Depuis l'annonce du non-retour aux écoles et à l'annulation des examens hormis ceux du BAC, la tension est montée d'un cran entre parents et écoles privées notamment celles qui revendiquent la totalité des frais de scolarité du 3ème trimestre. Bien que les parents soient dans leur droit de ne pas payer la totalité des frais de par la loi, le gouvernement doit trancher rapidement sur cette question pour mettre fin à ce bras de fer et éviter une crise entre les deux partenaires pédagogiques. Décryptage. S'il y a bien une leçon que nous devons tous retenir de cette pandémie est celle de la nécessité de revoir les valeurs humaines. Des valeurs que nous avons malheureusement perdues dans une société consumériste, mercantiliste où priment les intérêts financiers. Cette crise sanitaire a toutefois fait resurgir l'esprit de solidarité qui caractérise les Marocains et qui s'est traduit par la contribution directe au Fonds spécial pour la lutte contre le Coronavirus lancé par SM le Roi ou par des aides directes aux plus démunis. Malheureusement, la foudre de solidarité n'a pas frappé ceux qui cherchent à tirer des bénéfices même en cette période de crise mondiale. Une crise qui n'a épargné aucune couche sociale ni socioprofessionnelle. Du jour au lendemain, des milliers de familles se sont retrouvés soit sans aucune source de revenus, 34% d'après le HCP, soit avec un membre actif en arrêt de travail (49% des ménages) ce qui réduit considérablement le budget des ménages. Pis encore, ces familles manquent de toute visibilité sur la suite des événements. Ce qui est sûr en l'occurrence c'est que le niveau de vie d'une bonne partie de la population n'est plus le même. Vaille que vaille, le citoyen reste le grand oublié de l'Etat. Malgré la morosité de la conjoncture, il est tenu, sans pitié, d'honorer tous ses engagements contractuels notamment les factures d'eau, d'électricité, traites, loyer, téléphone... Aucune mesure n'a été prise dans ce sens. Mais le pire encore, c'est qu'on lui impose de payer des prestations dont il n'a pas ou partiellement bénéficié. L'exemple le plus palpable est celui des frais de scolarité qui constituent une dépense très importante dans le budget des ménages. Un sujet qui fait brûler le torchon ces derniers jours entre les écoles privées et les parents d'élèves. En effet, aussitôt le non-retour sur les bancs de l'école annoncé par le ministre de l'Education, Saaïd Amzazi, le 12 mai, aussitôt les écoles se sont lancées sans aucun scrupule pour le recouvrement des frais du 3ème trimestre. Lire également : [Exclusif] Indemnité forfaitaire : Saaïd Amzazi tranche enfin pour les écoles privées Par mail, SMS ou relances téléphoniques, tous les moyens sont bons pour intimider les parents et les obliger à passer à la caisse. Ecoles privées marocaines où missions françaises, la polémique autour du paiement des frais de scolarité ne fait que s'amplifier. L'indignation des parents Les parents montent au créneau pour dénoncer l'avidité des écoles qui revendiquent le règlement de la totalité des frais alors qu'elles n'ont honoré qu'une partie du contrat. Elles justifient ce droit par des investissements qui ont été engagés pour garantir l'enseignement à distance mais aussi les salaires des enseignants. Or, on oublie les investissements et l'effort que les parents ont dû faire en pleine crise pour assurer cet apprentissage à distance. Ordinateurs, connexion internet, imprimante, papier..., l'investissement par enfant est estimé à une moyenne de 5.000 DH. Et la facture peut rapidement grimper en fonction du nombre d'enfants. Mais qui pour défendre les familles désarmées face aux diktats des écoles ? Pourquoi l'Etat pratique-il la politique de l'Autruche ? Il sied de rappeler que les parents ne revendiquent pas l'annulation totale des frais de scolarité mais une réduction légitime au regard de la conjoncture mais aussi du contrat rempli à moitié par les écoles. « Légalement les parents ne sont pas obligés de payer un service qui n'a pas été fourni. Il s'agit d'une relation contractuelle de payer un service dans une logique de marché où l'on paie ce qu'on reçoit. Toutefois si les salaires du personnel ont été réglés dans leur totalité et si ces derniers ont assuré un enseignement à distance, les écoles ont droit à une partie des frais et non pas la totalité », nous a précisé maître Abdelkebir Tabih, avocat au Barreau de Casablanca. En effet, ce que revendiquent les parents c'est le fait que les écoles veuillent même encaisser les marges de bénéfice relatives au 3ème trimestre. Les parents ne cherchent pas non plus à entrer en guerre avec les écoles qu'ils considèrent comme partenaires pédagogiques dans l'éducation de leurs enfants. Toutefois, les parents appellent l'implication des écoles dans l'élan de solidarité nationale. Il faut reconnaître que certaines écoles ont fait preuve de citoyenneté et surtout de solidarité. Elles ont appliqué automatiquement des réductions de 20 jusqu'à 100% pour les parents ayant perdu leurs emplois. Voire même une exonération