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Plaidoyer pour le Nouveau Modèle de Développement : faits et arguments
Publié dans EcoActu le 02 - 07 - 2021

Les premières réactions aux propositions de la CSMD sur le nouveau modèle de développement, soulèvent des questions qui méritent d'être traitées et diligentées par la Commission. Certaines lectures appellent des clarifications, certaines critiques sont à prendre au sérieux. Un exercice sur lequel s'est attelé Noureddine El Aoufi, Professeur d'économie et membre de la CSMD, dans ce plaidoyer à lire attentivement !
Ouvrons le débat, concitoyens !
1. Débat public. Le débat public sur le Nouveau modèle de développement (NMD) dont le rapport a été présenté à Sa majesté le Roi et rendu public par la Commission spéciale sur le modèle du développement (la Commission par la suite) le 25 Mai 2021 ne fait que commencer. J'espère qu'il puisse s'élargir à tous les forums : citoyen, associatif, politique, institutionnel, professionnel, syndical, académique, universitaire etc. Une « prise en charge » par la société tout entière des propositions de la Commission est susceptible de dégager (ou non) un consensus validant (ou invalidant) celui qui s'est élaboré au sein de la Commission.
1. Délibération grandeur nature. C'est la délibération « grandeur nature » qui est susceptible de faire apparaître si la Commission a correctement (ou non) rempli son mandat, si elle a réussi (ou pas) à incarner une posture d' « agent représentatif » et à traduire dans son rapport général et ses autres documents, la synthèse des ambitions, choix stratégiques, priorités, attentes, etc. exprimés par les citoyens.
Les premières réactions, dont j'ai pu prendre connaissance, soulèvent des questions qui méritent d'être traitées et diligentées par la Commission. Certaines lectures appellent des clarifications, certaines critiques sont à prendre au sérieux.
1. Faits et arguments. Je souhaite prendre part, très modestement, à ce débat public et y apporter une contribution, à titre à la fois personnelle et en tant que membre de la Commission, en termes de « faits et arguments » à certaines thématiques récurrentes dans cette première vague d'interactions relatives au contenu du NMD. Je tenterai de mettre l'emphase d'abord sur ce qu'on pourrait appeler la « grammaire » du NMD pour ensuite aborder les questions relatives à l'idée de développement et à son essence, au principe de consensus, à la pragmatique de réforme et à son dispositif procédural, c'est-à-dire à la question du « comment », comment traduire le NMD en principe réalité et garantir son effectivité.
Grammaire du nouveau modèle de développement
1. Penser marocain. Le mandat de la Commission était clair (Discours Royal, 2019) : élaborer un NMD marocain, par les Marocains, pour les Marocains. Cette approche est tout sauf habituelle dans notre pays. La plupart des stratégies engagées dans différents secteurs sont le fruit d'un travail accompli par des cabinets de conseil internationaux. J'ai souvent critiqué le recours systématique à l'expertise internationale, notamment lorsque l'expertise nationale est capable de faire aussi bien en termes scientifiques et techniques et mieux en termes d'approche compréhensive et empathique. Faire confiance à l'intelligence collective marocaine, donner la préférence à l'expertise nationale, on doit s'en réjouir et on doit saisir le sens profond d'une telle démarche souveraine.
1. Penser avec les citoyens. Certaines réactions de citoyens ont trait à la nature des travaux de la Commission. Là aussi le mandat était clair : élaborer le NMD sur la base d'une démarche participative ouverte de façon aussi large que possible sur l'ensemble des acteurs institutionnels, politiques, professionnels, syndicaux, associatifs. La Commission a organisé des auditions d'experts (y compris étrangers) et a eu, hors contraintes imposées par la pandémie, des échanges sur le terrain avec les citoyens, notamment les jeunes et les femmes qui ont formulé directement, avec des mots simples et profonds, leur conception du NMD.
