Interviewé par Lamiae Boumahrou | En cours de mise en œuvre, le chantier de généralisation de la couverture médicale revêt une importance capitale. Sa réussite repose sur plusieurs prérequis dont l'implication du secteur privé pour répondre aux besoins des 22 millions de nouveaux assurés qui intégreront le système. Le point avec Dr. Redouane Semlali, président de l'Association nationale des cliniques privées sur comment le secteur privé compte-t-il contribuer au chantier de la généralisation de l'AMO. EcoActu.ma : Le Maroc est en phase d'opérer un virage important dans la couverture maladie de sa population grâce au chantier Royal de la généralisation de l'AMO. Quel rôle devra jouer le secteur privé dans la réussite de ce chantier stratégique ? Redouane Semlali : La pandémie Covid au Maroc a fait ressortir, durant les deux dernières années qu'elle a duré, des énormes carences et insuffisances en matière d'offre de soins. Ces carences ont mis à nu tous les défauts de notre système de santé en le confrontant à une situation qui a frôlé le drame. Les derniers discours de Sa Majesté le Roi, que Dieu le glorifie, ainsi que la volonté politique du gouvernement récemment élu, ont insisté sur l'urgence de s'atteler sur l'amélioration significative de l'offre de soins au Maroc. C'est pourquoi, ils ont mis en route le projet de la généralisation de l'assurance maladie. Il est clair que le secteur de l'hospitalisation privé occupe une place non négligeable dans l'offre de soins des patients au Maroc, dans la mesure où, neuf malades assurés sur dix sont traités dans notre secteur et six malades sur dix de la population générale se préparent et attendent cette nouvelle dynamique de généralisation de l'assurance maladie. Il faudrait noter que notre secteur se positionne en tant qu'acteur important et voit d'un bon œil sa collaboration avec le secteur public pour améliorer quantitativement et qualitativement l'offre de soins. Bien que le partenariat public-privé figure parmi les clés de réussite de ce chantier, son application sur le terrain laisse à désirer. Qu'est-ce qui bloque réellement ? Dans les systèmes de santé performants à travers le monde, aucune distinction n'est faite entre l'offre de soins privée et l'offre de soins publique. Les deux travaillent en parfaite complémentarité et adéquation afin de servir la population. Si nous voulons avoir un système de santé fort, il faudrait que les deux secteurs se mettent la main dans la main à travers un partenariat public-privé. Malheureusement, ce partenariat n'a été activé que très timidement même pendant la pandémie Covid car nous n'avons pas pu collaborer étroitement dans la prise en charge des cas graves alors que nous nous attendions à travailler main dans la main pour une complémentarité et une mutualisation, aussi bien sur le plan humain qu'au niveau matériel. La réussite de notre système de santé, d'après moi, dépend énormément du renforcement de ce partenariat. Il faudrait rajouter aussi qu'actuellement, le grand défi pour asseoir une offre de soins complètement coordonnée entre les deux secteurs est un défi humain vu la carence en ressources humaines qui a atteint aujourd'hui plus de 90.000 ressources. Cette situation est aggravée par une émigration de cerveaux qui continue à alourdir ce bilan. Cette hémorragie ne pourrait s'arrêter que par une mutualisation rationnelle et légalisée des ressources afin de permettre au secteur une attribution optimale des qualifications entre le privé et le public. Qu'est-ce qu'il faut pour activer les PPP dans le secteur de la santé et hisser par ricochet le niveau de notre système de santé ? Je pense qu'il va falloir que nous prenions exemple des pays développés qui nous ont devancés dans la mise en place de système de soins performent comme la France par exemple afin de donner la chance à ce partenariat de réussir et d'être efficace. D'abord il faudrait une volonté politique. Les deux secteurs doivent être convaincus que ce qui compte aujourd'hui, c'est l'efficacité et l'efficience au niveau de la prise en charge médicale de la population. Deuxièmement, pour que ce partenariat soit efficace, il devrait être facile à activer et fluide. Cette fluidité et cette accélération de sa mise en place ne peuvent être assurées que grâce à une organisation régionale qui va permettre de l'activer et de l'adapter selon les spécificités de chaque région parce que la création d'un partenariat dans une région comme Casablanca n'est pas la même chose que dans la région de Guelmim-oued Noun par exemple. Troisièmement, ce partenariat devrait être multisectoriel car le secteur de la santé concerne aussi bien les structures hospitalières privées et publiques que tous les acteurs locaux et les sensibilités régionales à savoir : les collectivités locales, les associations, l'industrie pharmaceutique, les autorités territoriales, qui doivent se mobiliser pour mieux coordonner ce partenariat. Quatrièmement, et c'est le point le plus important, ce partenariat devrait être bidirectionnel, fonctionnant dans les deux sens, dans le sens du public vers le privé et dans le sens du privé vers le public. Je pense que si nous respectons ensemble ses règles, nous pourrions enfin voir ce partenariat réussir par la mutualisation des ressources et la rationalisation des dépenses de soins pour un système de santé beaucoup plus efficace, beaucoup plus efficient et moins couteux pour le citoyen. L'arrivée de 22 millions de Marocains supplémentaires risque de peser sur un système de santé déjà fragilisé. Quelles sont les mesures urgentes à mettre en place pour éviter la décongestion du système ? Il est très important de dire qu'avec les 22 millions