Pendant 30 ans, fuyant les Lois de Finances rectificatives (LFR) comme la peste, l'Exécutif a fait allégrement des distorsions aux hypothèses à la base desquelles les LF sont élaborées. Même la crise économique de 2008 n'y a rien fait malgré toutes les voix élevées pour que le gouvernement présente une Loi de Finances rectificative. Il aura fallu attendre une crise sanitaire pour acculer l'exécutif à cet exercice pourtant devenu plus « accéléré » avec la Loi organique des Finances. Il faut reconnaître que les écarts entre les hypothèses retenues dans la LF 2020 et celles sur lesquelles repose la LFR 2020 et le contexte complètement chamboulé essentiellement en raison de la rétraction des ressources de l'Etat. Partant sur une récolte céréalière de 70 millions de quintaux en 2020, l'exécutif a revu ses ambitions à la baisse sous le coup de la sécheresse pour retenir 30 millions de quintaux pour 2020. L'autre élément est le recul de la demande mondiale adressée au Maroc en raison de la crise sanitaire et la perturbation des chaînes d'approvisionnement mondiale. Ainsi, au lieu d'une progression de cette demande de 3,5% en 2020, l'exécutif avance l'hypothèse d'un recul de 20 %, sachant que le contexte est encore très instable et imprévisible, le Coronavirus continuant à se propager à travers le monde. La crise sanitaire contraint l'exécutif de se défaire d'un objectif récurrent, celui de contenir le déficit budgétaire à 3,5 % en 2020 (réduire de 16 Mds de DH les besoins du Trésor et celui du niveau de l'endettement). Dans le cadre du projet de la LFR, ce déficit passe à 7,5%. L'hypothèse de croissance de 3,5 % en 2020 s'évapore et cède la place à une récession de 5 % dans le projet de LFR. Si ce n'est le contexte douloureux de la crise, une LFR reste un moment aussi historique qu'inédit puisque la dernière Loi de Finances rectificative remonte à 1990 et depuis de l'eau a coulé sous les ponts... particulièrement le cadre réglementaire. Particulièrement l'entrée en vigueur de la Constitution de 2011 et de la Loi Organique relative à la Loi des Finances en 2016. Bien des choses ont changé en 30 ans Le projet de Loi de Finances rectificative 2020 a été déposé ce 8 juillet au niveau de la Commission des Finances de la Première Chambre qui a commencé son examen et discussion ce 9 juillet dans la matinée et le poursuivra le 10 juillet dans la matinée. La Loi Organique relative à la Loi de Finances dispose dans son article 51 que désormais « Le projet de loi de finances rectificative est voté par le Parlement dans un délai n'excédant pas quinze (15) jours après son dépôt par le Gouvernement sur le bureau de la Chambre des représentants. La Chambre des représentants se prononce sur le projet de loi de finances rectificative dans un délai de huit (8) jours suivant la date de son dépôt ». Soit le 16 juillet. Dès le vote dudit projet ou à l'expiration du délai, le Gouvernement saisit la Chambre des conseillers du texte adopté ou du texte qu'il a initialement présenté, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par la Chambre des représentants et acceptés par lui. La Chambre des conseillers se prononce sur le projet dans un délai de quatre jours suivant sa saisine, soit aux alentours du 20 juillet 2020. Certes le ministre des Finances dans sa présentation du Projet de LFR 2020 devant le Parlement, le 8 juillet a évoqué les contraintes ayant accompagné l'élaboration de ce projet aussi bien sur le plan mondial que national et les contraintes budgétaires de l'Etat ; mais rien ne garantit que les parlementaires acceptent toutes les dispositions proposées. Particulièrement le conditionnement de l'appui à la reprise économique, par la préservation d'au moins 80% des employés déclarés à la CNSS, et la régularisation rapide de la situation des employés non déclarés. Autrement dit, l'Etat cautionnerait indirectement la suppression de près de 20% des postes d'emploi dans le secteur privé. Dans son allocution, le ministre des finances a appelé les partenaires sociaux et le patronat à ouvrir un dialogue pour dépasser ce contexte de crise sur les plans économique et social, mais rien ne laisse présager que les syndicats représentés au niveau de la deuxième chambre ne valident cette disposition. Le Chef de gouvernement a tenu les 6, 7 et 8 juillet des rencontres bilatérales avec les représentants du patronat et des syndicat pour entamer un nouveau round de dialogue social tripartite pour désamorcer la crise sociale qui se profile l'horizon , mais rien n'est encore acquis. Autre point de discorde est la réduction drastique de la création de nouveaux postes budgétaires, qui peut être rejetée par le parlement. Auquel cas, l'exécutif pourrait invoquer l'article 77 qui lui permet d'opposer, de manière motivée, l'irrecevabilité de toute proposition ou amendement formulés par les membres du Parlement lorsque leur adoption aurait pour conséquence, par rapport à la Loi de Finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. Les discussions de ce projet interviennent dans un délai très serré et un contexte très tendu et mettent à l'épreuve le nouveau cadre réglementaire.