Ecrit par Lamiae Boumahrou | Le drame de Tanger n'est que l'arbre qui cache la forêt. Qui est derrière toutes ses unités clandestines qui emploient des millions de Marocains en les privant de leurs droits les plus élémentaires ? Le secteur formel y est-il pour quelque chose ? Nous avons interpelé Chakib Alj, président de la CGEM sur la question. Après une année exceptionnelle orchestrée par une pandémie sur une note de récession, de crise sanitaire et économique et de manque de visibilité sur la relance, la CGEM a dressé le bilan de 2020 et présenté les perspectives de 2021. C'est lors de l'habituelle rencontre avec les médias après la tenue du Conseil d'administration que le patron des patrons s'est livré au jeu des questions-réponses. Un jeu qui a été axé avant tout sur l'informel mis au-devant de la scène après le drame de Tanger et qui a coûté la vie à 28 personnes. Ce fléau qui gangrène l'économie marocaine depuis des décennies s'est accentué avec la pandémie au vu et au su de tous. Avec la crise et la confinement, des milliers de Marocains se sont retrouvés, du jour au lendemain, sans emploi et sans aucun revenu. Seule alternative, un emploi dans l'informel pour subvenir aux besoins les plus basiques. Interpelé sur la question, Chakib Alj a confirmé que la crise sanitaire associée à la pression fiscale et sociale a eu comme conséquence une accentuation de l'informel. Raison pour laquelle, la CGEM a érigé en priorité de l'année 2021 la nécessité de prendre un engagement national (public et privé) pour intégrer de façon assumée le petit informel et éradiquer le grand informel. « Pour cela nous avons demandé la formation d'une task force pour pouvoir étudier les voix à exploiter pour aller plus rapidement dans l'éradication de l'informel », a précisé C. Alj, président de la CGEM. Et d'ajouter « il va falloir avoir du bon sens et du pragmatisme pour trouver des solutions aux personnes qui survivent grâce notamment au petit informel. Il faudra également convaincre l'informel structuré à basculer vers le formel ». Le Patronat préconise pour le petit informel, l'élargissement de la couverture de l'AMO aux TNS (3 millions de bénéficiaires, 10 millions d'ayants droit), le déploiement du Mobile Payment, la refonte du statut de la microfinance pour en faire un levier plus fort d'inclusion, le développement des outils de financement des TPE et des particuliers et enfin la dématérialisation des paiements. Quant au grand informel, la CGEM appelle à l'éradication de la rente (identifier et supprimer les sources de rente), au renforcement de l'action douanière au niveau des frontières (contrebande), à la lutte contre la corruption (dématérialisation des échanges avec l'administration), à la pénalisation des fausses factures ainsi qu'à l'accompagnement dans l'intégration des UPI (unité de production informelle) à l'économie formelle (cadre réglementaire spécifique et incitatif pour les UPI (appui à l'accès au marché et renforcement des capacités)). Malheureusement, sur le terrain, les politiques et les stratégies pour stopper cette hémorragie restent vaines. Contrairement aux attentes, l'informel gagne de plus en plus du terrain à cause des pouvoirs publics souvent aux abonnés absents. Pis encore, lorsque c'est le secteur formel qui participe au développement de l'informel notamment dans le secteur du textile et du bâtiment. C'est ce qui serait à l'origine de ce qui s'est passé à Tanger. Plusieurs voix se sont levées pour dénoncer ce drame qui n'est que l'arbre qui cache la forêt. Des voix qui accusent des multinationales et de grandes entreprises du textile, affiliées à la CGEM, qui sous-traitent auprès de petites usines clandestines. Une sous-traitance qui leur permet de faire d'une pierre deux coups : un coup de la main d'œuvre moins cher (non déclarée) et des délais de livraison plus courts. Nous avons interpelé le patron des patrons sur la question de la participation du secteur formel au fléau de l'informel malheureusement il nous a affirmés qu'il ne disposait pas de détails à ce sujet. « Nous condamnons ce qui s'est passé à Tanger mais nous ne sommes pas étonnés qu'un tel drame puisse arriver vu le niveau de l'informel dans le textile à Tanger. Quant à l'éventualité que des entreprises structurées fassent travailler des structures informelles, c'est une chose que je ne cautionne pas et dénonce fortement », nous a précisés le président de la CGEM. Toutefois, ci c'est le cas, il ne suffira pas de dénoncer, mais il faudra sévir pour que des innocents ne soient plus des proies faciles. Pour que les droits des travailleurs ne soient plus bafoués. Et pour qu'une fois pour toute chacun assume ses responsabilités dans ce pays. Lire également : INFORMEL : SENTIMENT D'IMPUNITE VS VŒU D'IMPUISSANCE