Sur le front économique, la pandémie du Coronavirus commence à faire les premières victimes. Les conséquences économiques directes de la conjoncture internationale impactée par un virus invisible ne sont plus à déchiffrer. Assurément, il est encore précoce pour évaluer l'ardoise des dégâts économiques et financiers qu'engendrera la crise sanitaire, toutefois ce qui est sûr, c'est qu'il va falloir doubler, voire quadrupler, les efforts pour remonter la pente post-crise. En attendant d'y voir plus clair, il n'est pas exclu qu'avec l'Etat d'urgence sanitaire plusieurs zones d'ombre planent sur le climat des affaires notamment celles concernant les relations contractuelles. Plusieurs contrats sont, par la force des choses, interrompus et mis en veilleuse pour une durée indéterminée à cause d'une pandémie qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Plusieurs zones d'ombre Comment se décline l'état d'urgence sanitaire sur les engagements contractuels envers l'administration, les banques, la loi mais aussi entre les individus ? Le ralentissement de l'activité économique qui a forcé l'arrêt complet ou partiel de certaines activités implique-t-il forcément la suspension des contrats et des conventions ? Pas vraiment. Dans une chronique, maître Abdelkebir Tabih (chronique intégrale) explique pourquoi l'Etat d'urgence sanitaire décrété par le Maroc ne libère pas les différentes parties de leurs engagements. Si le délai de prescription peut être interrompu et suspendu, il n'en est pas de même pour le délai de forclusion qui lui ne peut être interrompu encore moins suspendu. Dans ce cas, le co-contractant est obligé d'honorer ses engagements dans les délais impartis. Quid du cadre juridique ? Le Maroc ne dispose pas d'un cadre juridique qui, en raison d'un cas de force majeure, comme c'est le cas aujourd'hui avec la propagation du Covid-19, permet de reporter ou d'annuler un contrat. « L'interprétation de 'Force majeure' au Maroc est bien différente de celle en France qui permet au gouvernement français de prendre des mesures afin d'aider les entreprises françaises à dépasser la crise économique et financière engendrée par le Covid-19 », précise Maître A. Tabih. Et d'ajouter que « le principe de force majeure en droit marocain se limite uniquement à la non-application des indemnités de retard en cas de retard dans l'exécution des engagements et non pas à l'arrêt de l'exécution de l'engagement ni son report ». Texte à l'appui, l'article 268 du Dahir formant Code des obligations et des contrats stipule « qu'il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque le débiteur justifie que l'inexécution ou le retard proviennent d'une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure, le cas fortuit ou la demeure du créancier ». Pis encore, même le juge n'a le droit, dans aucun cas, d'octroyer un délai ou un report des engagements contractuels comme stipulé par l'article 128 dudit Dahir qui précise « le juge ne peut accorder aucun terme ni délai de grâce, s'il ne résulte de la convention ou de la loi. Lorsque le délai est déterminé par convention ou par la loi, le juge ne peut le proroger, si la loi ne l'y autorise ». Ainsi, maître A. Tabih met en garde contre les problèmes de non-respect des engagements qui vont résulter de cette situation sanitaire et qui ne pourront pas être résolus, sur le plan juridique, par le fait que cette pandémie est considérée comme étant une Force majeure. Mise en garde sur les conséquences Une mise en garde qui a tout son sens au moment où tous les Marocains, dont la majorité est confinée chez elle, se demandent comment gérer les contrats qu'ils ont engagés aussi bien avec les banques, les assurances, le fisc, la CNSS..., mais aussi avec leurs clients ou fournisseurs. Après cette crise sanitaire, les tribunaux administratifs mais également pénaux risquent de se retrouver avec une pile d'affaires, conséquence de ce confinement sanitaire involontaire. Pour y remédier, Maître A. Tabih appelle le gouvernement à adopter un cadre réglementaire en urgence visant à prolonger ou suspendre ces délais. L'objectif étant de disposer d'une force de loi contraignante pour les personnes physiques et morales et les institutions publiques afin d'éviter des affaires en justice à ne pas en finir. Le climat des affaires et les relations contractuelles risquent d'être considérablement affectés si le gouvernement n'intervient pas. « Cependant, étant donné que la procédure d'adoption d'une loi au Parlement est longue et complexe, le gouvernement devra recourir à l'article 81 de la Constitution de 2011 pour accélérer l'adoption d'un cadre juridique qui réconforterait les citoyens et les entreprises qui ont des engagements de toutes sortes », précise A. Tabih. Rappelons que depuis le début de cette pandémie dans notre pays, le gouvernement a pris des décisions courageuses saluées à l'échelle internationale pour contrer ce virus avec le moins de dégâts. Il devra également se pencher sur cet aspect des relations contractuelles afin de minimiser la casse et de rétablir un climat de confiance entre les parties contractantes.