Ecrit par Lamiae Boumahrou | Le projet de loi n° 20.30 édictant des dispositions particulières relatives aux contrats de voyages, résidences touristiques et au transport aérien des voyageurs suscite la grogne des consommateurs et bafoue tous leurs droits. Cette loi vient détourner le Dahir portant COC qui ne permet ni l'interruption encore moins la suspension des délais de forclusion. Bien que l'on ne voie toujours pas le bout du tunnel de cette crise sanitaire, certaines réponses à nos interrogations commencent à s'éclaircir. Le cas de la saison estivale 2020 qui est désormais compromise et qui fera sombrer davantage le secteur du tourisme dans une léthargie. Pour sauver ce qui reste à sauver, la tutelle n'a trouvé autre solution que de sacrifier les droits du consommateur pour faire bonne figure. La ministre du Tourisme, de l'Artisanat, du Transport aérien et de l'Economie sociale a élaboré le projet de loi n° 20.30 édictant des dispositions particulières relatives aux contrats de voyages, résidences touristiques et au transport aérien des voyageurs qui suscite aujourd'hui la grogne des consommateurs. La Fédération nationale des associations du consommateur décrie ce projet de loi adopté en Conseil de gouvernement le jeudi 30 avril qui heurte de plein fouet tous les acquis en matière de protection des droits du consommateur au Maroc. Et pour cause, ce cadre légal donne le droit aux prestataires de services notamment de voyages, de tourisme, de transport touristique et de transport aérien de voyageurs de rembourser leurs clients via une reconnaissance de dette offrant un service similaire ou équivalent sans aucune augmentation de tarif. En d'autres termes, ledit projet désengage les prestataires du remboursement des avances relatives aux services non fournis et ôte au consommateur son droit de restituer son avance. L'objectif étant de limiter la casse des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire et par l'Etat d'urgence sanitaire. Sauf que la FNAC ne voit pas cela du même œil et dénonce une violation, pure et simple, des droits des consommateurs. Dans un communiqué, la Fédération précise que ce projet de loi va à l'encontre des droits universels des droits de l'homme et du consommateur mais aussi de la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur adoptée en 2011. L'adoption de ce cadre réglementaire équivaut à un pas en arrière dans le respect des droits du consommateur bien qu'il soit limité dans le temps. Rappelons que la législation marocaine garantit, entre autres, au consommateur le droit à l'information, à faire ses choix, à défendre ses droits législatifs, à la représentativité, à la rétraction... Le consommateur, ce maillon faible de la chaîne Malheureusement, cette loi prive le consommateur, parent pauvre du système, d'un droit législatif qui est celui de faire le choix soit de reporter l'exécution du service soit de restituer son argent. Là encore, l'intérêt des secteurs prévus par le projet de loi passe avant celui du consommateur qui lui aussi est fortement impacté par la crise sanitaire. Un consommateur qui malgré le contexte actuel se traduisant par la baisse conséquente du pouvoir d'achat de milliers de Marocains, ne l'empêche pas de continuer à payer ses factures d'eau, d'électricité, de téléphone, ses impôts, son loyer voire même de subir des intérêts intercalaires suite au report des échéances bancaires. « Le gouvernement à travers cette loi cherche , une fois de plus, à favoriser la protection des intérêts des professionnels à ceux du consommateur. Le contexte actuel ne justifie pas de faire supporter au consommateur les impacts que vont subir ces secteurs à cause de la crise sanitaire », a précisé Ouadie Madih, Secrétaire Général de la FNAC. Et d'ajouter « nous considérons que ce projet de loi qui touche aux intérêts, aux droits des consommateurs ainsi qu'à la volonté des parties contractantes doit être revu tout en prenant en considération le droit du consommateur notamment le droit de choisir le report du service ou le remboursement ». La FNAC dénonce également sa non-implication dans la conception dudit projet de loi étant donné que le consommateur est le principal concerné par les décisions qui seront prises. Si on cherche à sauver un secteur par de telles mesures, c'est perdu d'avance. Et pour cause, la relance de la machine économique ne pourra se faire que par une forte demande interne, par un marché domestique. Cette politique d'appauvrissement du consommateur au détriment de certains secteurs n'aura toutefois comme conséquence qu'un marché intérieur faible et, par ricochet, une convalescence beaucoup plus longue. L'arbre qui cache la forêt Au Maroc, les relations contractuelles sont régies par le Dahir formant code des obligations et contrats qui ne reconnaît pas l'Etat d'urgence sanitaire comme raison pour interrompre un contrat. Dans un article sur les relations contractuelles publié par EcoActu.ma le 24 mars, nous expliquions pourquoi le délai de forclusion ne peut être interrompu encore moins suspendu. En d'autres termes, le co-contractant est obligé d'honorer ses engagements dans les délais impartis. L'article 268 dudit Dahir est clair à ce sujet puisqu'il précise « qu'il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque le débiteur justifie que l'inexécution ou le retard proviennent d'une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure, le cas fortuit ou la demeure du créancier ». Pis encore, même les juges n'ont le droit, en aucun cas, d'octroyer un délai ou un report des engagements contractuels comme stipulé par l'article 128 dudit Dahir. Ce Dahir n'arrange donc pas les secteurs cités dans le projet de loi qui ont vu tous les vols, réservations, voyages annulés. « Le principe de force majeure en droit marocain se limite uniquement à la non-application des indemnités de retard en cas de retard dans l'exécution des engagements et non pas à l'arrêt de l'exécution de l'engagement ni son report », nous avait expliqué maître Abdelkebir Tabih, avocat au Barreau de Casablanca. Ce projet de loi présenté par la ministre du Tourisme n'est qu'une tentative pour détourner le DOC et autoriser les prestataires de services dans le secteur touristique à ne pas honorer (indirectement) leurs engagements contractuels. Cette crise a mis sens dessus dessous tous les programmes, les prévisions des Marocains. La restitution des avances est donc un droit qui doit être respecté au même titre que celui qui engage le citoyen à respecter tous ses engagements contractuels. Malheureusement, si elle est adoptée, cette loi va dépourvoir le consommateur de tout dispositif réglementaire pour défendre ses intérêts en le rendant plus vulnérable.