1. Intelligence marocaine. Tous ces retours de terrain, toutes les contributions écrites et orales des acteurs, toutes les paroles d'experts ont alimenté et éclairé la Commission. Cette dernière n'a pas transcendé cette intelligence collective et citoyenne qui a enrichi substantiellement la réflexion de ses membres. La Commission n'a pas travaillé en extériorité par rapport aux flux dense de propositions pertinentes faites par les citoyens ayant pris part à la démarche participative, sa réflexion est en phase avec le design thinking citoyen. Par conséquent, il n'est pas juste de qualifier la démarche de la Commission de démarche technique, voire technocratique et opérant dans une tour d'ivoire.
1. Condensation stylisée. Les « livrables » produits par la Commission (Synthèse, Rapport général, Recueil des notes thématiques, des paris et projets, Restitution des écoutes et des contributions) forment l'output final de l'ensemble cumulé des inputs qu'elle a pu recevoir et traiter et des « documents de travail » élaborés par les membres. Le rapport est, à l'arrivée, une remontée des ressentis des citoyens, une condensation stylisée, une synthèse qui se veut cohérente d'une pensée collective débordant largement le périmètre étroit de la Commission, une pensée collective renouant avec l'idée de développement dans notre pays.
Idée de développement
1. Voie marocaine de développement. L'idée de développement qui ressort de l'exercice participatif a débouché sur ce que pourrait être la « voie marocaine du développement ». En voici les principes vectoriels :
i) la priorité donnée aux « fondamentaux » du développement : éducation et santé pour tous, économie productive et résiliente, durabilité, inclusion, bien-être social, libertés élargies, égalités renforcées (hommes-femmes, sociales, spatiales). Le développement englobe la croissance mais ne s'y réduit pas.
ii) La recherche d'un équilibre optimal et dynamique entre Etat/marché, public/privé, efficacité/équité, compétitivité/productivité, liberté/responsabilité. Le NMD opère une rupture avec les démarches dualistes, le « et » est plus vertueux que le « ou ». Il n'y a pas antagonisme, mais complémentarité.
iii) L'articulation des différentes temporalités du développement. Les choix stratégiques sont des choix de long terme et relèvent des fondamentaux ou des constantes du développement. Les politiques gouvernementales de court-moyen terme doivent être cohérentes avec les objectifs stratégiques du développement.
1. Démocratie procédurale. Les fondamentaux du développement ne sont pas, comme d'aucuns l'ont souligné, inter temporels et rien n'interdit que le débat public puisse porter aussi sur les choix définis à l'horizon 2035. Il n'est pas non plus vrai que le champ a été préempté, ou verrouillé par l'offre du NMD, que les partis politiques n'ont plus de marge et que la procédure démocratique a été réduite à la portion congrue. Au contraire, l'existence d'un référentiel stratégique ne peut que contribuer à clarifier le périmètre, qui est incommensurable, de la compétition politique et à centrer le jeu électoral plus sur des programmes en phase avec le mandat gouvernemental que sur des choix de long terme qui ne peuvent être fixés par une majorité parlementaire et gouvernementale, mais par la Nation tout entière par consensus.
Consensus
1. Possibilité de choix collectifs. La recherche de consensus sur les fondamentaux du développement est dictée, précisément, par ce que les économistes appellent l' « impossibilité des choix collectifs », c'est-à-dire par le fait qu'il existe dans notre pays une pluralité de préférences et que les intérêts des uns et des autres sont divergents. Le consensus rend possible le choix collectif. Des divergences d'ordre intellectuel et doctrinal ont été exprimées, de façon franche et honnête, au sein de la Commission sur la plupart des choix et des préférences du NMD. Mais le dissensus n'empêche pas le consensus lorsqu'il s'agit de l'intérêt général et de choix susceptibles de favoriser le vivre ensemble, la cohésion sociale, la confiance réciproque, la responsabilité de tous. Le consensus n'est pas le compromis, car l'avenir du pays n'est pas négociable.
