Essaâda est assainie. Elle sera absorbée par CNIA. Tous les actionnaires n'étaient pourtant pas pour. Le groupe perd 2 milliards de report déficitaire. Il perd aussi des avantages en matière de non respect de certaines règles prudentielles par Essaâda. Bref, le nouvel ensemble, qui devrait garder le nom des deux compagnies, ne sera plus soumis à aucun plan de redressement. Par contre, il continuera à bénéficier des termes de l'emprunt octroyé auprès du Fonds de Solidarité pendant 15 ans. Cette fois-ci, c'est la bonne. Moulay Hafid Elalamy, le patron du groupe Saham, a obtenu le sésame pour fusionner ses compagnies par une opération d'absorption d'Essaâda par CNIA. Le ministère des Finances vient en effet de donner son approbation à cette opération. Cela s'est fait rapidement. Car rappelez-vous, il y a quelques semaines encore, Elalamy n'avait pas encore soumis officiellement sa demande à la tutelle. Attendait-il que les tractations avec la BCP aboutissent à quelque chose ? La banque du cheval, elle, est sortie de sa réserve. Son président a officiellement mis fin à toute rumeur. Il n'y aura pas de marché conclu entre les deux parties. Dès lors, Elalamy peut continuer son processus de fusion annoncé depuis des mois. Pendant près d'une année, une équipe de 160 personnes y a travaillé. Le groupe a même été accompagné par le cabinet Accenture. Le nouvel ensemble à naître devrait garder à priori le nom des deux compagnies, à l'image de ce qu'a fait Othman Benjelloun pour sa compagnie Rma Watanyia. «Toucher au nom d'une compagnie avec laquelle des clients traitent depuis des années est assez compliqué», avoue Moulay Hafid Elalamy. Une fois créé, ce nouvel ensemble devra donc représenter, selon ses dirigeants, 2,5 milliards de primes et fera de lui la troisième compagnie en matière d'assurance maladie, la première compagnie en matière d'assurance automobile et le premier réseau de distribution avec 300 agents. Concernant ce dernier, des questions se posent sur son optimisation. Elalamy rassure: «le réseau est complémentaire. Il y aura très peu de doublons. Lorsque cela sera le cas, la compagnie aidera les concernés à mieux s'installer. Nous allons les aider à se déplacer ». Il n'y aura plus de plan de redressement La nouvelle compagnie sera alors une compagnie généraliste. Son positionnement est clair pour son management : mass market. «Nous sommes une compagnie populaire et non élitiste », confesse Elalamy. Elle sera plutôt orientée dans la branche «non vie». Quant à sa politique tarifaire, elle ne devrait pas changer. « Nous pensons être sur la bonne trajectoire. Nous ne modifierons pas notre grille. Par contre, nous allons procéder à l'amélioration de nos process. C'est un chantier énorme », confie le patron des deux compagnies d'assurance. Comment, finalement, Elalamy en est-il arrivé là ? Pourquoi est-il le seul à avoir choisi d'acheter Essaâda, cette compagnie malade dont personne ne voulait? Comment s'en est-il sorti pour l'assainir? Comme Bernard Tapie ou Walid Ibn Talal, Moulay Hafid Elalamy aime relever les défis et reprendre des canards boiteux pour les redresser et puis, pourquoi pas, les revendre à bon prix. Il marche sur des terrains minés. La complexité de l'affaire lui donne du «punch» pour réussir. C'est son adrénaline à lui. En reprenant Essaâda, Elalamy et son équipe ont réussi une prouesse que nul n'attendait de sitôt. La société a été rapidement assainie alors qu'un plan de redressement avait été établi sur une période de 15 ans. Comment ? Ce sont 2,4 milliards de dirhams qui ont été injectés dans la société. Ils ont été directement affectés aux sinistres, puisque la compagnie souffrait d'insuffisance des actifs pour couvrir ses engagements. Les caisses ont donc été renflouées. Un toilettage des dossiers et du réseau et des auxiliaires d'assurances (experts...), a été fait. De ce fait, l'on peut supposer alors que la durée de ce plan de redressement soit révisée. Pour un expert en la matière, il ne serait pas impossible que cette période de 15 ans soit ramenée à 5 ou 6 ans seulement. Elalamy ne le voit pas de cet œil. Pour lui, c'en est fini du plan de redressement. «La sortie d'Essaâda du plan de redressement se fera quelques années avant ce qui était initialement prévu. Pour la faire sortir plus vite, il faut fusionner les deux compagnies. Il faut faire bénéficier à