Ecrit par Soubha Es-Siari | Le déficit commercial ne cessant de s'aggraver d'année en année questionne certes sur la capacité de notre tissu économique à être compétitif mais également sur les enjeux des accords de libre-échange signés par le Maroc. Face à ce déficit inquiétant, le Maroc ne peut être le dindon de la farce. Invité récemment par le patronat pour débattre des défis auxquels est confrontée la balance commerciale à l'aune des récentes crises, Abdelouahed Rahhal, Directeur Général du Commerce au sein du ministère de l'industrie et du commerce a rappelé d'emblée que quoique l'on dise les accords de libre-échange (ALE) jouent un rôle déterminant dans le développement du commerce extérieur et, par ricochet, dans le développement économique d'une manière générale. Les ALE permettent à titre d'exemple d'améliorer l'attrait des investissements, de drainer de la valeur ajoutée comme ce qui se fait actuellement dans les secteurs de l'automobile ou l'aéronautique qui ont pu attirer des investisseurs de grosse pointure. Lesdits accords rentrent bien entendu dans le processus d'ouverture dans lequel le Maroc s'est inscrit au début des années 90 en commençant avec l'Union Européenne, principal partenaire, avant de s'ouvrir au fil de l'eau sur d'autres économies. A ce titre, il étaye ses propos par le fait que 99% de nos exportations de produits finis se font dans le cadre des ALE, 98% des produits d'équipements finis et 88% des produits frais agricoles se font dans le cadre des ALE... Des chiffres qui parlent d'eux-mêmes. Le Maroc ne fait donc pas l'exception dans la mesure où même à l'échelle mondiale, les échanges commerciaux se font dans le cadre d'un ALE ou d'un accord préférentiel. En vue d'être menés à bon escient et qu'ils soient concluants également pour le Royaume, les ALE doivent prendre en considération les réalités économiques et les capacités de notre tissu économique pour éviter qu'ils soient en notre défaveur. Bien que tous les accords signés par le Maroc sont déficitaires, celui de Maroc-Turquie est le plus édifiant. Il s'agit comme annoncé par A. Rahhal d'un accord où l'on est passé de la complémentarité souhaitée au départ à la concurrence féroce, appuyée par l'Etat turque, sur les mêmes produits et les mêmes marchés. A ce titre, le gouvernement marocain n'a pas tardé à procéder en 2020 sous la tutelle de Moulay Hafid Elalamy à la révision de cet accord dans lequel le Royaume est perdant sur toute la ligne. Depuis le 27 mai 2022, une nouvelle mouture de l'ALE Maroc-Turquie est entrée en vigueur. Il s'agit plus précisément d'une circulaire publiée par l'ADII amendant l'accord de libre-échange Maroc-Turquie. Cette nouvelle mouture est censée équilibrer la balance commerciale avec la Turquie dont le déficit s'est creusé en 2021 de 34% en défaveur du Maroc. Le leitmotiv de cet amendement est d'aboutir à un deal gagnant-gagnant. Au-delà du périmètre comptable Pour mieux évaluer un accord de libre-échange, il ne faut pas selon A. Rahhal, rester cantonné à la balance commerciale mais s'étendre bien au-delà. En effet, si l'on prend l'exemple des autres partenaires tels que l'UE ou les USA, le déficit commercial de notre balance commerciale est compensé par d'autres flux pour ne citer que les transferts d'argent des MRE, de l'investissement dans des secteurs stratégiques. C'est le but recherché à travers l'éventuelle compensation avec la Turquie dont le déficit commercial s'élève à 23 Mds de DH. Aussi, la nature des produits importés suscite-t-elle une révision si l'on part du fait que le Maroc souhaite développer la substitution aux importations pour une catégorie de produits (textile, électrique, métallurgique...) et qui prévoit un projet d'investissement de 34 Mds de DH. Le gouvernement a mis en place une liste négative comportant des produits ne rentrant pas dans le cadre de l'accord. Cette liste n'est pas figée mais actualisée une fois par an par un comité. Le Maroc ayant opté pour l'accélération industrielle, pour un nouveau modèle de développement a le droit de demander l'harmonisation voire l'actualisation de ses accords de libre-échange qui in fine lui portent préjudice répond Rahhal à ceux qui considèrent l'amendement de l'ALE Maroc-Turquie comme une volte face pour le Maroc. Il va même jusqu'à illustrer ses propos par des exemples de dispositions auxquelles recourent parfois les pays pour défendre leurs propres intérêts. Le Maroc ne peut ainsi resté les bras croisés et être le dindon de la farce. Les entreprises marocaines à leur tour doivent faire preuve de plus d'innovation, de diversifier leurs produits, de s'intéresser aux niches... voire aux produits d'un pays en quête d'industrialisation. Faute de quoi, elles resteraient victimes du problème structurel de la non-compétitivité. Aujourd'hui d'ailleurs une frange importante du tissu économique souffre de ce problème épineux de non-compétitivité aggravé par le spectre d'une inflation importée en matière d'intrants. Une chose est sûre : avec les accords de libre-échange, le Maroc est appelé à voir la moitié pleine du verre et challenger les défis pour être compétitif dans un monde de plus en plus globalisé où règne le chacun pour soi.