La reprise économique est là, timide et lente. Face au choc de la pandémie et l'incertitude qu'elle fait planer, le défi pour les autorités publiques est d'assurer un rendement optimal et une réelle force de frappe aux actions de relance pour éviter le scénario pessimiste de croissance en L. Mais comment faire ? Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, la Loi de Finances rectificative ne peut à elle seule « faire » l'affaire pour pallier les effets économiques et sociaux négatifs de la crise sanitaire. Comme cette crise a eu un effet boule de neige, déclencher une reprise de l'activité immédiate et rapide suppose de procéder de la même manière, à savoir cibler les secteurs économiques ayant un effet d'entrainement sur l'ensemble des activités mais également qui peuvent limiter les effets de la crise sur la structure économique et les capacités de production existantes. Le tout dans un contexte très imprévisible, la crise sanitaire continuant à faire des dégâts un peu partout dans le monde, notamment au Maroc où la situation est devenue très inquiétante depuis fin juillet. Certes, les prémices de la reprise de l'activité économique se font sentir depuis le mois de juin avec une première phase d'allègement des mesures restrictives du confinement mais cette reprise se fait très lente laissant planer le risque d'un scénario de croissance en L (avec des incidences graves aussi bien sur les entreprises que sur les emplois qui rendraient vaines toutes les actions menées par l'Etat dans le cadre de la LFR et du plan de relance). Le challenge donc pour les autorités publiques, en plus de cibler les secteurs locomoteurs (non pas uniquement en difficulté) est d'opérer une relance immédiate et rapide pour au mieux opérer un scénario de croissance en V, du moins parvenir à une croissance médiane en U (une baisse de 7,3% du PIB). Des choix qui peuvent prévaloir au moins à court terme le temps d'entrevoir le bout du tunnel « Covid-19 ». A cet effet, toute la question est de savoir comment rendre l'action publique optimale, les deniers étant limités et ne tolèrent une distribution tout azimuts ? Quels secteurs cibler et sur quels critères ? Un sujet sur lequel se sont attelés quatre économistes, Youssef Bouazizi, Hicham Masmoudi, Fouzi M. Mourji et Yasser Y. Tamsamani dans le cadre d'un rapport qui évolue plusieurs volets de la crise sanitaire et ses répercussions économiques et sociales au Maroc, réalisé par un grand nombre de chercheurs l'Equipe de Recherche en Econométrie Appliquée (ERECA). D'emblée, les quatre économistes sont d'un commun avis que l'intervention publique face à la crise actuelle, telle qu'elle a été prévue dans la LFR, était insuffisante pour amortir de manière significative l'ampleur du choc et déclencher une réelle dynamique de reprise rapide de l'activité. Les critères de sélection reposent sur les orientations économiques du pays À supposer maintenant que les autorités changent de cap et en viennent à un soutien direct, en plus de l'aide indirecte dont bénéficient les entreprises à travers la garantie publique des crédits aux entreprises et aux secteurs en difficulté, se pose alors la question du critère ou combinaison de critères qui permettrait un rendement optimal de l'action publique ? A cette difficile équation, la réponse est inéluctablement d'identifier les secteurs et branches d'activités les plus entraînants en amont via leurs consommations intermédiaires (les plus intégrés par les achats) et en aval à travers leurs productions (demandées par beaucoup de branches) de sorte à assure un meilleur ciblage de l'action publique et donc une efficacité améliorée de celle-ci. Donc, comme dans une course de fond, il faut identifier un lièvre de course qui saura entraîner dans son sillage les autres coureurs-secteurs jusqu'à la ligne d'arrivée. Pour les économistes, cet exercice d'identification requiert des critères sur la base desquels le poids de chaque secteur dans le tissu productif national sera révélé. À ce propos, l'approche développée par Hirschman (1958) et Aujac (1960) reste toujours d'actualité en vue de classifier les secteurs, dévoile la partie du rapport consacrée à la question objet de cet article. Calculés dans le cas marocain, les résultats des estimations des indices à la Hirschman suggèrent que le tissu productif national est caractérisé par une certaine complémentarité (homogénéité) qu'assurent les forts effets de liaison tantôt en amont tantôt en aval reliant une bonne moitié des secteurs d'activités (10 branches sur 19). Cependant, les économistes aboutissent au fait que seules l'agriculture et les activités du secteur industriel, plus particulièrement les industries du textile et du cuir, les industries