Le Conseil d'Ahmed Reda Chami a livré sa vision globale de la refonte du dialogue social pour plus d'harmonie entre les acteurs sociaux. En plus d'une modification législative, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) insiste sur la nécessité d'un changement de mentalité et du renforcement du dialogue social au sein de l'entreprise. Détails. Durant les dix dernières années, les rapports tendus entre les syndicats et les gouvernements précédents ont pénalisé le dialogue social. Faute de convergence idéologique et de visions communes du marché de travail, les gouvernements à orientation libérale et la classe ouvrière ont eu du mal à s'entendre sur de nombreux dossiers, dont des réformes importantes qui traînent toujours dans les tiroirs du Parlement. On en cite des réformes structurelles telle que la loi relative aux organisations syndicales et celle relative au droit de grève qui a vivement opposé les syndicats au gouvernement El Othmani. Maintenant qu'il y a un nouveau gouvernement qui souhaite ouvrir une nouvelle page et renouer le dialogue avec les centrales syndicales, comme prévu dans le programme gouvernemental, l'espoir renaît. Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch s'est engagé devant les députés à promouvoir le dialogue social sur une nouvelle base solide. L'Exécutif n'a pas tardé à afficher ses bonnes intentions en lançant des discussions autour de l'augmentation des salaires des enseignants. Serrer les liens entre l'Exécutif et la force du travail du pays est d'autant plus nécessaire que le Nouveau Modèle de Développement (NMD) prône une institutionnalisation du dialogue social. Ce que défend ardemment le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui plaide pour une révolution culturelle dans ce sens. Dans un nouveau rapport, le Conseil a appelé à instaurer « une nouvelle génération du dialogue social au Maroc », tout en livrant une feuille de route pour parvenir à un dialogue institutionnalisé, qui puise ses sources dans une culture enracinée dans la société. Pour un dialogue serein, inclusif et efficace Pour parvenir à cette fin, le Conseil présidé par Ahmed Reda Chami livre une série de recommandations. Trois pistes sont préconisées : une réforme du cadre juridique, une approche sectorielle et le renforcement du dialogue au sein de l'entreprise. Pour le volet juridique, il est vital aux yeux du CESE de mettre en place une loi-cadre du dialogue social qui redéfinit les bases du dialogue sur une base purement participative avec des objectifs clairs aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé. A cet égard, un grand effort attend le gouvernement en ce qui concerne la loi sur les organisations syndicales et celle relative au droit de grève qui devraient redéfinir les droits et obligations des syndicats. Lesquels n'ont pas du tout apprécié les textes présentés par l'ex-ministre de l'emploi Mohammed Amekraz, jugés régressifs en matière de libertés syndicales. Pour faciliter le dialogue, il est préconisé, selon le rapport, d'adopter une approche plus participative avec une négociation tripartite qui inclut toutes les parties concernées, à savoir le Patronat, l'Etat et les syndicats. En tout cas, les réformes susmentionnées doivent impérativement être conformes aux normes de l'Organisation Mondiale du Travail (OIT), estime le document. En plus, le Conseil propose en parallèle de hisser le Conseil de négociation collective au rang d'Instance nationale consultative. En même temps, l'approche sectorielle est tout aussi importante que l'approche juridique. En plus des lois, il faut veiller à une meilleure représentativité des salariés dans le dialogue social, juge le Conseil, qui appelle à créer des comités nationaux et régionaux pour chaque secteur productif. L'Entreprise : épicentre du dialogue social Au-delà des généralités, l'Entreprise, en tant que l'un des principaux lieux de création de la richesse, demeure la source des luttes sociales et des confrontations de fond entre Capital et Travail. Pour cette raison, il faut absolument accroître la représentativité des salariés au sein des entités de travail, plaide le rapport, qui propose dans ce sens que ces derniers soient unifiés dans « un comité de l'entreprise ». Lequel doit être élargi sur un nombre plus élevé de sociétés, par la baisse du seuil édicté dans l'article 464 du code du travail. En clair, on crée un comité d'entreprise dans une société pour peu qu'il y ait 11 salariés au lieu des 50 exigés actuellement. Le Rapport encourage les entreprises à conclure des conventions collectives avec les représentants des salariés. C'est ce qu'a également mentionné le rapport du Nouveau Modèle de Développement qui prône un dialogue social « dynamique et efficace, capable de faire évoluer les droits sociaux et le droit du travail, (...) dans le cadre de conventions collectives ». Il convient de noter ici que les négociations entre les patrons et les représentants sont souvent difficiles vu que le rapport de forces est souvent déséquilibré (salaires, conditions de travail, temps de travail... la négociation est souvent difficile). D'où la nécessité de la régulation qui n'en est pas moins indispensable pour niveler les rapports de forces. Pour une révolution culturelle Outre la forme, le Conseil Economique, Social et Environnemental juge qu'un changement de mentalités est indispensable pour enclencher une révolution culturelle qui fait que le dialogue social soit enraciné dans le corps de la société, tous acteurs confondus. Pour ce faire, il faut de la formation et de la sensibilisation. Le CESE recommande de former aussi bien les salariés que les patrons dans les techniques de négociations, sans exclure les syndicalistes et les agents des collectivités territoriales. Le rapport va encore plus loin en appelant à inculquer la culture du dialogue social aux jeunes générations à l'école. Ceci dit, celle-ci doit être apprise dans le cadre de l'éducation civique. Concernant la société civile, sa sensibilisation dépend en grande partie des médias, dont le rôle est irremplaçable, selon le rapport d'Ahmed Reda Chami. Rappelons que le nouveau modèle de développement plaide pour un nouvel Etat social grâce à un nouveau contrat social, ce à quoi le gouvernement Aziz Akhannouch s'est engagé dans son programme gouvernemental, qui a eu la confiance du Parlement. En plus de la couverture sociale universelle qui constitue le ciment du nouvel Etat auquel aspire le pays, le dialogue social n'en est pas moins un pilier de cet édifice. Le rapport de Chakib Benmoussa avait plaidé en faveur d'un dialogue social « régulier, qui intègre les transformations en cours et à venir du monde du travail ». « Les mutations technologiques engendrent de nouvelles formes de relations de travail, conjuguant autonomie, activité en réseaux et travail à distance. Ces formes de travail, qui vont s'étendre au cours des prochaines années, s'accompagnent de nouvelles modalités contractuelles et statuts, à l'instar du statut d'autoentrepreneur en corollaire à la formalisation croissante des activités individuelles », avait souligné le rapport du NMD. Anass MACHLOUKH Vivement la démocratie participative En plus du secteur privé, le secteur public est tout aussi concerné par la nécessité de changement de conduite du dialogue social. Le rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental veut que ce dialogue soit un instrument au service des politiques publiques. A ce titre, il est proposé d'activer les instances consultatives prévues dans les textes d'application des lois relatives aux collectivités territoriales. En plus, le rapport appelle à associer, en plus des acteurs traditionnels, d'autres intervenants dans le dialogue social. Il s'agit, selon le document, des experts, des chercheurs, des acteurs de la société civile, afin d'apporter leurs vues et enrichir le débat. En effet, le dialogue social doit transcender les sujets qui relèvent strictement du travail pour s'étendre sur d'autres sujets de plus grande envergure tels que le chômage, l'intégration des femmes dans le marché de travail, l'investissement et l'écologie.