totale des frais de scolarité des mois d'avril, mai et juin pour tous les niveaux tout en s'engageant à payer le personnel. Des exemples à saluer dans une conjoncture aussi morose. Malheureusement, l'interprétation de cette vision diffère d'un établissement à un autre. Pour certaines c'est plus un business juteux où le seul mot d'ordre est le bénéfice. Ces écoles n'ont pas bien saisi le message de SM le Roi ni celui de l'Etat qui a fait des sacrifices économiques dont les conséquences risquent d'être très lourdes. L'heure n'est pas au gain mais à la solidarité. « Le gouvernement doit intervenir auprès des deux parties, parents d'élèves et écoles privées, pour trouver un consensus qui ne désengage aucune des deux parties. L'Etat doit intervenir via décret, si nécessaire, pour statuer sur la question des frais de scolarité le plus tôt possible afin d'éviter le recours aux tribunaux comme ça été le cas pour la loi n° 20.30 édictant des dispositions particulières relatives aux contrats de voyages, résidences touristiques et au transport aérien des voyageurs », précise Maître A. Tabih. Mais que dit la loi ? Les conflits dans l'exécution des relations contractuelles figurent parmi les conséquences directes de la pandémie et de l'Etat d'urgence sanitaire. Un sujet que nous avions soulevé tout au débout de cette crise sanitaire et où maître Abdelkebir Tabih (dans une chronique) avait alerté contre les problèmes de non-respect des engagements qui vont résulter de cette situation sanitaire et qui ne pourront pas être résolus, sur le plan juridique, par le fait que cette pandémie est considérée comme étant une Force majeure. Et effet, le Maroc ne dispose pas d'un cadre juridique qui, en raison d'un cas de force majeure, comme c'est le cas aujourd'hui avec la propagation du Covid-19, permet de reporter ou d'annuler un contrat. « Le principe de force majeure en droit marocain se limite uniquement à la non-application des indemnités de retard en cas de retard dans l'exécution des engagements et non pas à l'arrêt de l'exécution de l'engagement ni son report », précise maître Abdelkebir Tabih. En d'autres termes, et conformément au Dahir formant Code des obligations et des contrats les deux parties sont tenues d'honorer, chacun de son côté, les termes du contrat qui les lient. Dans le cas contraire, l'une des parties peut ne plus être tenue légalement d'accomplir une obligation comme stipulé dans l'article 235 du DOC. Dans ce cas, la loi est du côté du parent qui est le client. Contacté par nos soins à ce sujet, Ouadie Madih, Secrétaire général Fédération nationale des associations des consommateurs au Maroc (FNAC) nous a affirmé que « le contrat qui gouverne la relation entre parents/tuteurs et écoles privées reste un contrat synallagmatique, dont l'objet est l'exercice d'une mission de service public. Même si ce dernier reste et demeure consensuel tant qu'aucun acte formel et individuel n'est signé par les deux parties, les règles en vigueur qui s'imposent pour interpréter la relation relèvent, de manière générale de la loi 06 -00 organisant l'enseignement privé (qui peut s'interpréter dans le cadre de la désormais nouvelle loi cadre de l'éducation 51-17) ; du Dahir des Obligations et Contrats, et de l'ensemble des dispositions : droit commercial, droit du consommateur qui entrent en considération ». Plusieurs parents indignés ont saisi l'Association pour dénoncer le comportement incompréhensible d'une grande majorité des écoles (bilingues marocaines et missions françaises). « La nature du contrat implique des obligations réciproques : lorsque l'école privée ne remplit pas ses obligations légales en termes de respect du volume horaire minimum fixé comme référence par l'Etat pour la continuité pédagogique, ou qu'elle est dans l'impossibilité de le faire, cela concerne une problématique entre l'école et l'Etat, et cette exception ne peut pas être imposée au consommateur. Au contraire, vis à vis de ce dernier, l'école peut être tenue de dédommager le consommateur pour le préjudice subit en raison du retard de l'exécution ! », explique Ouadie Madih. Sur ce point, le constat est clair, le volume des horaires a été divisé par deux voire beaucoup moins durant le mois d'avril. La question est de savoir si l'école est en mesure de demander une réévaluation des engagements réciproques en raison de la survenance d'un événement imprévisible ? « Non, l'école n'a pas à imposer d'orientations, autrement elle serait coupable de pratiques abusives, qui rappelons-le ne connaissent pas d'effets en droits lorsque ces abus sont précisés dans les lois », nous explique le SG de la FNAC. Cela dit, la relation parent-école ne devrait pas en arriver à user du cadre juridique pour résoudre cette situation notamment dans ce contexte exceptionnel qui exige l'engagement de toutes les parties afin de sortir le plus vite de cette crise. Aujourd'hui il est temps de se souder les coudes, de faire preuve de bon sens , d'avancer ensemble et de placer les valeurs citoyennes au-dessus des bénéfices.