assurés potentiels l'offre de soins reste largement en dessous du besoin. Il va falloir, donc, améliorer notre offre de soins par la mise à niveau du secteur public depuis le dispensaire jusqu'au CHU. Il faut noter que l'action de mise en place des CHU dans des différentes régions a bien démarré mais sa cadence reste très lente et loin de répondre et satisfaire toute la demande supplémentaire. Du côté des cliniques privées, il est certain que les 400 structures recensées à travers le Maroc ne peuvent pas non plus y répondre sans qu'elles subissent l'effet du goulot d'étranglement. La cadence des créations des cliniques est accélérée, les investisseurs, surtout médecins, s'attellent actuellement à augmenter leur capacité et créent des nouvelles institutions contrairement aux investisseurs non médecins. En 2020, pendant la période Covid, 44 cliniques ont vu le jour. Pour arriver à couvrir la demande totale de soins et afin d'accompagner le développement des cliniques, des incitations sont à mettre en place à savoir: * Une facilitation de l'investissement par la vente du foncier aux investisseurs à l'image des autres secteurs ; * Une fiscalité attrayante pour encourager les investisseurs pour investir dans des déserts médicaux ; * Une revue de la question de la TVA sur le matériel médical qui est un impôt injuste dans le domaine médical. Comment peut-on accepter de grever 20% au coût des soins et pénaliser le patient dans son accès à certaines thérapeutiques en imposant cet impôt pour tout achat de matériel médical ou constructions d'institutions médicales ? Il est urgent qu'une approche multisectorielle, à travers des assises, unisse tous les secteurs en les incitant à se mettre autour d'une table pour répondre à comment nous allons relever le défi de traiter les 32 millions de marocains que nous espérons faire bénéficier de l'assurance maladie dans les trois ou quatre années à venir. Aujourd'hui malgré l'adoption de la loi 131-13 qui a ouvert les capitaux des cliniques privées aux non-médecins, les investisseurs ne s'implantent que dans les zones où l'offre de soins est étoffée. Pourquoi les investisseurs fuient les zones ne disposant pas d'offre de soins ? Avant la mise en place de la loi 131-13, nous avions au sein de l'association nationale des cliniques privés attiré l'attention des responsables gouvernementaux sur la possibilité d'échec de cette politique. En effet quand nous faisons le bilan sur les investisseurs non médecins, ceux qui se sont intéressés à l'investissement dans ce domaine que ça soit dans les zones favorisées ou défavorisées, le bilan est très faible. Aujourd'hui 10 % uniquement des cliniques ont pu transiter où ont été créées par des investisseurs non médecins. Pourquoi ? Tout d'abord, parce qu'au Maroc l'attractivité aussi bien conjoncturelle, fiscale, foncière et financière, n'a pas été au rendez-vous. Les pays qui ont décidé de dynamiser ce type d'investissement, ont mis en place des processus d'encouragement et de facilitation afin de promouvoir une offre de soins suffisante. Ici les circuits réglementaires gouvernementaux par leur rigidité bloquent la progression de ces investissements qui sont confrontés à une lenteur et à d'énormes difficultés au niveau du circuit administratif en partant de la ville jusqu'au instances ministérielles. Concernant les villes dites défavorisées, il est très difficile d'y installer une offre de soins cohérente, complète et sécurisée alors qu'elles ne disposent pas de ressources humaines médicales et paramédicales suffisantes, d'un environnement permettant de soigner les malades en toute sécurité, d'un foncier bien préparé et bien situé, d'incitations fiscales et d'encouragement en matière d'emploi et enfin, d'un « marché » suffisant de malades assurés, sachant pertinemment que dans ces villes défavorisées, le pouvoir d'achat est faible vu que la population est majoritairement composée de paysans et d'agriculteurs. Je pense qu'une restructuration globale s'impose dans ces régions sur les plans : urbanistique réglementaire, fiscal, financier et médical afin d'inciter les investisseurs à s'y installer et créer des entités d'offre de soins. Le secteur privé ne cesse d'appeler la tutelle à la mise en place d'une carte sanitaire commune. Où en sont les discussions ? Qu'est ce qu'elle va apporter au secteur privé ? Il est très important de signaler que tout système de santé performant doit rationaliser ses installations et les mutualiser et la carte sanitaire devrait être opposable à tous les secteurs. Aujourd'hui notre niveau de soins est tel que le manque existe un peu partout dans les régions du Maroc. Mais si dans cette dynamique d'encouragement des investissements et la nécessité d'une offre de soins performante, nous ne démocratisons pas l'installation des institutions de santé par une carte sanitaire, nous risquons encore de creuser les disparités existantes entre les régions. Cette carte devrait être préparée selon des ratios reconnus par les instances internationales mais auparavant une mise à niveau de tout le secteur est nécessaire pour rendre l'offre de soins plus équitable et plus compétitive au niveau des deux secteurs et permettre ainsi au malade de faire le choix sans se poser la question où est ce qu'il sera le mieux traité. La carte sanitaire est un préalable à l'installation d'une offre de soins. Certains pays de notre niveau comme la Tunisie l'ont instauré. Leur offre de soins est beaucoup plus diversifiée et beaucoup plus disparate dans toutes les régions de la Tunisie, mais au-delà d'une insuffisance en ressources humaines et en offre de soins, cette carte sanitaire doit répondre à des besoins urgents d'abord.