1. Consensus d'arguments. Le consensus dont il s'agit est un « consensus d'arguments » (Habermas). Il est fondé sur la délibération rationnelle et pragmatique, elle-même fondée sur une discussion argumentée et tirée par le principe de cohérence du NMD. Ce n'est pas l'unanimité (exceptionnelle) qui est recherchée dans les arbitrages, mais c'est plutôt l'absence d'une divergence rationnelle profonde qui peut être la base minimale d'un consensus légitime.
1. pragmatique de changement. Le consensus implique une démarche inclusive et pragmatique. Inclusive, c'est-à-dire cherchant à articuler de façon complémentaire les choix stratégiques et à engager les acteurs (Etat, secteur privé, société civile, citoyens) sur un objectif commun qui n'est autre que le développement national et le bien-être individuel et collectif. Pragmatique dans la mesure où c'est précisément l'engagement de tous qui est la condition de faisabilité des réformes, de l'acceptabilité du changement. Lorsqu'il n'est pas canalisé vers le consensus, le dissensus conduit à l'impasse.
1. « Et » versus « Ou ». La transition du modèle de développement actuel vers le NMD se fera avec « Et » qui est une logique d'ouverture, de coopération, d'inclusion, elle ne se fera pas avec « Ou » qui est une démarche d'exclusion, de blocage et d'immobilisme. Certains lecteurs du rapport disent qu'ils n'y ont pas trouvé toutes leurs doléances et attentes. L'individu ne peut y trouver tout son compte, mais le compte de la société y est. C'est le consensus qui fonde le vivre ensemble et qui permet de « faire société ». Robinson Crusoé n'est pas marocain.
Processus de transformation
1. Faire société. « Faire société » implique de penser l'acte transformationnel dans le cadre d'un processus complexe où les acquis positifs doivent être consolidés et où le changement doit se faire par inflexions de trajectoire, et lorsqu'il le faut par des ruptures. Le rapport de la Commission a adopté cette démarche de transformation à la fois cumulative et disruptive.
2. Nouvelle doctrine de l'Etat. L'inflexion majeure à mon avis concerne la centralité de l'Etat dans le NMD. L'Etat retrouve pleinement ses fonctions qui ont été démantelées par le néolibéralisme. Un Etat à la fois stratège, développeur, investisseur, entrepreneur, régulateur, protecteur et inclusif. Un Etat efficace et partenarial qui donne l'impulsion au secteur privé et favorise l'émergence de l'économie sociale comme « troisième pilier du développement ». Ce ne sont pas des concepts théoriques, mais des catégories de « gouvernementalité » ayant un contenu performatif en termes d'engagement et d'action publique et qui définissent, pour la première fois dans notre pays, une nouvelle « doctrine de l'Etat » donnant une visibilité stratégique et de l'intelligibilité à l'action et aux initiatives des acteurs privés, nationaux et internationaux.
1. En même temps. Dans le Rapport de la Commission, le rôle de l'Etat est défini dans une « meilleure complémentarité » avec le marché, le secteur privé, les territoires. Cette complémentarité des rôles renvoie à une autre complémentarité ordinale d'intérêts (général/public/privé/commun) dont l'effectivité dépend de la prééminence de la puissance publique. Bref, un Etat fort et une société forte. Un Etat fort et juste au service d'une société forte et dynamique. En même temps. L'un n'allant pas sans l'autre.
1. Développement comme démocratie. Le principe démocratique est consubstantiel au NMD. Il n'y a pas, en général, de développement sans démocratie et le développement du Maroc en particulier est tributaire de l'approfondissement du processus démocratique, plusieurs développements du rapport l'ont souligné. Par conséquent toute « lecture» du Rapport établissant un quelconque lien entre Etat fort et Etat autoritaire ne saurait être qu'une bévue. La pandémie de la Covid-19 a corroboré le besoin d'Etat fort et capable, capable de limiter les effets systémiques dévastateurs sur la santé des citoyens et sur l'activité économique. De par leur nature, le marché et le privé n'auraient pas pu accomplir, dans l'urgence, cette mission d'envergure nationale en lieu et place de l'Etat et si celui-ci était défaillant. La pandémie a montré, par ailleurs, que l'Etat capable a besoin d'un renforcement de ses capacités cognitives en matière de prévision, de prospective, de modélisation, d'analyse des données. Sur ce sujet, les préconisations de la Commission sont inédites et en phase avec les nouvelles trajectoires économiques centrées sur le savoir, la connaissance et l'innovation.
