Les sociétés d'exploration au Maroc n'ont pas encore annoncé de résultats probants. Une petite société opérant dans les mines et filiale d'Attijari Invest ouvre la boîte de Pandore. Elle promet un procédé permettant l'exploitation des schistes bitumineux à faible prix et sans pollution. Le pari est tentant, surtout que l'Office national des Hydrocarbures a déjà entamé des négociations pour l'exploration de ce gisement. Alors que nous mettons sous presse, le baril de l'or noir se négociait, à New York, à 96,50 dollars après avoir franchi le cap des 98 dollars mercredi. Pour les pétroliers marocains et les financiers du pays, c'est le scénario catastrophe qui se profile. Les financiers, parce qu'ils doivent prendre la décision de compenser, donc maintenir les prix tels qu'ils sont, ou répercuter avec le risque de provoquer la vindicte populaire. Pour les pétroliers, l'option de la compensation dans une période de crise se solde toujours par leur asphyxie : les arriérés de l'Etat s'accumulent, mettant les opérateurs dans une situation délicate. Pour des observateurs qui feignent l'indifférence, «ce n'est pas quelques chose de nouveau pour le Maroc car cette situation dure depuis la fin des années 90». Pour les autres, taxés d'alarmistes, il faut une alternative pour ne plus être à la merci des marchés internationaux et de la danse des prix du pétrole. Et dans ce cas, il n'y a qu'une seule solution : produire du pétrole. Sauf que n'est pas producteur qui veut. Le Maroc veut, mais ne peut pas L'exploration pétrolière n'a pas encore porté ses fruits au Maroc. Depuis le début des années 2000, date de la réforme de la loi sur les hydrocarbures, le Maroc a totalisé, à fin 2006, 91 permis de recherche, 8 autorisations de reconnaissance et 10 concessions d'exploitation. Cela donne 20 permis onshore et 71 permis opérationnels offshore. Le nombre est impressionnant, mais les résultats se font attendre. Les deux seules expériences qui méritent qu'on s'y attarde concernent Cabre Maroc Ltd (voir encadré) et Morocco Petrolum Exploration. Cette dernière est connue de tous les Marocains pour avoir fait rêver tout un pays. En effet, MPE n'est autre que l'héritière de Skidmore, la société américaine qui a fait jaillir le pétrole à Talsint. C'était en 2001, l'annonce avait fait couler beaucoup d'encre à l'époque, car elle avait fait naître le démon pétrolier dans la tête des Marocains, jusque-là habitués à ne compter que sur les aléas climatiques. Le choc de la découverte encaissé, les Marocains n'entendront plus parler de ce gisement. Des querelles entre actionnaires de la société mineront l'atmosphère, certes, mais les vraies raisons résident dans le potentiel d'exploitation. Ainsi, à la question de savoir s'il y a du pétrole à Talsint, tous les spécialistes, même ceux de l'Office national des Hydrocarbures et des Mines, répondent par l'affirmative. Et tous s'empressent d'ajouter que commercialement parlant, le gisement ne mérite pas qu'on s'y attarde. C'est ce qu'a fait MPE en allant voir ailleurs, notamment du côté du potentiel en gaz naturel. Moulay Abdellah Alaoui, président de la Fédération de l'Energie, estime que les opérations de prospect et d'analyse servent actuellement «à cumuler les études, ce qui est bien, mais ne présentent aucune alternative sérieuse au problème énergétique au Maroc». A en croire ce vieux routier du secteur, les chances du Maroc sont minimes dans la production pétrolière. Les résultats des permis d'exploration accordés par l'Office des hydrocarbures lui donnent raison pour l'instant. Or, l'Office croit le contraire. Selon les termes de son rapport annuel, l'Office souligne que les chances du Maroc de faire (un jour) une découverte pétrolière sont intactes. Ce n'est pas un souhait, mais la résultante d'explications savantes de données géologiques, minières et chimiques du sol national. Sauf que, en l'absence de flot noir jaillissant de la terre, on a du mal à s'accrocher à cet optimisme ambiant au sein de l'office de l'Etat. Le retour aux schistes bitumineux : une option sérieuse ? D'ailleurs, l'optimisme de l'Office national des Hydrocarbures est relativisé par l'option de rouvrir le dossier du schiste bitumineux. En effet, l'Office reconnaît la présence de négociations «très avancées avec quatre sociétés de renommée mondiale pour la valorisation des gisements de Timahdit, Tarfaya et Tanger». L'Office révèle également qu'il a lancé une réflexion sur le cadre réglementaire, législatif et fiscal de l'exploration