Après des années de tergiversations, le projet de loi sur la protection du consommateur devrait connaître son aboutissement dans les semaines qui viennent. Mais d'ores et déjà, ce texte est taxé de dirigiste, car il restreint au minimum le rôle des associations. Elles n'ont pas la latitude de fixer l'objet de leurs prérogatives, puisque des statuts-types seront établis par les pouvoirs publics. Elles espéraient voir leurs actions bénéficier de l'autorité de la chose jugée à travers la possibilité d'ester en justice. Il n'en est rien. La loi-cadre n'est pas le seul talon d'Achille de cette question. L'aspect culturel est tout aussi handicapant pour le chantier de la protection du consommateur. Les Marocains n'ont pas encore le réflexe d'ester en justice lorsqu'ils se sentent lésés, pas plus que celui de lire en détail les contrats qu'ils signent. Le travail des associations passe donc par la sensibilisation, en attendant que des cas fortuits viennent faire jurisprudence. Connaître ses droits est un devoir, encore faut-il que ces droits soient définis de manière non équivoque. L'opacité du formalisme juridique n'aide guère dans ce sens. Un autre chantier se met tout juste en branle dans le giron de celui de la protection du consommateur qui émane de la défense des droits économiques, ceux des actionnaires minoritaires. Un industriel français, répondant au nom de Philippe Edouard Eymard, a secoué un cocotier dont les noix ne manqueront pas de tomber sur la tête des dirigeants de Salafin. En effet, cet expatrié a traduit en justice la société de financement et son top management pour escroquerie. Les faits remontent au début de l'année dernière. Monsieur Eymard, qui souhaite acquérir un véhicule de tourisme, se voit proposer un contrat de crédit avec la société Salafin par son garagiste. La formule de financement proposée paraît adaptée aux besoins de l'acquéreur, mais à sa grande surprise, le contrat le mentionne en qualité de locataire. Aussi, malgré les propos rassurants de l'agent de Salafin sur sa qualité d'acheteur étayée par le fait que la carte grise est à son nom, il demeure méfiant et refuse d'écrire la mention obligatoire «lu et approuvé, bon pour accord», en attendant des éclaircissements de la part de la société de financement. Bien lui en a pris, puisque ces éclaircissements ne viendront jamais. Il se décide donc à entamer une grève des échéances qui le conduit à une saisie du véhicule, celui-ci est d'ailleurs revendu dans la foulée. Ce qui étaye le fait qu'il n'en était pas le réel propriétaire. Une action en justice devenait donc inéluctable. Abus de langage… Le président de Salafin se défend de toute malhonnêteté et déclare : «Il s'agit d'un contrat de LOA. Or c'était la solution la plus intéressante au regard de l'avantage fiscal qu'elle présentait». Quant aux propos du garagiste affirmant que c'était une vente à crédit, ce ne serait que de l'abus de langage. Le président de Salafin étaye : « Nos contrats sont approuvés par les autorités de tutelle, et ce sont des contrats nationaux. Cela veut dire qu'il a été traité de la même manière que n'importe quel autre client». Pour le reste, il aurait du, au sens du top management de Salafin, payer son dû pour être légitimement habilité à formuler son désaccord et le porter devant un tribunal. Maître Ahmed Aït Alla, avocat du plaignant, prend à partie les contrats loi qui encadrent la vente à crédit en déclarant : «Ce genre de contrat est intrinsèquement contradictoire», avant de renchérir: «Les sociétés de financement profitent du flou entourant l'aspect législatif, notamment le Dahir de 1936, pour interpréter à leur guise les textes». Il en veut pour preuve l'affaire d'un autre de ses clients, qui s'est vu qualifié d'acquéreur et non de locataire pour la simple et bonne raison que cela désavantageait le plaignant. Toujours est-il que pour l'affaire Eymard contre Salafin, la justice s'est prononcée de manière défavorable au plaignant, en première instance. Cette décision a été suivie d'un recours en appel et le tribunal a cette fois décidé de convoquer les témoins courant mai. Chose qui ne manquera pas d'épicer un procès qui s'annonce déterminant. Maître Aït Alla affirme vouloir faire jurisprudence avec cette affaire, car elle est symptomatique d'innombrables cas dans lesquels le consommateur est lésé mais n'este pas en justice par résignation. Or si ce procès permet de requalifier le contrat de M. Eymard, la démarche de cet expatrié ouvrira une brèche pour nos compatriotes. Car par ricochet, c'est la requalification de tous les contrats loi qui pointe à l'horizon. A l'heure où le