2. Etat comme capacités et libertés. L'Etat fort a aussi pour mission de renforcer les capacités de tous les citoyens, de garantir les libertés, de libérer les énergies, de soutenir l'autonomie des communautés de base, d'asseoir les bases de la justice sociale, d'appuyer la durabilité et la résilience territoriale. Son rôle dans la transformation structurelle est déterminant. Le secteur privé est au cœur de cette inflexion de trajectoire qui ne peut que déboucher, à terme, sur des ruptures. Il est donc inexact d'affirmer que le rapport de la Commission ne fait que reproduire, toutes choses égales d'ailleurs, la même politique d'incitations, de subventions et de prébendes vis-à-vis du secteur privé. Le rapport utilise, à juste titre, la formule transformation productive pour signifier une rupture radicale et définitive avec l'économie de la rente, les comportements spéculatifs, les activités informelles et illégales. Dans le NMD la cible de l'appui conditionnel de l'Etat n'est autre que le privé productif de richesse et créateur d'emplois décents, le privé concurrentiel et innovant, le privé compétitif et socialement responsable, le privé qui contribue au développement national. La transformation productive est la façon la plus efficace et la plus sûre de battre en brèche l'économie de la rente. Elle donne une réponse rationnelle à la question récurrente dans les écoutes citoyennes, la question du « Comment ».
3. Transformation productive. La transformation productive implique, selon le Rapport, une inflexion de et dans la trajectoire industrielle du pays, voire une bifurcation et une rupture par rapport à la « dépendance du chemin ». La Commission préconise un « nouveau régime industriel» plus diversifié et plus sophistiqué, plus dense en termes d'échanges inter sectoriels nationaux et inséré de façon plus compétitive dans le nouveau monde industriel qui est tiré, désormais, par la révolution 4.0. Le « Made in Maroc » ne se limite pas aux aspects promotionnels des produits fabriqués par l'industrie nationale, il vise surtout à asseoir le système productif national sur les nouveaux ressorts de développement que sont : i) la qualité du produit, des procédés et des processus ; ii) la qualité du capital humain ; iii) l'innovation, ce qui ne va pas sans le sous-jacent que constitue un renforcement vigoureux de la recherche scientifique ; iv) la responsabilité sociale, sociétale et environnementale ; v) des relations professionnelles fondées sur le dialogue social, la négociation entre les partenaires sociaux, bref des « entreprises de droit » intégrant dans leurs stratégies et business plans l'intérêt des parties prenantes. Le « Made in Maroc » c'est, tout à la fois, concevoir, produire, fabriquer et consommer marocain.
1. Souveraineté économique. La Commission réserve une place nodale à la souveraineté économique dans le nouveau régime industriel national. Une souveraineté qui couvre les secteurs stratégiques et qui permet d'assurer une sécurité aussi large que possible en matière alimentaire, énergétique, sanitaire et digitale. Pour cela deux leviers essentiels sont proposés : la réforme du secteur public et la promotion de l'entrepreneuriat national.
1. Etat entrepreneur et actionnaire. La Commission propose une réforme en profondeur du secteur public et une reconfiguration des établissements et entreprises publics (EEP) autour de « pôles publics » en distinguant logique marchande (en donnant aux EEP le statut de société anonyme) et finalité non marchande (avec un statut d'entreprise « à mission de service public». Une telle réforme est susceptible de donner corps à l'Etat entrepreneur et actionnaire appelé à supporter les choix stratégiques du NMD et à soutenir l'amorçage de ses projets phares et de ses paris. En s'engageant sur les secteurs stratégiques et sur les missions de service public, l'Etat entrepreneur et actionnaire jette les bases d'impulsion et de développement d'un entrepreneuriat privé national à la fois dynamique et innovant.