et l'exploitation des schistes bitumineux. Cela veut dire quoi au juste ? Que l'Office se prépare au meilleur et au pire. Le pire d'abord. Les analystes pétroliers s'accordent à dire que le prix du pétrole ne connaîtra pas de relaxe de si tôt. La période du baril à 10 dollars est loin derrière nous. Depuis la fin des années 90, le pétrole ne cesse d'augmenter, se stabilisant aux alentours de 40 dollars au milieu des années 2000 pour exploser à presque 100 dollars au deuxième semestre de 2007. La tendance mondiale est à la hausse, les analystes le confirment en expliquant que la demande mondiale, soutenue par la consommation des monstres en voie de développement, comme la Chine et l'Inde, suit un trend haussier. Les réserves mondiales sont ce qu'elles sont, les prix ne peuvent revenir à des niveaux cléments pour un pays comme le Maroc. Le seul moyen de tirer les prix vers le bas est de faire des découvertes majeures dans des zones aussi éloignées que possible des conflits mondiaux, l'Afrique de l'Ouest notamment. Ce qui explique que les opérations de forages connaissent une croissance palpable d'année en année. C'est la course vers la hausse des réserves mondiales. D'autres options retrouvent leur attrait. Et c'est le meilleur auquel se prépare l'Office. Les schistes bitumineux en font partie. Cette expression barbare veut simplement dire qu'il existe une roche comportant du pétrole ou un hydrocarbure proche. Sa découverte au Maroc remonte aux années du protectorat, mais son exploitation n'a jamais été à l'ordre du jour, à l'exception de la parenthèse du choc pétrolier au milieu des années 70. La crise pétrolière agissant sur le prix du baril au niveau mondial, poussant ainsi le Maroc, un pays en guerre pour la récupération de ses provinces du sud, à se tourner vers les gisements des schistes bitumineux. Sauf que les sociétés ayant obtenu des permis de prospection ou de concession d'exploitation se sont contentées de faire quelques études et de clore le dossier. Surtout que la crise s'est dissipée et que le prix du baril a reculé à des moyennes plus tolérables pour les pays manquant de ressources énergétiques. Donc on passe à autre chose. Une technologie coûteuse et polluante Le baril flambe à 98 dollars et on sort la carte des schistes bitumineux, encore une fois. Toutefois, si le modèle énergétique est quasiment verrouillé, c'est le modèle économique qui échappe à la maîtrise. En effet, au moins deux reproches sont souvent adressés aux défenseurs de l'exploitation de cette roche. La première a une connotation environnementale. Pour extraire 100.000 barils/jour, il faut 75 MGW d'électricité et pas moins de 770 heures de vapeur. En d'autres termes, le procédé produit plus de 10 millions de tonnes de CO2, de quoi pourrir la vie de tout le voisinage à des kilomètres à la ronde. Toutefois, un baril de pétrole extrait des schistes bitumineux coûte entre 15 et 25 dollars. Dans la crise actuelle, ce procédé se révèle bon marché, mais trop polluant. «Certes», reconnaît Jean-François Fourt, président d'Osead Maroc Mining, «mais il existe un autre procédé moins polluant et moins cher», poursuit-il. A en croire le patron de la filiale d'Osead, il a conçu une machine de dépollution utilisant le principe d'absorption, en «batch», à température ambiante, avec re-circulation de l'eau. Selon Jean-François Fourt, les essais en laboratoires montrent une efficacité d'extraction supérieure à 99% (le sable sortant détient 1% d'hydrocarbures). Ce procédé a été testé au Canada et semble sur la bonne voie. Si les performances d'Osead se confirment en Amérique du Nord, la société française trônera sur un gisement de plus de 500 milliards BBLS de pétrole brut. «Notre procédé a ainsi démontré son efficacité sur le sable, il reste à prouver son opérabilité sur les schistes bitumineux», nous explique le patron d'Osead Maroc Mining. Coïncidence ou préméditation, Osead vient tout juste de s'installer au Maroc. Elle a procédé au rachat de la Compagnie Minière de Touissit pour plus de 430 millions de DH. Pour ce faire, elle a sollicité Attijari Invest pour siéger à son tour de table, via Moroccan Infrastructure Fund. Le deal entre Truffle Capital (fonds d'investissement français) et Attijari Invest comprend-il une valorisation (good will) de l'exploitation des schistes bitumineux ? Cela est d'autant plus probable que Jean-François Fourt nie avoir eu des contacts avec des opérateurs marocains ou étrangers au Maroc pour s'investir dans le créneau de la