L'IER rend au Souverain ses conclusions sur les années dites «de plomb» L'instance Equité et réconciliation, baptisée IER, a mené un travail louable et considérable pendant deux années pour dresser des conclusions suffisamment crédibles pour être plus que satisfaisants. Son rapport remis au Souverain, qui traite d'une fourchette chronologique qui couvre la période 1956-1999, rend compte d'un autre Maroc, dénoncé par le Souverain dès son intrônisation. Cette semaine, sauf imprévu, nous assure une source digne de foi, seront dévoilés les résultats du rapport de l'Instance Equité et réconciliation (l'IER) sur les années dites « de plomb » qu'aurait vécues le Maroc peu après son indépendance. Et c'est le Souverain lui-même, ajoute la même source, de retour de la capitale française, qui en annoncera, lors d'un discours officiel adressé au peuple, les grandes lignes. Après deux années donc d'auditions et de témoignages sur les enlèvements, les tortures et les disparitions qu'a connues le Maroc, le pays s'apprête à clore définitivement ce chapitre douloureux de son passé dans le cadre d'une continuation institutionnelle. C'est en effet dans le contexte de cette continuité –comme l'avait souligné le Souverain à l'occasion de la mise en place de l'IER en 2003-que le travail de longue haleine de cette commission a été entrepris. L'objectif étant de dresser l'image réelle d'un Maroc à la croisée des chemins, un pays qui commence à accepter les multiples facettes d'une réalité qui n'a pas été toujours rose. En cette fin d'année 2005, le virage de la réconciliation est donc déjà amorcé. L'Instance Equité et Réconciliation est une immense avancée vers l'ancrage de l'Etat de droit et la réhabilitation des victimes de “l'arbitraire” dénoncé par le Roi dès son intronisation en 1999. Des bribes d'informations que nous avons obtenues de sources officieuses proches de l'IER, il en ressort que l'IER a concocté en fait deux rapports, l'un plus détaillé et plus volumineux (il est composé de six volumes) adressé au Souverain, et l'autre aussi consistant et intéressant, destiné au grand public. L'un comme l'autre sont suffisamment crédibles pour être plus que satisfaisants. Leurs conclusions dénotent d'une volonté certaine de décrisper l'atmosphère, longtemps assombrie par des bouderies et des atteintes graves aux droits de l'Homme, auxquelles répond l'indignation des membres de l'IER. Et sur ce plan, la commission que préside Driss Benzekri a été particulièrement bien placée pour rendre compte de la réalité d'un gros passif en matière des droits de l'Homme au Maroc. En effet, des 500 heures de témoignages, d'enregistrement, et d'écoutes des victimes ainsi que de leurs “bourreaux”, les membres de l'instance Equité et réconciliation crèvent l'abcès au plus profond des germes d'infection pour nous rendre compte d'un autre Maroc, ses victimes et leur ayants droits, à peu près 22 000 cas dont seulement 6000 identifiés et reconnus officiellement pour êtreindemnisés. Les indemnités allouées et fixées par l'IER se sont élevées à un montant de l'ordre de 1 milliard de DH qui seront communiquées par courrier aux personnes intéressées. Si l'IER avait interdit aux victimes de «l'arbitraire» de ne pas citer leurs tortionnaires lors de ses audiences publiques tenues dans les quatre coins du pays et retransmises en direct par les deux chaînes de télévision, il n'en est pas le cas en ce qui concerne les rapports qu'il avait préparés à l'attention du Souverain. En effet, selon la même source, dans sa démarche, l'IER n'a pas omis d'inclure également les noms des tortionnaires et leurs donneurs d'ordres, cités en bonne place, ainsi que leurs fonctions respectives qu'ils occupaient ou qu'ils occupent (certains sont même toujours de service). La fourchette chronologique retenue par cette instance couvre la période de 1956 à 1999. Et de cette période, pour ne s'en tenir qu'à l'essentiel, la commission de Driss Benzekri revient avec amplement de détail sur la répression qui a suivi les évènements tristes du 23 mars 1965, ceux du 3 mars 1973, du 19 avril 1979, du 20 juin 1981, du 11 janvier 1984, et du 14 décembre 1990. Elle cite entre autres comme lieux de détention arbitraire et des incarcérations prolongées sans jugements, Dar El Mokri, Kalaât M'gouna, Derb Moulay Cherif, Agdez et Tazmamart. Idem pour les lieux d'enterrement secrets des victimes des années de plomb, localisés et identifiés par l'IER dans son rapport, le dernier étant celui de la caserne des sapeurs pompiers de Casablanca (à côté du cimetière Achouhada) où ont été découvertes 77 tombes où sont enterrées les victimes de la répression des grèves de 1981. Et pour bien illustrer et appuyer sa version des faits, l'IER fait appel dans son rapport à des grands témoins de l'histoire comme ceux de l'armée de libération, du parti d'Achoura, celui de l'Istiqlal…, qui ont contribué à l'ensemble du processus. Leurs contributions et les éclairages qu'ils ont apportés aux membres de l'IER sont d'une extrême importance puisqu'ils ont confirmé, comme ils ont infirmé, une grosse partie de notre douloureuse histoire et autres horribles traitements d'un passé pas lointain reprochés à certains commis de l'Etat et ainsi que les commanditaires de l'époque, identifiés et identifiables, pour qu'ils soient démis de leurs fonctions et mis à l'écart pour leur implication dans les violations des droits de l'homme durant cette époque. Une mesure qui pourrait, selon l'IER, réconforter les familles et les victimes toujours en vie. Seul hic, ajoute la même source, le cas de Mehdi Ben Barka (voir carnets politiques) qui a fait l'objet d'une impasse flagrante, apparemment voulue, par certains membres de l'IER qui se sont opposés formellement à l'examen de cette affaire. Sur le registre des recommandations, là encore, le travail de l'instance de la réconciliation est très abondant en matière de réformes législatives, juridiques, institutionnelles et même constitutionnelles. Au terme de sa mission, l'IER recommande un train de mesures relatives à la réforme de l'Administration en sens large du terme, du ministère de l'Intérieur, celui de la Justice, au contrôle des appareils sécuritaires, afin de garantir l'exercice des libertés et la dignité humaine. Il est préconisé la mise en place d'une commission de suivi au sein du CCDH (Conseil consultatif des droits de l'Homme) pour veiller à l'application stricte des recommandations de l'IER. De même, ajoute notre source, l'IER propose la création également des commissions régionales, dans les quatre coins du pays, pour rendre compte des résultats de cette instance aux victimes et leurs ayants droits. En somme, s'acquitter du devoir de vérité envers la société et bien cerner une époque politique avec son cortège d'affrontements sur le plan national. Et enfin, l'IER exprime dans son rapport, le souhait de transférer l'ensemble des lieux de détention secrets marocains en des espaces publics à usage commémoratif ou les victimes peuvent se recueillir et tourner la page en détournant les yeux des horreurs que « la nouvelle ère» ne peut en aucun cas accepter.