1. Entrepreneuriat privé. Le second levier consiste à donner une forte impulsion au secteur privé, notamment aux PME et TPE, en basant les marchés publics sur le critère de la préférence nationale. Ce critère permet, par ailleurs, d'infléchir les stratégies des entreprises privées davantage vers les secteurs émergents et substitutif d'importations et vers les sentiers de l'innovation. Dans le Rapport de la Commission, le réarmement du bras économique de l'Etat peut avoir un puissant effet d'entraînement sur le secteur privé, la finalité ultime étant de promouvoir l'esprit d'entreprise et de faire émerger un capitalisme marocain productif, dynamique, concurrentiel et compétitif. Dans la même optique, les partenariats stratégiques public-privé offrent des opportunités combinant, dans une même boucle vertueuse, les trois logiques « people-planet-profit ».
2. Co-développement. L'entrepreneuriat privé national et l'appui aux nouveaux acteurs, aux secteurs nouveaux, aux activités innovantes trouvent dans l'impulsion de l'Etat entrepreneur les externalités positives et les économies d'échelle favorables à sa promotion et à son développement. Le partenariat public-privé est porté, dans le Rapport de la Commission, à un niveau sans précédent d'alliance stratégique entre l'Etat entrepreneur et le privé innovant. C'est sur cette base de dynamique entrepreneuriale nationale que les investissements directs étrangers seront les plus productifs de valeur ajoutée pour notre pays. Le partenariat stratégique public- privé offre de meilleures opportunités aux capitaux étrangers et permet d'inscrire le partenariat national-international dans une perspective stratégique de co-développement gagnant-gagnant.
Développement inclusif
1. Investissement social. Le NMD opère une bifurcation majeure, structurelle, systémique par rapport à la trajectoire à l'œuvre. La création de richesse n'est plus considérée comme le seul fait de la croissance. Une répartition plus équitable est aussi créatrice de richesse. Le développement inclusif (au plan social comme au plan spatial) implique un partage plus juste des richesses. Sous cette hypothèse les dépenses sociales changent de registre et deviennent un investissement social, productif de richesse nationale et de cohésion sociétale.
1. Partenariat dédié. L'investissement social doit se traduire d'abord par l'accroissement de l'offre publique de services sociaux (éducation, santé, transports collectifs, notamment), l'amélioration de leur qualité et l'élargissement d'accès pour les tous les usagers. Le modèle général d'offre de services publics peut comporter une part d'investissement privé dans le cadre d'un partenariat public-privé dédié. Une des innovations majeures du NMD est la contribution de l'économie sociale et solidaire qui peut concerner les niveaux management et gestion de certains services publics de proximité.
1. Protection sociale. L'effet le plus inclusif de l'investissement social est incontestablement celui que le projet « Couverture sanitaire universelle» est susceptible d'engendrer (Notes thématiques, pages 121), notamment : i) la généralisation de l'accès à la couverture médicale et l'élaboration d'un panier de soins évolutif ; ii) l'investissement massif dans les ressources humaines et leur valorisation ; iii) la réorganisation du parcours de soins depuis l'échelon communautaire à l'échelon régional. Il s'agit d'une rupture systémique qui donne au concept d'Etat protecteur un sens profond, concret et qui place l'action sociale de l'Erat au cœur du NMD.
Dispositif de transformation
1. Effectivité du changement. Les citoyens ont exprimé, de façon récurrente, au cours des écoutes et dans leurs contributions la problématique du « Comment » : comment traduire les principes du NMD en principe réalité ? Deux questions sont posées en termes d'évidence et de crédibilité des propositions de la Commission. La première concerne l'effectivité des réformes et les blocages qui jalonnent les processus de mise en œuvre des politiques publiques. Une seconde question prise en charge dans le rapport de la Commission a trait au financement du développement en général, des projets phares et paris du NMD en particulier (Rapport général, pages 319 et suivantes).