roche pétrolière. Sauf que la présentation de la société qu'il nous a adressée mentionne ces contacts. Contact ou pas, le Français, partenaire d'Attijari Invest, nous a confié que le laboratoire chimique de Toulouse et celui de Strasbourg pratiquaient actuellement une expérimentation sur le schiste bitumineux marocain. «Dans six mois, nous pourrons présenter à des partenaires potentiels au Maroc les résultats de notre expérience», précise-t-il. Côté coût d'extraction, le président d'Osead Maroc Mining avance des chiffres hallucinants. Selon son appréciation, le coût d'un baril de pétrole extrait des schistes bitumineux s'élève à 5 dollars en utilisant son procédé. Mais à ce chiffre, il faut ajouter les frais de raffinage. En effet, la roche marocaine n'est pas mûre. Il lui faut des millions d'années encore pour accoucher de pétrole consommable. Pour remédier à cette insuffisance, un procédé de raffinage est nécessaire pour atteindre un hydrocarbure commercialisable. Osead Maroc Mining n'intervient pas à ce niveau. Ce sont les majors pétrolières qui peuvent assurer cette partie de l'exploitation, s'ils estiment que les coûts restent attractifs. Et Jean-François Fourt soutient qu'ils le seront. Attendons donc de voir. Les forages abandonnés •Samir, le raffineur national qui s'est mis à l'exploration pétrolière, a foré, en août 2005, un puits à Sidi Fili et l'a dénommé Douar Oulad Sultan. Arrivant à plus de 1.500 mètres de profondeur, le raffineur a décidé de l'abandonner «en raison de problèmes techniques». •Shell jette également l'éponge à Rimella Haute-Mer après un workshop auquel a participé l'ONHYM aux Etats-Unis en mars 2005. Le site n'intéresse personne. Shell n'était pas seul sur ce coup. Il avait Wintershall et Repsol comme partenaires. Dans une autre zone, celle de Cap Draâ Haute-Mer, Shell s'est liée à Wintershall et Energy. Les sociétés d'exploration ont réalisé un forage en Offshore qui s'est révélé infructueux. Finalement le permis a été abandonné. •Cnooc s'est retirée de la zone Haha et Missour. Après avoir réalisé des travaux jugés très intéressants par l'ONHYM, la société jette l'éponge. En effet, le traitement des données de la sismique réalisé à Pékin, en présence d'ingénieurs de l'office de tutelle, n'ont rien révélé d' exploitable. La société a finalement abandonné en 2006. •Heyco/Stratic Energy/Energy Corp travaillaient sur la zone Maâmoura et Moulay Bousselham. Des éléments d'analyse ont laissé entendre la présence d'une souche féconde, mais après forage, le puits s'est avéré sec. Le forage a été abandonné à une profondeur de 1503 mètres. EXPLORATION Des licences toujours à l'étude La plupart des permis d'exploration actuellement actifs au Maroc se bornent à réaliser des études sismiques 3D ou d'autres paramétrages qui permettront de minimiser les risques d'erreur. Peu de sociétés ont formulé la demande de reconvertir leur licence en permis pétrolier, et donc de passer de l'étude à l'étape du forage. Parmi ces sociétés figure Direct Petroleum, qui possède un permis sur la zone Ouezzane et Tissa. La société pétrolière tire de bonnes conclusions des études et interprétations géologiques et chimiques et se prépare à forer entre 2007 et 2008. Transatlantic Maroc Ltd s'est engagée, à la signature le 18 mai 2006 d'un accord pétrolier relatif à la zone de Tselfat, à réaliser le forage d'un puits d'exploration. Mais avant, il lui faut acquérir des études de sismique 3D. Petronas, opérant sur la zone Rabat-Salé Haute-Mer, avait prévu d'effectuer un forage courant 2007, mais à fin juin de la même année, le matériel de forage n'était toujours pas disponible. Donc ce n'est que partie remise. Enfin, MPE (Morocco Petrolum Exploration) a foré deux puits en 2006 sur les permis de Tendrara. Les puits ont permis de mettre en évidence des indices de gaz encourageants, précise l'ONHYM. Exploitation L'exception Cabre Maroc Ltd Cette filiale d'une société canadienne est tombée sur le bon filon. Elle a signé un accord pétrolier avec l'office en mai 2006 qui porte sur la zone du Gharb et le forage de puits d'exploration dans la région. Deux puits ont déjà été forés en 2006, c'est dire que Cabre ne perd pas de temps, d'autant que la société a déjà en exploitation un gisement de gaz naturel, toujours dans la région du Gharb. L'un des deux puits nouvellement forés s'est révélé infructueux. Mais l'autre laisse espérer le meilleur. Ainsi, de bons indices promettent un autre filon de gaz naturel à commercialiser. Attendons de voir.