Les agences de voyages ne rembourseront pas l'argent aux consommateurs pour les séjours et voyages annulés suite au covid-19. Ces derniers auront droit plutôt à des reconnaissances de dettes avec le montant de la prestation, reportée jusqu'au redémarrage de la machine. Mounia Kabiri Kettani Cette décision a fait l'objet d'un projet de loi N° 30.20 adopté devant la chambre des représentants. Le dit projet édictant des dispositions particulières pour les contrats de voyage, les séjours touristiques et les contrats de transport aérien des passagers, après y avoir apporté une série d'amendements, vient comme mesure de « sauvetage » pour les entreprises du secteur, lourdement impactées par la crise du covid-19. « Nécessaire et urgent, ce projet de loi permettra de sauver les entreprises opérant dans le secteur touristique et le transport aérien d'une éventuelle faillite », affirme la ministre du tourisme, Nadia Fettah, lors de son allocution devant la chambre des représentants. La colère des consommateurs Or, cette décision n'est pas au goût des associations des consommateurs. Pour le président de l'association de protection du consommateur UNICONSO, Ouadi Madih, ce projet de loi n'est conforme ni aux dispositions de la loi de protection du consommateur, ni à celles relatives au droit des obligations et contrats (DOC) et droit universel du consommateur. « Le consommateur a pleinement le droit de demander le remboursement dans le délai de 7 jours, prescrit par la loi en cas d'annulation de contrat», explique Ouadi Madih. Il ajoute aussi que «le DOC prévoit le remboursement des montants avancés si le produit ou le service objets du contrat ne sont pas consommés suite à la défaillance du prestataire ». En effet, avec ce projet de loi, tous les contrats de voyage, les séjours touristiques et les contrats de transport aérien programmés durant la période du 1er mars au 30 septembre 2020 sont concernés. En d'autres termes, « le consommateur doit accepter la reconnaissance de dette pendant 7 mois au lieu d'être remboursé pendant 7 jours. Il est privé de son argent durant toute cette période », tient à souligner le président de l'association de protection du consommateur UNICONSO qui qualifie la situation d'aberrante. D'autant plus « qu'on ne donne pas le choix consommateur. Il est plutôt dans l'obligation d'accepter par la force de législation. Et cela va à l'encontre des droits internationaux et nationaux mis en place pour le protéger», regrette t-il. Il déplore également l'absence du rôle des assurances dans la démarche. «Les contrats avec les assureurs ne comprennent pas ce volet et ne tiennent pas compte de ces circonstances. Le plus judicieux serait d'instaurer une loi dans ce sens et les obliger à adhérer dans le processus », affirme Madih. Le plaidoyer des agences de voyages Le président de la Fédération nationale des agences de voyages du Maroc (FNAVM), Khalid Benazzouz, a un autre avis. Pour lui, ce projet de loi n'a pas été mis en place pour porter atteinte aux droits des consommateurs, mais plutôt pour les protéger. Comment ? « Il n'est pas dans l'intérêt du consommateur que les agences de voyages mettent la clé sous la porte. Dans ce cas, Il perdra tous ses droits. Au moins avec cette loi, il a la garantie qu'il pourra profiter de la prestation plus tard dès la reprise du service et l'ouverture des frontières », explique Khalid Benazzouz qui insiste cependant que les agences de voyages et les compagnies aériennes ne disposent pas de cet argent, objet du contrat. Les montants sont déposés plutôt en tant qu'avances chez divers fournisseurs dans le monde entier tels que les hôtels. «Cette loi n'annule pas le contrat mais le reporte. Et si on propose cette solution, c'est à cause de la pandémie, une grande force majeure qui nous a contraint d'arrêter toute la machine », ajoute Benazzouz. Axes de relance Il faut dire qu'aujourd'hui le secteur qui englobe 1450 agences de voyages et emploie près de 11.000 salariés, est en arrêt total. Les pertes selon la FNAVM, sont estimées à quelques 130MDH. Au vu d'une situation économique et sociale inédite, supportée très difficilement par tous les acteurs du tourisme et afin de pouvoir dépasser avec le moins de dégâts collatéraux possibles cette crise, la FNAVM a émis une série d'orientations stratégiques et de recommandations opérationnelles qui permettront de surmonter le coup à court et moyen terme. Ainsi, la fédération veut adopter un moratoire quant à la mise en application de la loi 11-16 et l'élaboration du décret relatif à son application, sur la base d'une étude d'impact tenant compte de la réalité post – pandémique du secteur touristique et les perspectives objectives de sa relance. Outre les quelques réaménagements opérés au niveau des délais du paiement des charges fiscales, la fédération préconise que le levier fiscal doit être actionné pour réduire la pression et l'injustice fiscale dont fait l'objet le secteur des agences de voyages. « Une réduction du taux de la TVA et son uniformisation avec ce qui se pratique pour les autres pans du secteur touristique est dans ces conditions exceptionnelles, serait amplement justifiée », insiste Benazzouz avant d'ajouter que « les effets de la pandémie la rendent évidente et nécessaire pour aider le secteur non seulement à se maintenir, mais aussi à préparer sa relance ». Aussi, l'exonération d'impôts portant sur une durée de deux exercices fiscaux pourrait être, selon la FNAVM, un moyen de consolidation et d'appui aux PME & TPE agences de voyages pour mieux appréhender les exigences de leur redémarrage et leur redynamisation. Concurrence déloyale Autre doléance : faire droit au secteur des agences de voyages en les protégeant de la concurrence déloyale dont elles font l'objet de la part des OTA étrangers. Et particulièrement au niveau de l'activité touristique liée au tourisme interne pour remettre et renforcer la préférence nationale en incitant des hôteliers à recourir aux services des agences de voyages principalement au lieu d'en être les commanditaires ( privilégiant les TO étrangers et principalement les GAFA qui ne sont soumis à aucune contribution fiscale). « il s'agit de réactiver la clause obligeant les opérateurs étrangers à recourir aux agences de voyages de droit marocain pour toutes transactions touristiques au Royaume », commente Khalid Benazzouz qui propose par la même occasion la suspension de la règlementation de l'office des changes concernant les délais de rapatriement des devises des paiements de factures des partenaires étrangers qui risquent de ne pas honorer les délais, avec une proposition de prolongation jusqu'en avril 2021. Pour préserver les emplois du secteur, les professionnels sollicitent la prolongation de l'octroi des indemnités de la CNSS et les exonérations des charges sociales à fin décembre 2020. En attendant le feu vert du ministère de tutelle et l'adoption du plan de relance sectoriel par le comité de veille économique, le projet de loi N° 30.20 vise à limiter la casse, alléger la trésorerie de l'activité et sauvegarder ses emplois. Si l'argent ne sera pas rendu aux consommateurs, la FNAVM est prête à faire des exceptions pour certains cas. Car finalement «on n'a pas intérêt à perdre nos clients, qui constituent notre vrai capital », assure Benazzouz. Une procédure de mise en œuvre est en cours de préparation en partenariat avec le ministère du tourisme afin d'accompagner les associations et les fédérations régionales dans le processus. Une précision, les contrats du hajj ne sont pas concernés par ce projet de loi. L'opération d'al Omra est incluse par ailleurs. « On demande aux consommateurs d'être patients et de nous faire confiance comme ils l'ont fait lors de la signature de leurs contrats de voyage et la réservation de leurs séjours », conclut Khalid Benazzouz.