1. Financement d'amorçage. L'ambition du NMD est de placer, d'entrée de jeu, le Maroc sur le sentier de la prospérité économique, du savoir et de l'innovation, de l'inclusion, du bien-être social, de la durabilité. L'impératif du développement s'inscrit dans l'urgence, il faut faire vite et mobiliser tous les moyens requis. Ces moyens sont considérables, mais le potentiel n'est pas moins réel. Dans le Rapport ont été proposées les conditions, en termes de financement, de l'amorçage du NMD. Ces conditions de démarrage exigent une mobilisation exceptionnelle de ressources, toutes choses égales d'ailleurs.
1. Dynamique versus statique. L'effort de financement consenti au démarrage est supposé engendrer une dynamique de croissance auto-entretenue créant plus de richesse et d'emplois et générant, par conséquent, des ressources accrues. Cette dynamique sera portée par un cadre macro-économique approprié, favorisant l'agilité et la résilience du régime de croissance en indexant ses ressorts sur les enjeux du développement humain, inclusif et durable à l'horizon 2035.
1. Macroéconomie du développement. Le cadre macroéconomique doit être mis au service du développement du pays. Cette préconisation de la Commission offre, pour la première fois, une « doctrine nationale » au cadre de définition des politiques économiques (budgétaire, fiscale, monétaire, financière, commerciale, de change). Une « doctrine » indexée sur la hiérarchie des priorités du développement (éducation, santé, transport urbain, protection sociale), fondée sur l'agilité, la résilience, la soutenabilité des politiques économiques et inscrite dans une coordination plus étroite des politiques économiques (budgétaire et monétaire notamment). La politique budgétaire doit permettre d'atteindre l'équilibre en mobilisant pleinement le potentiel de ressources et en rationalisant les dépenses. Dans la même optique, la politique monétaire doit, sur la base du mandat dual, cibler à la fois l'inflation et le financement des besoins de développement, en même temps. En termes de mobilisation des ressources publiques, le dispositif fiscal est essentiel et incontournable.
1. Fiscalité efficace et juste. Tout en s'appuyant sur les recommandations pertinentes des dernières « Assises de la fiscalité » (2019), les « Orientations stratégiques » du Rapport vont plus loin en termes d'articulation du système fiscal avec les objectifs du développement national et en termes d'équilibre efficacité/justice fiscale : i) Mobiliser le plein potentiel fiscal (élargir l'assiette fiscale, lutter contre les pratiques d'évasion et de fraude fiscales, rationaliser les exonérations et les déductions et supprimer les niches fiscales, améliorer la structure des recettes fiscales par type d'impôts et catégorie de contribuables). ii) Mobiliser davantage la fiscalité au service de la solidarité sociale. iii) Renforcer l'équité du système fiscal. iv) Mobiliser la fiscalité au service de la compétitivité des entreprises, de l'innovation et de la recherche, de la diversification productive et la transition écologique, et des activités à impact social positif. v) Réformer la fiscalité locale (fusionner les taxes de même nature relatives à l'occupation du sol et à l'activité économique en deux taxes : taxe foncière et taxe sur l'activité économique ; mettre en place des transferts de recettes de l'IS et de l'IR vers les collectivités territoriales ; améliorer la gouvernance de la fiscalité locale). vi) Améliorer la gouvernance et le pilotage global du système fiscal pour en renforcer la cohérence, la stabilité, la lisibilité. vii) Renforcer la confiance partagée entre les contribuables et l'administration fiscale. viii) Renforcer l'administration fiscale et lutter contre les risques de corruption.
