par rapport à une émission classique puisqu'il faut recourir à des prestataires externes pour la structuration de l'instrument, la revue de son caractère vert, la mesure des impacts environnementaux, etc. D'autre part, les émetteurs de green bonds doivent mettre en place des procédures pour le suivi des émissions et la communication sur les impacts des projets financés ou refinancés par le produit de l'émission verte. Toutefois, il est important de noter que les coûts additionnels de réalisation de l'émission peuvent être absorbés par le différentiel de taux de sortie si l'émetteur attire les investisseurs de plus en plus sensibles aux questions environnementales et qui recherchent une exposition sur ce genre d'instruments en particulier. Un autre obstacle est relatif à la taille des projets ou initiatives vertes éligibles à un financement par des green bonds. En effet, la transition vers une économie verte nécessite la mise en place de projets qui, pris isolément, peuvent ne pas avoir la taille minimale pour une sortie sur le marché. Il est important que ces petits projets puissent être groupés dans des pools assez gros pour attirer les investisseurs. Nous pensons que les banques ont un rôle à jouer dans cette configuration, puisqu'elles peuvent procéder au refinancement par des green bonds de leurs portefeuilles de «petits» projets verts.
F.N.H. : Justement, à quelle instance revient la responsabilité du suivi des projets financés dans le cadre d'une ligne de financement verte ?
N. S. : Le caractère vert des projets, leur éligibilité au financement par les green bonds ainsi que la conformité du cadre prévu par l'émetteur avec les standards internationaux relatifs à ces instruments sont vérifiés par un tiers indépendant et qualifié au moment de l'émission. En outre, l'émetteur définit, en respectant les standards internationaux en la matière, la fréquence et le contenu du reporting qu'il va fournir aux investisseurs, tout au long de la vie des titres, sur l'affectation et la gestion des fonds ainsi que sur les impacts environnementaux de ses projets. Ce reporting périodique est rendu crédible grâce à l'intervention de tiers indépendants, tels que les commissaires aux comptes qui certifient les informations relatives à l'affectation des fonds et aux soldes non encore affectés, ou les vérificateurs indépendants qui sont appelés à certifier l'exactitude des impacts environnementaux réalisés. Enfin, l'AMMC vérifie que les standards précités, permettant de s'assurer du caractère vert de l'emprunt obligataire, ont bien été appliqués par l'émetteur et s'assure que celui-ci respecte l'ensemble des engagements d'information qu'il a pris au moment de l'émission. ■