Délai de paiement de 10 mois pour les TPE. Une combinaison d'effets structurels a engendré une surmortalité des entreprises au Maroc. Finances News Hebdo : Qu'est-ce qui justifie cette tendance à l'endettement bancaire par les entreprises au détriment d'autres sources de financement comme la dette obligataire, la dette extérieure et surtout l'autofinancement ?
Amine Diouri : Les chiffres de Bank Al-Maghrib montrent clairement que l'encours du crédit bancaire aux entreprises a très faiblement augmenté en 2016, et encore du fait de la reprise du crédit d'investissement pour le financement de grands projets. Maintenant, le crédit bancaire n'est pas la principale source de financement. Du fait de l'augmentation très forte des délais de paiement (10 mois pour les TPE) depuis 2010 et, par conséquent du besoin en fonds de roulement non couvert par l'encours de trésorerie, le crédit interentreprises a cru à un rythme 2 fois supérieur au crédit bancaire sur la période 2010-2015 pour devenir la principale source de financement des entreprises. Par ailleurs, si l'on se concentre sur les catégories d'entreprise, celles-ci ont des sources de financement distinctes selon leurs tailles. Par exemple, pour les TPE (CA inférieur à 10 millions de dirhams), les fonds propres et comptes d'associés représentent les deux-tiers de leurs sources de financement. Vient ensuite le crédit interentreprises. Et en 3ème position seulement le crédit bancaire (trésorerie et investissement).
F.N.H. : Quelle lecture faites-vous de cet endettement, qui profite au financement de l'immobilier et non à l'innovation, l'extension des activités ou encore la prospection de nouveaux marchés ?
A. D. : Je ferai une analyse par objet de crédit. Du fait du fort allongement des délais de paiement, nous voyons que les TPME ont un besoin important en crédits de trésorerie (exploitation, exportations, innovation). Or, nous constatons qu'en 2016, l'encours de trésorerie pour les sociétés non financières a encore baissé. Le véritable problème est là, car les entreprises sont obligées d'alimenter le crédit interentreprises ou de disparaître.
F.N.H. : BAM note une aggravation de la situation financière des entreprises non financières depuis 2013. Comment expliquer cet état de fait ?
A. D. : Par dégradation financière, on pense en premier à celle de leur trésorerie particulièrement pour les TPME. La raison, nous la connaissons, je l'ai exposée plus haut. A côté de cela, certaines catégories comme les TPE ont vu leur CA global baisser, corrélé à une nette dégradation de leur rentabilité.
F.N.H. : Quel commentaire faites-vous des déclarations de faillite qui ont atteint 3.800 entreprises entre novembre 2016 et février 2017 ?
A. D. : Il y a une combinaison d'effets structurels (délais de paiement que subissent particulièrement les TPE, et cela malgré la modification de la loi qui inclut désormais les entreprises publiques, mais dont l'entrée en vigueur ne sera effective qu'en 2018) et conjoncturels. En effet, dans le cas des marchés publics, l'absence de gouvernement pendant plusieurs mois a bloqué ces marchés, notamment les paiements, du fait de l'absence de décisionnaire. Cela a été la goutte d'eau pour des entreprises déjà au bord de l'asphyxie. Résultat, nous avons assisté à une surmortalité d'entreprises (c'est-à-dire qui dépasse un trend normal). ■