Ecrit par Imane Bouhrara | A l'heure où la relance économique est dans tous les discours, un volet important relatif au dialogue social s'invite au débat. Surtout après cette période chaotique pour les travailleurs qu'a constitué la pandémie du Covid-19. Comment faire dès lors de ce mécanisme un véritable levier de développement économique et de paix sociale, sans évoquer la liberté et la représentativité syndicales dans notre pays ? La conjoncture nationale se trouve à un véritable tournant : une relance économique enclenchée pour réduire les effets de la crise sanitaire, une transition politique qui place l'Etat social au cœur des priorités et un monde de travail et un tissu productif en constante évolution grâce aux évolutions technologiques. Dans un tel contexte quelle place sied au dialogue social comme unique canal de communication entre acteurs économiques et sociaux avec l'Etat au milieu ? Surtout dans un climat de défiance entre différents partenaires de ce dialogue. Au Maroc, le CESE a déjà rendu public deux avis, le premier est relatif au projet de loi 24-19 portant sur les organisations syndicales, sur demande du chef de gouvernement et le deuxième sur le projet de loi de création d'un Conseil national du dialogue social suite à une demande de la Chambre des conseillers. Comme le rappelle le président du CESE à l'ouverture de la rencontre tenue en mode visio, le dialogue social est au cœur des missions consultatives du CESE qui comprend la facilitation et l'appui la concertation et la coopération entre les partenaires économiques et sociaux et la contribution à l'élaboration d'une charte sociale tel que stipulé dans sa loi organique. Ahmed Réda Chami a d'ailleurs insisté sur l'importance de mettre en place et d'institutionnaliser un système maroco-marocain de dialogue social, surtout dans le contexte actuel. D'autant que malgré les progrès réalisés dans ce domaine, le bilan reste en deçà des attentes des acteurs, aux défis qu'imposent les évolutions économiques mondiales et aux exigences du développement économique et social pour notre pays, soutient-il. Un avis partagé par les différents intervenants ayant pris part à cet atelier de restitution, qui a été l'occasion de prendre la pleine mesure des attentes des syndicats. Comme l'explique Khalid Essatte, Conseiller parlementaire/ UNTM, les différentes conventions collectives signées au Maroc depuis 1996 restent circonstancielles et à un niveau faible d'une convention par mandat gouvernemental, exception faite du mandat de Benkirane où la convention collective qui, en juillet 2016, n'a pas abouti à cause de calculs politiciens qui ont privé les travailleurs d'acquis importants tels que l'amélioration des revenus, le dossier de la retraite, la nouvelle échelle, les allocation familiales ou encore l'indemnité du travail dans les zones reculées. « Réussir le dialogue social est une responsabilité commune entre le gouvernement, les centrales syndicales et la CGEM. Le gouvernement est tenu de dépasser les obstacles et éviter tout ce qui est de nature à entamer la qualité de ses relations avec les syndicats comme il doit garantir les conditions de réussite de ce dialogue. Au niveau syndical, le défi est de prémunir l'action syndicale et les revendications des travailleurs d'une exploitation à des fins politiques et des conflits politiques de manière générale ». Pour réussir à institutionnaliser ce dialogue social, aussi bien au niveau central, local ou régional ou encore sectoriel, le Conseiller propose la tenue de deux sessions de dialogue. La première en septembre/octobre pour concerter avec les centrales syndicales et la CGEM sur les orientations générales du PLF avant son approbation, chose que n'a pas fait le gouvernement Akhannouch. Et ce bien que le CESE recommande, conformément à l'article 13 de la Constitution, la mise à contribution des acteurs sociaux dans l'élaboration des politiques publiques, leur mise en œuvre et leur évaluation. Pour la seconde session du dialogue social, Khalid Essatte propose sa tenue durant le mois d'avril pour couronner le dialogue social avec la célébration de la fête du travail chaque 1er mai. Pour sa part, Mohamed Zouiten, également de l'UNTM, estime que pour faire aboutir les recommandations du dialogue social, il est nécessaire une réelle volonté commune partagée par l'ensemble des parties prenantes, ainsi qu'un respect le plus total des référentiels constitutionnel, législatif ainsi que le respect des engagements pris par le Maroc dans le cadre des conventions internationales. Or, et comme le montrent les travaux du CESE, il existe des dysfonctionnements qui entament la légitimité du dialogue social et du crédit qui lui accordé, alors que c'est levier de paix sociale et de médiation entre entreprises et travailleurs. Et l'un des éléments pointés du doigt par les centrales syndicales est la garantie des libertés syndicales, un point qui est au cœur du bras de fer entre Etat et syndicats et qui ne balise pas la voie vers un climat sain de dialogue social. Comment inscrire le dialogue social dans une démarche constructive et l'institutionnaliser alors que les partenaires sociaux sont considérées comme un maillon faible et à l'heure où l'Etat se trouve être juge et partie. En effet, le Maroc n'a pas ratifié la convention internationale 87. Pis encore, les syndicats n'ont de cesse appelé à l'abrogation de l'article 288 du code pénal relatif aux libertés syndicales. « Pire encore, certains responsables de l'Intérieur continuent de bafouer les droits syndicaux en refusant l'octroi des reçus de création de bureaux syndicales sans motifs et en infraction aux lois en vigueur », déplore Khalid Essatte. Il estime également que le dialogue social est intimement lié à la question de la représentativité syndicale puisqu'il estime que les élections professionnelles ne traduisent pas réellement cette représentativité en raison d'un cadre réglementaire désuet datant des années 50. « Il est illogique qu'il existe 4.000 représentants pour 120.000 fonctionnaires du secteur des collectivités territoriales alors qu'un secteur comme l'Education qui compte 300.000 fonctionnaires n'a que 498 représentants. La majorité des centrales syndicales sont unanimes sur l'importance de réformer les lois relatives aux élections professionnelles, un chantier ouvert en 2008 puis clos sans raison », soutient-il. Idem Pour Mohamed Zouiten qui estime qu'il faut renforcer l'exercice effectif des libertés syndicales et une maîtrise des rôles et mécanismes de gestion des syndicats de même que d'apporter des garanties aux représentants syndicaux pour construire une relation saine en faveur des travailleurs et des entreprises à la fois. Parmi les recommandations du CESE sur le dialogue social, il y a lieu de retenir deux éléments importants, notamment l'élargissement de l'agenda du dialogue social pour y inclure des sujets nouveaux et diversifiés (travail décent, amélioration du pouvoir d'achat, réhabilitation, formation et valorisation du capital humain, égalité des sexes en matière d'emploi, renforcement de la compétitivité et de la productivité…) et l'ouverture à de nouveaux acteurs tels que la société civile, les universitaires et les centres de réflexion, traduisant ainsi les valeurs de la participation et de la coopération civiques pour jeter les bases d'une nouvelle génération des systèmes de dialogue social.