chimiques et para chimiques et les autres industries manufacturières, ont des effets d'entraînement tant en amont qu'en aval supérieurs à l'unité. « Cela rejoint en partie la thèse défendue par de nombreux auteurs selon laquelle le développement économique passe par un processus d'industrialisation. Les deux arguments souvent avancés sont ceux des gains de productivité plus élevés qui caractérisent les activités industrielles et ceux des effets externes positifs sur les autres secteurs », explique-t-on. S'agissant du deuxième critère de classification des secteurs adoptée dans le cadre de cette étude et qui renvoie à l'objectif de la masse salariale ce sont les activités tertiaires et en particulier celles de l'administration publique, l'éducation et la santé qui ont les plus forts effets en amont et en aval. Les activités de la pêche ont également des effets d'entraînements importants. En revanche, le secteur immobilier ressort peu entraînant si l'on se rapporte à ce critère, du fait que la rémunération du travail occupe une faible part dans sa valeur ajoutée, estime-t-on. La précarité du travail ainsi que la nature rentière de cette activité en sont les causes explicatives. Quant au critère relatif à la contribution fiscale des secteurs, les secteurs industriels occupent le podium du classement suivis par les secteurs du tourisme, de la finance et des télécommunications. Le quatrième et le dernier critère retenu par les économistes concerne l'objectif de la maîtrise des importations. Conformément à l'intuition, leurs estimations montrent également que les secteurs dits protégés (BTP, la pêche et les activités tertiaires) sont ceux qui contribuent peu à creuser le déficit de la balance commerciale. A l'opposé, aussi bien les secteurs industriels que celui des énergies sont dépendants des importations et peuvent être à l'origine de la dégradation de la situation du commerce extérieur du pays. Il est important à ce niveau de souligner que le classement des secteurs change selon le critère retenu, au même titre que les quatre objectifs/ critères ne peuvent être poursuivis conjointement. Ce constat est confirmé par les valeurs faibles ou même négatives (quand deux objectifs sont contradictoires) que prennent les coefficients de corrélation calculés à partir des rangs des secteurs. Seuls les objectifs de l'augmentation de la masse salariale (ou de justice sociale) et l'amélioration de l'équilibre extérieur semblent aller de pair. Les autres objectifs ressortent contradictoires. Les économistes estiment qu'une fois cette grille de critère en place, il revient aux décideurs d'arbitrer en faveur d'un ou plusieurs objectifs à poursuivre tout en sacrifiant les critères restants, mais ce choix peut s'avérer difficile à prendre car les quatre objectifs sont interdépendants et, dans certains cas, sont contradictoires. Quels secteurs « lièvres » ? Indépendamment de cet arbitrage que sont amenées à opérer les autorités concernées, le ciblage des secteurs à bénéficier du soutien public gagnerait en objectivité à se rapporter à une analyse multicritère. Selon les auteurs de cette étude contenue dans le rapport de l'ERECA, cette analyse multicritère permet de retenir les secteurs qui maximisent la surface d'un quadrilatère composé des quatre critères retenus, imbriqués ensemble selon un jeu de pondération qui reflète la priorité relative accordée à tel ou tel critère (le même raisonnement peut être appliqué à autant de critères que l'on souhaite). « Dans cette étude, nous considérons que les quatre critères se valent et les résultats qui en découlent seront de nature suggestive et leur interprétation est à prendre avec précaution », révèle-t-on. L'analyse multicritères suggère un classement des secteurs clés de l'économie marocaine dans sa structure actuelle. En se rapportant à la fois à l'intégration en amont et en aval des secteurs, aux premiers rangs de ce classement, on trouve les BTP, le commerce, les activités financières, les postes et télécommunications, et la pêche et l'aquaculture. La place qu'occupe chaque secteur dans le classement général qui ressort de l'analyse multicritère est rapportée dans le tableau suivant : Il est clair que la sortie de crise dépendra aussi bien de la réactivité des autorités publiques et des acteurs économiques mais basée sur des critères d'optimisation, surtout face à l'ampleur du choc qui a ébranlé l'économie nationale. Les secteurs peuvent évoluer selon les critères retenus par les décideurs mais également selon les moyens dont disposent le autorités publiques. Des choix qui devraient en principe avoir une incidence directe sur le rythme de reprise et par conséquent sur les scénarios futurs de croissance (V, U et L).