Le Maroc a connu, pendant les vingt dernières années, une série de réformes politiques, administratives et juridiques en matière des droits de l'homme : une constitution démocratique qui renforce le respect des droits et libertés des citoyens, l'enlèvement de plusieurs réserves émises à propos de conventions internationales qu'il avait déjà ratifiées, et la création des institutions œuvrant dans le domaine de la promotion et protection des droits de l'Homme. A la lumière de cette évolution marquée par les avancées réalisées en matière des droits de l'homme durant les dernières années, le Maroc a connu un événement remarquable en 2004, était la création de l'Instance équité et réconciliation (IER), pour enquêter sur des violations graves des droits de l'homme passées entre les années 1956 et 1999, période appelée « années de plomb », et réaliser la réconciliation, afin d'envisager l'avenir à la lumière des recommandations de cette instance. L'enquête de l'IER s'est penchée sur les pratiques abusives, telles que la détention arbitraire, la torture et la disparition forcée, afin d'établir la vérité, rendre justice aux victimes et surtout tourner la page des violations des droits humains tout en s'assurant de leur non-répétition, le tout dans une logique qui vise à favoriser la réconciliation et asseoir la transition vers un Etat de droit. Les travaux de l'IER ont axés quatre questions clés : * Comprendre ce qui s'est passé exactement durant la période allant du début de l'indépendance en 1956 à 1999; 2- Contrairement aux autres expériences, l'expérience marocaine a adopté l'approche genre, faisant remarquer que les femmes victimes ont eu droit à des compensations plus élevées que celles attribuées aux hommes en raison des souffrances subies par cette catégorie; 3 – Les travaux de l'Instance ont couvert relativement une longue période (43 ans) enregistrant ainsi un succès à ce niveau par rapport à l'expérience des autres pays; 4- Cette expérience, est liée à la réparation du préjudice qui ne s'est pas limitée aux personnes victimes mais elle a englobé une dimension géographique et sociologique ayant concerné toutes les régions qui abritaient des lieux de détention secrets et dont les habitants ont été exclus des plans de développement. Outre sa mission d'enquête pour dévoiler la vérité, l'IER a procédé à une analyse des contextes politiques et historiques de ces violations afin de définir les responsabilités institutionnelles et collectives En 2006, l'IER a remis à SM le Roi Mohamed VI son rapport final, qui a donné ses instructions au Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), pour se charger d'assurer le suivi des recommandations énoncées dans le rapport de l'IER. L'expérience marocaine en matière de justice transitionnelle a été saluée internationalement comme un grand pas en avant, et qualifiée d'unique dans le monde arabe et islamique. Elle est devenue précieuse dans d'autres pays, en particulier pour les pays voisins au nord d'Afrique. La réalisation d'une justice constitutionnelle au Maroc témoigne de l'existence d'une forte volonté de consolider un Etat de droit qui garantit le respect des droits de l'Homme, mais cela exige davantage d'efforts pour continuer le chemin des réformes législatives et institutionnelles pour se conformer aux conventions internationales. La voie du respect et de la promotion des droits de l'Homme est longue, elle exige plus de combat et de mobilisation des autorités publiques, et également la contribution de la société civile dans le développement des mécanismes de protection afin que les violations graves ne seront pas répétées. Par Khalid Cherkaoui Semmouni, Chercheur en Droit constitutionnel et Finances publiques et Ancien président du Centre Marocain des Droits de l'Homme