■ Les conjonctures nationale et internationale ne permettent pas de réaliser un taux de croissance de 7%. ■ Le PJD a fait de la bonne gouvernance son cheval de bataille. Il veut faire passer des messages lors de son investiture. ■ Le point avec Driss Benali, économiste. ✔ Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur le programme du PJD, surtout sur le plan économique ; est-il réaliste et réalisable ? ✔ Driss Benali : C'est un programme tout d'abord destiné aux élections. Tout programme électoral, surtout au Maroc, a pour principal objectif de séduire les votants et de verser un petit peu dans l'optimisme sinon dans la démagogie. L'électorat n'a pas l'habitude dans ce pays de discuter des programmes, contrairement à des pays traditionnellement démocratiques. L'électorat qui est regardant sur les détails est la classe moyenne, elle n'a pas participé aux élections. 45% du taux de participation sur un nombre d'inscrits de 13 millions et le nombre en âge de voter dépassant les 18 millions. Je dois préciser que ce scrutin est un vote sanction. ✔ F. N. H. : Contre qui ? ✔ D. B. : Contre le gouvernement et l'Etat marocains. Si on veut analyser d'une manière réaliste, il y a un mécontentement très fort. ✔ F. N. H. : Ça n'empêche que l'Istiqlal, chef de file du gouvernement, s'est classé 2ème ? ✔ D. B. : C'est un parti très enraciné au Maroc, surtout dans le monde rural. Il a une organisation et un système d'encadrement qui font la proximité. Cela lui permet une certaine stabilité dans les élections. Si vous prenez Chabbat à Fès, il fait beaucoup de proximité, vous ne pouvez pas le déloger. Alors que les autres partis ne le font pas. ✔ F. N. H. : Pour revenir au programme concernant le volet économique, 7% de croissance comment le jugez-vous? ✔ D. B. : 7% ne sont pas réalisables dans les années à venir. La conjoncture internationale très morose ne le permet pas. Sur le plan interne, il y a un déficit budgétaire qui se dirige vers les 5%, il y a la Caisse de compensation qui va dépasser les 50 Mds de DH, il y a la balance commerciale structurellement déficitaire et il y a les réserves en devises qui ne cessent de diminuer. Il faut préciser que le premier partenaire du Maroc, c'est l'Europe qui passe par des moments difficiles, l'un des plus terribles après la Seconde Guerre mondiale. Les prestations vers ce marché vont souffrir, les transferts des MRE aussi, les investisseurs européens au Maroc et le tourisme aussi seront pénalisés. Le FMI a avancé un taux de croissance, dans les meilleurs des cas, ne dépassent pas 4,5%. Si le Maroc réalise ce seuil, c'est déjà beaucoup pour 2012 et 2013. En supposant encore que l'année agricole sera favorable. Pour avoir 7%, il faut un miracle. Mais pour des raisons électorales, ils ont raison d'annoncer ce chiffre. En fin de compte, les partis se sont tous inspirés de la Banque mondiale. Le Maroc ne pourrait résoudre ses problèmes qu'à partir de 6 à 7% de croissance. A 6%, il va stabiliser le chômage, à 7% il va commencer à le résoudre. Pour que le Maroc devienne une économie émergente, il faut absolument qu'il atteigne les 7%. Autrement, les problèmes vont rester les mêmes. ✔ F. N. H. : Est-ce que le PJD peut trouver un terrain d'entente avec l'Istiqlal et les autres formations de la Koutla ? ✔ D. B. : Le PJD et l'Istiqlal sont deux idéologies très proches. L'Istiqlal est lui aussi un parti conservateur nationaliste, reposant sur des valeurs religieuses. Pour les autres partis de la Koutla (USFP et PPS), je crois que la gauche est finie. ✔ F. N. H. : Comment expliquez-vous alors cette chute de la gauche qui se confirme à chaque échéance électorale ? ✔ D. B. : La gauche ne veut pas renouveler ses élites, son discours et son idéologie. Elle garde toujours des têtes archéologiques à la tête des partis. On ne peut pas concurrencer les forces politiques sur place avec des figures qui ont trop duré sur la scène. Radi, El Yazghi, El Malki, Oualaou… c'est la casse. Le PPS lui aussi n'arrive pas à renouveler ses pratiques, son discours ne passe pas. Il a accueilli quelques notables qui ont terni son image. C'est un parti qui a été poussé par l'Etat. Depuis que l'Etat est neutre, il s'est effondré. ✔ F. N. H. : Pour l'extrême gauche, est-ce que vous pensez que la politique de la chaise vide et du boycott est pertinente ? ✔ D. B. : Ce que je reproche à cette extrême gauche, c'est qu'elle campe toujours sur les idéologies marxistes-léninistes. Elle fait la politique avec la morale alors que la politique c'est l'art du possible. Ce que j'apprécie chez ce courant c'est sa fierté et il ne se prostitue pas comme les autres. Les Marocains ont une caractéristique, ils sont serviles. Il ne faut pas confondre respect et servilité. Etre respectueux à l'égard du chef de l'Etat c'est bien. Etre servile, c'est autre chose. ✔ F. N. H. : Pour maîtriser les dépenses, le PJD a proposé un gouvernement restreint avec 15 ministres et 15 secrétaires d'Etat ; quel est votre commentaire ? ✔ D. B. : Cela fait partie de la symbolique. Le parti veut marquer son arrivée par des messages en direction de la société. Le PJD a fait de la bonne gouvernance son cheval de bataille. ✔ F. N. H. : Malgré le raz-de-marée du PJD est-ce que vous pensez qu'il a les cadres compétents pour diriger le gouvernement surtout dans les départements clés ? ✔ D. B. : Oui c'est vrai. Il est plus difficile de camper sur un discours d'opposition et de gagner la confiance de l'électorat. Mais au gouvernement c'est autre chose et ça c'est arrivé à l'USFP qui a perdu beaucoup de sa crédibilité et de sa popularité une fois arrivée au pouvoir. Le PJD s'il est malin, doit faire appel à des compétences de l'extérieur et chaque ministre du parti devra avoir dans son cabinet des experts, pas forcément politisés. ✔ F. N. H. : Est-ce que vous pensez qu'il y aurait une rupture et une nouvelle vie en matière de politique générale ? ✔ D. B. : Avant les élections, on n'a pas arrêté d'annoncer de nouvelles élites. Mais où sont-elles ? Dans ce pays, les gens qui ont la crédibilité et les compétences nécessaires se sont retirés de la politique, estimant que le jeu était biaisé. Au Maroc, j'ai le sentiment que la mauvaise monnaie chasse la bonne. Les élites on ne les fabrique pas, elle émergent du système. La vie politique est un marché comme le marché économique. ■ Propos recueillis par C. Jaidani