Les besoins en infrastructures dans nos villes s'élèveraient à une enveloppe de près de 320 milliards de DH sur la période 2017-2027, avec une part de plus de 220 milliards de DH qui devront être autofinancés par les villes elles-mêmes, soit 22 milliards de DH par an, selon des estimations établies dans le cadre de plusieurs études sur l'urbanisation au Maroc. Pour faire face à ces gigantesques besoins, les villes sont interpellées pour relever le double défi de renforcer leur capacité de planification et d'exécution des investissements, et de garantir un éventail suffisamment large de ressources financières, grâce à une augmentation durable et pérenne de leurs revenus fiscaux, et tout en atténuant leur forte dépendance vis-à-vis des transferts de l'Etat. Et pour cause, l'Etat, au nom d'une gestion prudente des finances publiques, déjà soumises à une tension budgétaire, pourra difficilement augmenter les transferts de ressources vers les échelons locaux. Du coup, les impôts locaux représentent dans ce cadre un pilier fondamental de l'échafaudage financier et le substrat de l'autonomie financière de ces villes, confrontées aux effets enchevêtrés de leur urbanisation rapide et incontrôlée. Déficit structurel de recouvrement fiscal, limites des outils de veille territoriale, insuffisance des ressources humaines qualifiées et motivées, sont autant de faiblesses qui justifient un débat renouvelé sur la gouvernance financière et la capacité des villes à tirer pleinement avantage des dividendes économiques de l'urbanisation grâce notamment à une mobilisation accrue de leur potentiel fiscal sous-exploité. Une dynamique positive des recettes fiscales constitue les garanties nécessaires à la mobilisation de ressources supplémentaires, provenant notamment de l'emprunt. Cependant, force est de constater que les villes qui ont le plus besoin de ces ressources sont aussi celles qui ont le plus de mal à maitriser le produit de leur fiscalité. Dans le même temps, l'on assiste paradoxalement à un sentiment d'insatisfaction des citoyens face aux actions de la ville, qui, pour elle, le déficit en services urbains est au contraire la conséquence de l'absence d'une culture citoyenne de l'impôt, ce qui renforce la légitimité des prélèvements auxquels sont assujettis les contribuables. En contrepartie, la ville a l'obligation de bien gérer les impôts locaux, en être comptable auprès de la population quant à l'emploi des ressources et à l'efficacité de son intervention. Il s'agit donc d'opérer un retournement dans cet état de fait : optimiser l'assiette fiscale pour augmenter les ressources afin de pouvoir répondre aux besoins toujours croissants en matière d'équipements et de services aux citoyens. Rompre avec la culture du contribuable assujetti Il va sans dire que l'insuffisance de culture fiscale du contribuable, et son corollaire l'évasion fiscale, entravent les efforts de développement des villes qui sont interpellées pour élaborer une vision claire et volontariste en matière de gouvernance fiscale, et opérer un renversement de paradigme avec l'idée motrice que l'administration fiscale doit désormais considérer les contribuables comme des clients, en droit d'exiger l'allègement de la lourdeur bureaucratique et procédurière de la collecte des impôts locaux ainsi qu'un retour fiscal tangible. Des solutions sont possibles pour améliorer les recettes et le rendement aussi bien des impôts directement administrés par les villes que ceux gérés par l'Etat pour leur compte, ces derniers représentent un potentiel important inexploité, dont le volume équivaudrait au quart des revenus des villes. Les moyens institutionnels, humains et financiers à mettre en place n'étant pas hors de leur portée, il est possible d'introduire des mécanismes innovants en vue d'optimiser les coûts récurrents de perception des impôts qui regroupent les dépenses de fonctionnement et d'investissement des administrations fiscales locales : actualisation des bases de données pour l'adressage et le recensement des contribuables, évaluation de l'assiette des impôts dus, recouvrement, rémunération des fonctionnaires chargés du contrôle et des contentieux, etc. Améliorer l'adéquation entre la réalité dynamique du terrain et ces bases de données exige que les villes disposent d'outils de veille territoriale, adaptent leurs méthodes de travail en agissant sur la qualité des locaux et de l'accueil des citoyens, la formation et l'intéressement du personnel et la communication avec les contribuables, ces derniers devenus de plus en plus exigeants en matière d'information, de transparence et de vérité des coûts. Automatiser les processus fiscaux L'un des leviers importants pour la modernisation de la chaine de valeur de la fiscalité locale est de migrer vers un système de gouvernance alternatif de recouvrement de l'impôt local prenant appui sur l'informatisation des bases de données et l'automatisation des processus fiscaux. D'autant plus que les informations nécessaires pour l'administration fiscale sont nombreuses et de natures très diverses : cartographie urbaine, registres d'informations sur les contribuables, systèmes d'information géographique, sommiers de consistance et valeur du patrimoine, captation de la plus-value foncière et immobilière, occupation du domaine publics, etc. Digitaliser les processus fiscaux L'objectif étant de simplifier les démarches fiscales, de diminuer les temps d'attente, de capter de nouveaux contribuables, d'établir une planification fiscale, d'augmenter les ressources endogènes, et par conséquent la crédibilité des villes et leur capacité à mobiliser des financements à la hauteur de l'immensité des besoins d'investissement. L'ouverture de ces villes vis-à-vis des institutions financières et des marchés de capitaux nécessite de créer une information claire et d'améliorer la transparence de la gestion budgétaire en connexion avec les perspectives de développement à moyen et long terme. L'investissement dans les technologies informatiques pour la collecte automatisée de l'impôt est une source d'amélioration des rendements permettant une gestion beaucoup plus rapide et plus fine des processus fiscaux, l'arbitraire est significativement atténué du fait de l'automatisation, l'acquittement des dettes fiscales devient moins fastidieux, la corruption devient plus difficile à se mettre en place, et le sentiment de traitement clientéliste des citoyens et entreprises contribuables tend à disparaitre, en même temps que la diminution du taux d'évasion fiscale. L'économie d'efforts et de temps obtenue grâce à l'automatisation de ces processus libère les énergies des villes pour « vendre » une conscience citoyenne sur le plan fiscal, qui commande d'investir dans la communication avec les contribuables sur la pédagogie et la légitimité de l'impôt, et de promouvoir un changement de culture fiscale, de mettre en avant la responsabilité du citoyen dans les politiques publiques locales et le caractère citoyen du paiement des impôts pour le développement urbain, tout en rendant ce processus le plus facile, le plus fiable et le plus transparent possible. Les villes doivent aussi saisir l'opportunité de proposer des services spécifiques pour les grandes entreprises contribuables implantées sur leur territoire, qui doivent s'acquitter de montants importants, en leur réservant un accueil personnalisé, afin d'améliorer le rendement de l'impôt sur les activités économiques et dans une logique de valorisation de l'investissement privé créateur de richesse et d'emploi. * Mohamed Benahmed est Directeur des grands projets au Fonds d'Equipement Communal.