Aluminium du Maroc a tenu son assemblée générale ordinaire le 29 juin 2017, et a reformulé sa confiance à Abdelouahed El Alami à la tête de l'entreprise. Après plus d'une année de conflit durant laquelle il a été évincé des instances de direction, Me El Alami explique comment la situation s'est retournée. Le conflit est-il pour autant enterré ? Ce que lui reprochent ses détracteurs ? Sur toutes ces questions, le nouveau PDG d'Aluminium du Maroc livre sa version des faits. Challenge : Le 31 mai 2016, le conseil d'administration d'Aluminium du Maroc vous a évincé des instances de direction. Vous voilà à nouveau à la tête de l'entreprise après plus d'une année de conflit, suite l'Assemblée générale ordinaire du 29 juin 2017. Comment avez-vous réussi à reprendre le contrôle du conseil d'administration ? Abdelouahed El Alami : La manière avec laquelle mon frère Mohamed El Alami a pris le contrôle de la société en m'écartant de la présidence n'a pas beaucoup été appréciée dans le monde économique, aussi bien par les institutionnels, que par les banques et la bourse. Pour ma part, j'ai été fort surpris par la tournure des choses lors de cette assemblée du 31 Mai 2016, même si les changements opérés l'ont été conformément aux textes de loi. J'étais donc dans l'obligation d'attendre l'Assemblée générale suivante pour pouvoir éventuellement changer la gouvernance. Durant ces treize mois, j'ai sensibilisé et exposé mes arguments en faveur de la stratégie et de la gouvernance de l'entreprise. De nombreux actionnaires ont alors renforcé leur participation au capital, d'autres sont entrés, notamment Alucoil S.A.U, une société de droit espagnol actionnaire de l'entreprise. Ainsi, nous avions une majorité confortable à la dernière Assemblée générale. Je précise que cela n'a pas été fait dans un esprit de revanche, mais bien plutôt parce que j'estime que la gouvernance qui a pris les rênes de la société n'était pas conforme à mes souhaits pour mener les challenges du développement d'Aluminium du Maroc. J'avais notamment demandé l'élargissement du conseil d'administration pour que la famille El Alami ne continue pas à jouer un rôle prépondérant, ce que j'ai toujours demandé, et ce depuis bien longtemps. Ces messieurs (Mohammed El Alami et Jawad Squalli) ont ouvert le conseil à une personnalité, une seule, Ahmed Rahhou, PDG du CIH. Pour l'Assemblée générale ordinaire de 2017, ils n'ont pas demandé l'élargissement, mais le renouvellement pur et simple du conseil d'administration. Je suis intervenu pour tout d'abord présenter un projet de résolution proposant de porter le nombre d'administrateurs de 7 à 11, et pour soumettre une liste d'administrateurs ouverte à des administrateurs indépendants. Avec une majorité largement confortable, l'Assemblée a approuvé ma proposition et nous avons pu élire des administrateurs relevant du monde de la finance, tels que Ahmed Rahhou, PDG de CIH, Amine Bouabid, directeur général de Bank Of Africa, qui va nous accompagner dans nos projets en Afrique et Hind Dinia, associée de CFG Bank. Egalement, Tawfiq Bouzoubaa, qui était administrateur et président du comité d'audit de la société jusqu'au mois de Mai 2016 et qui avait été écarté, et des administrateurs actionnaires comme Clemente González Soler, fondateur de Alucoil S.A.U, qui va beaucoup nous apporter dans le domaine technique et du développement de la stratégie et l'homme d'affaires très connu Hamza El Ayoubi. Challenge : L'assemblée générale vous a nommé pour une période de 6 ans, soit jusqu'au 31 décembre 2022. Est-ce à dire pour autant la fin du conflit qui vous oppose à votre frère et son fils Abdeslam ; qui est à l'origine du feuilleton Aluminium du Maroc ? Je pense que oui. Ce conflit n'a plus lieu d'exister. Nous sommes revenus vers l'apaisement. Mon frère a renoncé à sa place au sein du conseil d'administration, marquant par là son désir définitif de se retirer de la gestion du groupe. J'ai appuyé la reconduction de son fils, qui est impliqué dans l'opérationnel du groupe, et la candidature de sa fille Malika, qui est entrée au conseil. Challenge : Lors de son intervention devant l'assemblée générale du 29 juin 2017, votre prédécesseur Jawad Sqalli a alarmé les actionnaires concernant votre projet de « continuer à pomper et à assécher la trésorerie de l'entreprise pour assouvir des fantasmes dangereux dans un projet hôtelier qui se trouve être un gouffre financier », faisant allusion au projet de Marrakech. Qu'en pensez-vous ? Soyons raisonnables, il n'y pas d'homme indispensable ni d'homme providentiel. Nous allons tous disparaître. Mais la société est construite sur des bases solides. Elle l'a démontré lorsqu'elle a été victime d'une escroquerie de 50 millions de DH qui n'a pas eu de répercussions négatives sur ses finances. Elle est même allée plus loin pour montrer