* Les électeurs continuent de voter plus pour les individus que pour leurs programmes. * Outre les grands chantiers, redonner confiance aux citoyens doit être une priorité du prochain gouvernement. Finances News Hebdo : Est-ce que le programme économique était déterminant dans le choix des candidats ? Driss Benali : Je ne crois pas. Les Marocains votent plus pour les individus que pour leurs partis et ce phénomène se manifeste surtout en milieu rural. C'est ce qui explique la déchéance de très grosses pointures comme des ministres ou chefs de partis. D'autres facteurs sont déterminants comme la nature du discours. Les Islamistes du PJD ont fait une erreur tactique. Au lieu de muscler leur discours, ils l'ont atténué pour plaire au Makhzen. Plusieurs partis ont joué sur la notabilité et ça n'a rien à voir avec le programme de leur parti. Le PPS a fait une progression par rapport aux précédentes élections car une partie de ses élus sont des notables qui n'ont rien à voir avec l'idéologie du parti. Pour que les élections soient passionnantes et attractives pour les citoyens, il faut qu'elles se déclinent en cinq ou six axes majeurs et chaque parti apporte sa vision sur laquelle le gouvernement constitué sera jugé. F. N. H. : Comment expliquez-vous l'ascension de l'Istiqlal ? D. B. : L'Istiqlal a procédé à un rajeunissement de ses candidats et a donné un nouveau souffle à son discours. Le parti a joué également sur le travail de proximité, aidé en cela par le travail de bonne qualité de ces trois ministres , Douiri au Tourisme, Hjira à l'Habitat et Ghellab au Transport et à l'Equipement sans oublier, bien sûr, certains présidents de communes comme Hamid Chabat à Fès. F. N. H. : Mais avec un taux d'absentéisme élevé, peut-on s'attendre à une vie politique normale ? D. B. : L'Etat et les partis politiques ont reçu une gifle. Leur capacité de mobilisation s'est avérée inapte. La première lecture des résultats montre que ceux qui ont voté sont les femmes, les ruraux et les adeptes du religieux. La classe moyenne a fait défection. Mais ça n'empêche que le scrutin s'est passé dans de bonnes conditions selon tous les observateurs nationaux ou étrangers. L'essentiel est que l'Etat devienne crédible et le jeu électoral transparent. Le citoyen a besoin de temps pour reprendre confiance et les partis politiques ont un grand travail d'encadrement à faire. F. N. H. : A moins qu'il y ait une surprise c'est l'actuelle coalition, qui dispose d'une majorité confortable, qui va former le prochain gouvernement. Quelles seraient ses priorités ? D. B. : Outre la poursuite de la réalisation des grands chantiers et la consolidation des acquis sociéconomiques, la nouvelle équipe doit avoir un travail de proximité et être à l'écoute des citoyens. Le Maroc a une crise de leadership. Aucun parti ne peut exercer du charisme sur la population. Les formations politiques doivent faire preuve d'imagination. Un bon ministre c'est quelqu'un qui peut animer une équipe. De Gaulle a fait de la France la 4ème puissance économique mondiale sans avoir les connaissances économiques nécessaires. F. N. H. : Pensez-vous qu'il faut aussi une opposition forte ? D. B. : Un pouvoir, pour qu'il fonctionne adéquatement, a besoin d'un contre-pouvoir. Le travail du gouvernement ne sera contrôlé efficacement qu'avec une opposition forte. L'USFP avait cette capacité mais elle l'a perdue. Ceux qui décident ne sont pas devant l'électorat. Il faut une réforme constitutionnelle précisant les attributions des uns et des autres où l'opposition peut s'exprimer pleinement. Il faut aussi barrer la route aux opportunistes politiques qui visent plutôt le gouvernement, au lieu d'être des acteurs actifs dans la vie nationale. F. N. H. : Mais entre les islamistes et la gauche radicale une coalition de l'opposition est impossible ? D. B. : Le discours populiste de la gauche est fortement concurrencé par le discours populiste des islamistes et les deux formations se réfèrent à deux idéologies tout à fait différentes. L'union formée par les partis du PADS-CNI-PSU a de très bons candidats et un très bon programme, pourtant elle n'a pas pu avoir un positionnement de référence lors du scrutin du 7 septembre . Elle confond la politique et la morale alors que la politique est l'art du possible. Le discours utilisé est d'un niveau soutenu qui n'est pas à la portée de tous les Marocains, alors que celui des islamistes est trop populiste et laisse méfiant la classe moyenne et les élites.