projet de loi sur la protection du consommateur pourrait enfin connaître son épilogue, la question est fondamentale. Comme à l'accoutumée, lorsqu'il s'agit de protection des minorités et dans le cas précis des consommateurs, le débat s'annonce houleux. Il n'y a pas à chercher davantage et faire dans les spéculations, car à l'heure où nous mettons sous presse en ce jeudi 9 avril, la commission des secteurs productifs discute du projet de loi sur la protection du consommateur. Il faut dire que le ton est déjà donné. Le corps associatif a récolté auprès des experts nationaux en la matière des dispositions apportées par cette dernière version. Le président de la confédération des associations des consommateurs du Maroc (CAC Maroc), Samir El Jaafari, monte au créneau. Le tissu associatif qui se bat depuis des années pour affirmer les droits des consommateurs revient à la charge et les accusations qu'il porte à l'encontre des pouvoirs publics remettent en cause l'ensemble du processus. À force de vouloir encadrer à l'extrême et de vouloir faire dans le dirigisme, les fondamentaux de l'esprit du texte se trouvent de la sorte dénaturés de toute substance. «Le projet de loi constitue une entrave sérieuse à la participation et à la mise en œuvre des droits des consommateurs tels qu'ils sont reconnus par le droit international et une tentative de leur appropriation par l'Etat». C'est dit. Et celà ne se limite pas à ce niveau. Puisqu'il est reproché à la direction du commerce intérieur de proposer « aujourd'hui, une nouvelle version timide des ambitions au deçà des droits fondamentaux et des atteintes des consommateurs et une volonté manifeste de s'approprier le tissu associatif consumériste». Que craignent les pouvoirs publics ? Que craignent donc les pouvoirs publics ? Que les consommateurs s'organisent et se mettent à scruter le monde des affaires ? De mettre leur nez là où ils n'ont pas à s'immiscer ? Et c'est l'éternelle rengaine qui refait surface : la non-participation à un processus législatif. Et ce, malgré le fait que les pouvoirs publics ont clamé haut et fort la démarche consultative dans cette affaire. «Il n'en fut rien», conclut Samir El Jaarfari. Et il va encore plus loin en annonçant que : «nous ne décelons aucune réelle volonté d'accorder aux associations les moyens juridiques d'accomplir effectivement et efficacement ces missions». Des missions qui, par la force des choses, ne peuvent se cantonner à la défense des droits des consommateurs au sens strict du terme. À ce niveau, c'est la définition même d'association des consommateurs qui est remise en doute. Une restriction de l'objet qui omet d'intégrer dans le corollaire des droits des consommateurs l'ensemble des droits économiques (protection de l'environnement, éducation, alphabétisation, santé, lutte contre la pauvreté…) et des droits fontamentaux du consommateur tels que définis par la résolution 39/248 des Nations Unies. Au Maroc, aucun texte ne pose ces dispositions. Encore plus, l'autorité de tutelle est accusée de vouloir « s'octroyer une tutelle sur les associations de consommateurs à travers un quadrillage administratif et une démarche de contrôle visant à restreindre la sphère d'action de ces associations ». C'est notamment en réaction aux articles 149 à 151 du projet de loi. D'une part, ces organisations se mettent à des « statuts conformes à un modèle de statut-type approuvé par l'administration ». Voire même élaboré par cette dernière : une mesure contraire au principe de la liberté d'association et de celui d'indépendance. Encore plus, l'article 150 du texte impose aux associations de se constituer en fédération nationale. Récapitulons: l'administration valide les statuts des associations et ceux de la fédération nationale. Un quadrillage de la chose associative qui va jusqu'à paralyser le champ d'action de cette dernière. Une exclusion qui se manifeste par l'obligation de se voir reconnaître l'utilité publique afin de pouvoir ester en justice. Autre point et non des moindres qui entre dans le cadre de l'institutionnalisation du dialogue entre les professionnels et les consommateurs, un volet qui a été annulé dans la version actuelle, celui de la création d'un Conseil national de la consommation, rattaché à la Primature. Il serait de l'avis des associations un maillon incontournable dans la défense des intérêts du consommateur. Après des années d'attentisme, les acteurs sociaux ne sont pas prêts à lâcher prise. Leur raison d'être est conditionnée par les moyens dont ils disposeront. C'est à ce prix qu'ils pourront se faire les relais idoines de la voix du consommateur.