Le « Comment »
1. De quoi le nouveau « modèle » de développement est-il le concept ? La catégorie de « modèle » n'a pas été définie de façon explicite, comme de nombreuses autres catégories, dans le Rapport qui puise son vocabulaire dans le « lexique commun », savant et non savant. C'est le contenu, notamment en termes de propositions, des concepts mobilisés qui leur donne non pas une définition mais un sens propre. Au nombre de ces concepts, celui de « modèle ». Celui-ci est pris au sens non pas commun de référence à imiter, d' « exemple » à suivre, de prototype à dupliquer, mais au sens qu'on lui trouve en général dans les sciences humaines et sociales, et que lui donne, de façon plus spécifique, la macro économétrie, c'est-à-dire celui d'une « représentation» simplifiée et formalisée de la réalité qui ne retient, de cette réalité, que les caractéristiques les plus significatives, les principes les plus actifs, les faits stylisés. Pour dire cela avec une métaphore : par rapport à la réalité complexe, le modèle est l'équivalent de la « carte » par rapport au « territoire ». En précisant chaque fois le « rationnel » des réformes (ambitions, paris, et projets), le Rapport explique et justifie les choix proposés. Ces choix ne sont ni exhaustifs, ni irréfutables. Ils sont désormais « restitués » aux citoyens, aux corps intermédiaires, aux forces vives de la nation qui devront les prendre en charge, les enrichir, se les approprier et les s'engager à leur donner effectivité.
1. Biais rétrospectif. Les citoyens veulent que les réformes soient effectives et s'interrogent sur le « comment » du NMD. Deux dispositifs ont été esquissés par la Commission : i) le Pacte national pour le développement ; ii) un « mécanisme de suivi, d'impulsion des chantiers stratégiques et d'appui à la conduite du changement ». Certains lecteurs du Rapport y voient : i) un pacte que les partis politiques seraient appelés à endosser sans délibération ; ii) un « mécanisme » qui renforcerait l'autoritarisme de l'Etat. Cette lecture est inexacte et participe d'un « biais rétrospectif ». Le Pacte national pour le développement est l'affaire des partis politiques, institutions constitutionnelles, secteur privé et partenaires sociaux, territoires et tiers secteur). Le Pacte n'est pas encore écrit et la Commission n'a pas été mandatée pour cela. Quant au « mécanisme » qui est suggéré, il est le pendant procédural du Pacte, son prolongement instrumental. Toutes les visions de long terme prévoient un tel mécanisme de suivi, de mise en cohérence, de réflexivité.
1. Les deux temporalités de l'Etat. Dans le cas spécifique du Maroc, le mécanisme est, de surcroît, justifié par les deux temporalités de l'Etat exécutif. Contrairement à une lecture erronée du Rapport, le mécanisme en question a pour finalité de contribuer, conformément à la Constitution, à clarifier davantage l'interférence des champs respectifs de décision et d'exercice du pouvoir exécutif dans ses deux temporalités à la fois séparées et complémentaires : le champ stratégique de moyenne-longue durée (champ relevant du conseil des ministres) et le champ des politiques publiques inscrites dans le court-moyen terme (champ relevant de l'autorité du gouvernement). Le « mécanisme » permet de dissiper les « zones d'ombre » dans l'action des acteurs, d'expliciter les responsabilités en matière de décision publique et d'accroître la performance globale, politique et économique.
1. Plaidoyer pro domo ? Sans doute. J'ai essayé, autant que faire se peut, de prendre du recul par rapport à un travail collectif où ma propre contribution fut, tout compte fait, modeste. Je me suis également efforcé d'accomplir honnêtement ma mission au sein de la Commission, de défendre, avec force faits et arguments, mes propres « partis pris » en interaction à somme positive avec les « partis pris » des collègues. En favorisant l'encastrement des travaux de la Commission dans le Maroc réel, l'exercice participatif n'a pas été vain. Au contraire. Toutefois, la plus belle commission du monde ne pouvant donner que ce qu'elle a, la délibération citoyenne et démocratique s'avère nécessaire et doit, ici et maintenant, se poursuivre, s'amplifier et devenir une force diffusive d'un consensus national transcendantal autour d'un Maroc à la fois prospère, compétent, inclusif, solidaire et durable.
Par Noureddine El Aoufi,
Professeur d'économie et membre de la CSMD


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