sa bonne santé en nous permettant de distribuer, aussi bien l'année dernière que cette année, des dividendes très confortables. De ce côté-là, je n'ai aucune crainte. Nous avons toujours eu pour habitude de travailler en équipe, contrairement à ce qu'il dit (Jawad Sqalli), Aluminium du Maroc ne repose pas sur un homme, mais sur une équipe. Aujourd'hui, nous mettons en place une équipe de qualité qui vient s'ajouter aux structures existantes. Il y a Benoît Vaillant, directeur général délégué confirmé dans son poste, Mourad El Bied qui a été mis au placard, revient dans le comité de direction pour s'occuper de la stratégie et du développement des filiales. Sharif El Alami (NDLR : son fils), lui aussi évincé alors qu'il était dans l'opérationnel, reprend des responsabilités au sein de la société, entre autres, le dossier du développement en Afrique, qu'il avait initié. Challenge : Mais que répondez-vous à propos du projet hôtelier de Marrakech ? Ce projet a fait couler beaucoup d'encre. Contrairement à ce qui était affirmé en 2016 par mon frère et Jawad Sqalli, nous ne sommes jamais sortis de notre cœur de métier. Nous avons, depuis la pose de la première pierre, développé Aluminium du Maroc, investi, augmenté la capacité de production, ouvert des agences et showrooms dans plusieurs villes du Royaume. Ce travail extraordinaire a permis à la société d'être solide. Nous avons aussi toujours eu le souci d'étudier les opportunités lorsqu'elles se présentent. Le projet hôtelier est une opportunité où la famille El Alami a décidé de construire un hôtel à Marrakech en partenariat avec le groupe indien, de grande qualité, en l'occurrence Oberoi. Pendant cette période faste du tourisme à Marrakech, Aluminium du Maroc était entré comme partenaire financier, sans rôle dans la gestion des investissements ni de l'exploitation de l'établissement. L'entreprise ne fait même partie du conseil d'administration. Il s'agit d'un placement, parce que, adossées à l'hôtel, il y a 19 hectares, ou sont prévus de construire des villas de luxe. Mais il y a eu la crise, donc nous avons mis le projet en stand-by. N'oublions pas que j'ai 20 ans de métier dans l'hôtellerie, j'ai construit 3 hôtels ayant constitué la chaîne la plus rentable au Maroc à cette époque-là (NDLR : hôtels Les Almohades entre 1960 et 1985). Quand nous avons vendu, on ne devait pas un centime au CIH Bank et autres banques. Au contraire, ce sont eux qui nous ont remboursés. Donc, nous avons de l'expérience et nous savons que ce projet peut être très rentable. Encore une fois, nous l'avons conçu à une période où le tourisme avait une courbe ascendante. Malheureusement, il s'est passé ce qui s'est passé : l'attentat, la crise en Europe... Il est vrai que l'investissement initial agrée par les partenaires bancaires était de 330 millions de DH. Les banques en ont financé la moitié et nous l'autre moitié. Entre-temps, il y a eu des modifications. Nous avons augmenté la superficie de l'hôtel de 31%, conformément aux préconisations de Oberoi, qui nous a convaincu d'améliorer les prestations pour en faire un palace aux normes internationales et non pas un hôtel 5 étoilés amélioré. Cela implique beaucoup de choses car il y a une telle distance entre un établissement 5 étoiles et un palace en termes de prestations. Concrètement, il s'agit de 87 clés, chaque suite ayant sa piscine. L'hôtel va nous coûter finalement autour de 500 millions de DH, ce qui est totalement justifié, en comparaison avec les constructions récentes d'hôtels de cette catégorie qui ont ouvert dans le Royaume. La gouvernance d'Aluminium du Maroc et Mohamed El Alami ont refusé de financer ces dépassements. Ainsi, l'hôtel qui devait ouvrir il y a 8 mois s'est trouvé bloqué. Il est finalisé à 95%, il ne manque plus que des équipements et il nous coûte 2 millions de DH/mois en intérêt, salaires, entretien... Aujourd'hui, il faut le terminer puisqu'il est très difficile de trouver acquéreur dans des conditions raisonnables pour un établissement non achevé. C'est finalement la décision qui a été prise lors du Conseil d'Administration qui a suivi l'Assemblée. Dès qu'il va ouvrir ses portes, il sera connu dans le monde entier. À ce moment-là, les fonds d'investissements vont se bousculer et, vendront ceux qui veulent vendre. Aluminium du Maroc probablement. Mais peut être que la famille El Alami ne vendra pas. Nous espérons l'ouverture de l'hôtel lors du premier trimestre de 2018. Je tiens à préciser qu'il s'agit du seul projet au monde où Oberoi est actionnaire et qu'une réunion est programmée ce 18 juillet 2017 pour acter une augmentation de capital de 100 millions de DH à l'issue de laquelle, Oberoi, qui était au départ actionnaire à 20% avant de monter à 30%, passera à 45% de l'hôtel « Oberoi Marrakech ». Cela démontre sa confiance dans le projet.