Grand chambardement pour le marché du pneumatique marocain. Depuis que la production a cédé la place aux importations avec la fermeture successive de General Tire (2002) et de Goodyear (2006), les opérateurs du marché se livrent une véritable guerre de positionnement. Même si son usine a fermé, Goodyear n'a pas pour autant tourné le dos au Maroc. Au contraire, elle continue de piloter son business à partir de Dubaï. Quatre grossistes assurent la distribution de ses produits sur le marché marocain, avec chacun plus ou moins une certaine spécialisation : Bab Doukkala, Gueliz, Bab Mansour et DMA. Cette dernière s'est même spécialisée dans l'une des marques Goodyear, en l'occurrence Dunlop, la marque Terminator du fabricant mise en place pour faire face à l'agressivité des équipementiers low-cost. Pourtant, aux yeux des majors du secteur de l'industrie pneumatique, le Maroc reste un petit marché. Son parc automobile ainsi que son taux de renouvellement n'atteignent pas les volumes qui justifieraient le maintien d'une industrie. Résultat : la production du pneu a disparu du Royaume à la suite des décisions des groupes au niveau international. L'industrie du pneumatique est à forte intensité capitalistique, et les grands groupes cherchent à réaliser des économies d'échelle importantes et à ne garder que les sites rentables. Elle est également en corrélation directe avec les grands marchés de l'automobile. En guise d'exemple, depuis l'arrêt de l'activité industrielle de Goodyear au Maroc, la seule usine du géant mondial qui reste sur le continent se trouve en Afrique du Sud. Goodyear Maroc a donc fait les frais d'une restructuration du groupe, qui a délocalisé plusieurs de ses activités sur d'autres sites, plus rentables. L'entreprise n'a même pas eu le temps d'appliquer son plan de redressement et de profiter pleinement de l'accélération du démantèlement douanier. D'ailleurs, c'est à sa demande que le Maroc avait négocié un démantèlement rapide de manière à lui assurer plus de compétitivité. Ce fut également le cas pour le groupe Continental, qui s'est retiré de General Tire. Les conflits sociaux lui ont servi de prétexte pour plier bagage et partir. Difficulté d'asseoir du local… Aujourd'hui, l'approvisionnement du marché repose uniquement sur les importations. En provenance de l'Union européenne (UE) ou du Quadra (appelé encore Accord d'Agadir qui regroupe l'Egypte, Tunisie, Jordanie et Maroc), elles s'effectuent en exonération de droits de douanes. En effet, la difficulté à asseoir une industrie locale a poussé les pouvoirs publics à accélérer la déprotection du marché. Ce qui a exercé une pression à la baisse des prix. Les pneus acheminés d'autres pays sont soumis à des droits de douanes élevés, mais l'écart sera réduit. Conséquence : la contrebande qui, jadis, régnait en maître sur le marché, est actuellement en grosse difficulté. Ce qui fait dire à de nombreux opérateurs que la gêne des réseaux parallèles n'a pas été le facteur qui avait motivé la fermeture du site industriel de Goodyear au Maroc. Les droits d'importation sur les pneus poids lourds fabriqués en Europe sont aujourd'hui à 0% contre 34% pour les produits d'autres provenances. Dans ce marché marocain, peu organisé, des statistiques fiables font défaut. Pour établir leurs prévisions, les opérateurs n'ont trouvé d'autre moyen que de se baser sur les ventes automobiles. Mais, là aussi, ils se heurtent aux problèmes de fiabilité des «données». De manière générale, les chiffres tournent autour de 1,3 million à 1,5 million de pneus. La durée de vie des pneus, moyennant des conditions optimales, est estimée à trois ans et demi pour un kilométrage allant de 15.000 à 20.000 par an. C'est un facteur qui confère un avantage certain par rapport aux produits fabriqués dans les usines asiatiques ou d'ailleurs. Un compétiteur qui n'est pas gêné par ce régime préférentiel des produits européens, c'est le pneu de marque Amine, qui réalise de bonnes performances commerciales sur le marché marocain. Ce dernier importe, entre autres, de la Tunisie, qui abrite une usine publique de pneumatiques. D'ailleurs, la société de Khalid Moumni, MAAP (Meknès pneumatique automobile assistance), et la Société tunisienne des industries de pneumatiques (STIP), qui avaient noué un partenariat pour la distribution des pneus Amine au Maroc, ont fini ces dernières années par créer la Société maroco-tunisienne des pneus (SMTP), de plus en plus présente sur le marché. Le potentiel du marché du pneumatique des poids-lourds au Maroc est estimé à 200.000 unités par an dont 30.000 destinés à la première monte, un marché stratégique que se disputent toutes les marques. Le reste émane de la demande de remplacement. Pour les voitures de tourisme, 62% des importations s'effectuent via l'Union européenne pour une valeur de plus de 160 millions de DH. La Tunisie approvisionne le marché à hauteur de 16% pour une valeur de plus de 40 millions de DH. Viennent ensuite le Japon, la Corée du Sud et les autres pays. Officiellement, la Chine alimente le marché à hauteur de 3% seulement pour un montant de plus de 9 millions de DH. Les importateurs profitent du vide ! La disparition de l'industrie locale du pneu a donc profité aux importateurs, qui ont vu leur chiffre d'affaires progresser. De même, la baisse et la suppression des droits de douanes ont permis de «limiter» la contrebande du pneu neuf et usagé, acheminé via Sebta et l'Algérie. Des importateurs contactés affirment que «la contrebande ne sévit plus dans les mêmes proportions qu'avant». C'est surtout le pneu usagé, interdit à l'importation, qui continue à être «prisé». Des propriétaires de véhicules préfèrent les pneus «seconde main». Une «mode» dont l'effet pourrait diminuer si les contrôles au niveau des centres techniques ou sur les routes sont plus rigoureux. Le marché du pneu compte une cinquantaine d'importateurs. Deux catégories coexistent, les représentants des grandes marques et ceux qui opèrent par à coup. La première catégorie dispose d'une représentation en bonne et due forme avec à l'appui un service après-vente. La seconde regroupe des importateurs occasionnels. «Ils importent généralement deux ou trois conteneurs qu'ils liquident à des prix sacrifiés. Ce qui perturbe le marché», souligne un opérateur. Il explique aussi que, pour survivre, les entreprises doivent avoir une bonne assise financière. Les délais de livraison sont également jugés longs. «Les firmes accordent un avantage aux gros marchés», indique un opérateur qui parle aussi «d'une offre qui n'arrive pas à combler la forte demande tirée par le renouvellement du parc automobile». D'autres importateurs affirment que «le Maroc est logé à la même enseigne que les autres pays. Le marché ne connaît pas de problèmes d'approvisionnement», soutient un autre importateur.