Essaâda des plus-values de la CNIA. Si les deux compagnies fusionnent, le nouvel ensemble ne sera donc plus soumis au plan de redressement, même pas partiellement. Et de fait, le nouvel ensemble sera soumis, comme toute compagnie, aux règles prudentielles établies par le code des assurances. Essaâda ne pourra donc plus bénéficier des exceptions accordées dans le cadre de ce plan de redressement. Cela représente un désavantage ». Pourquoi le patron du groupe Saham a-t-il donc décidé de fusionner ses sociétés si des avantages sont perdus comme il le prétend? Il aurait pu, comme le patron du groupe Holmarcom (Atlanta et Sanad), décidé de garder ses compagnies «séparées». Eh non. « Nous ne sommes pas là pour profiter d'une situation exceptionnelle. Mon intérêt est de créer un ensemble sain et fort », indique-t-il. Pourtant, selon nos informations, certains actionnaires de CNIA, voire même des conseillers de la compagnie, n'auraient pas tous été d'accord pour que les deux sociétés fusionnent. Ils ne voyaient pas trop d'intérêt à l'opération, sachant que beaucoup d'avantages allaient tomber à l'eau. Essaâda pouvait continuer à ne pas respecter toutes les règles prudentielles de la profession, et ce, pendant 15 années. Avec la fusion, ce ne sera plus le cas. Ajouter à cela «l'abandon» par le groupe de près de 2 milliards de dirhams au profit de l'Etat au terme du report déficitaire. Pourquoi donc fusionner ? Que gagne Elalamy dans cette opération? Prépare-t-il quelque chose pour l'avenir ? Le patron se contente de répondre : « nous ne sommes pas là pour faire de l'optimisation fiscale. Notre objectif n'est pas de déroger à la réglementation. Nous voulons créer un ensemble puissant qui soit rentable ». Le prêt à taux 0 court encore pendant 15 ans Qu'adviendra-t-il alors du remboursement des 800 millions de dirhams octroyés par le Fonds de Solidarité sans lesquels Elalamy n'aurait sûrement pas pu racheter Essaâda ? Les termes du deal sont clairs. Le groupe doit rembourser ce prêt, accordé à des taux préférentiels, sur une période de 15 ans. En fusionnant les deux compagnies, cette clause est-elle toujours valable ? Le groupe devra-t-il rembourser son prêt plus tôt que prévu ? Il n'en sera rien. L'argent du Fonds, qui appartiendrait selon certains aux assureurs puisque ce sont eux qui l'alimentent et à l'Etat selon d'autres, puisqu'il est constitué d'une taxe payée par les compagnies et versée dans un compte spécial du trésor, sera remboursé selon les termes initialement prévus. Il n'y aura aucun changement. D'ailleurs, un proche collaborateur d'Elalamy ne comprend pas pourquoi le groupe devrait déroger à la règle et se soumettre à de nouvelles clauses pour rembourser son prêt. « Par le passé, des compagnies ont repris des entreprises malades puis ont fusionné. Elles ont bénéficié de l'argent du Fonds de Solidarité, tout comme le groupe Elalamy. Après leur fusion, personne ne leur a demandé de rembourser leurs dettes, pourquoi?» s'interroge-t-il. La source fait particulièrement référence au cas Al Amane et Entente. Mais, selon un expert qui suit le marché des assurances de très près depuis des années, cette personne a choisi de donner le mauvais exemple car dans ce cas précis, les pouvoirs publics avaient interdit à Al Amane (et RMA Watanyia aussi) de distribuer par exemple des dividendes tant qu'elle n'avait pas remboursé sa dette envers le Fonds. La compagnie s'y était apparemment pliée. Dans le cas d'espèce de la CNIA-Essaada, aucune mesure dans ce sens n'aurait été exigée. En fait, selon notre expert, il existe un vide en la matière. La logique, selon lui, voudrait que les compagnies qui bénéficient de l'argent du Fonds le remboursent d'abord avant de penser distribuer des dividendes aux actionnaires. C'est de l'argent de l'Etat qu'il s'agit. Mais aucun texte juridique n'existe à ce jour pour obliger une compagnie à procéder ainsi. Rien n'interdit donc à Moulay Hafid Elalamy de « payer » ses actionnaires sans qu'il n'ait encore remboursé son prêt. En l'absence de texte, « l'on s'en tient alors aux premiers engagements ». Les actionnaires de CNIA ne devront donc pas attendre les 15 ans pour recevoir leurs dividendes. Par contre, l'Etat devrait rester le dernier à être servi. Pas d'introduction en Bourse et pas de vente pour l'instant Pour l'instant, le sujet relatif à l'introduction du nouvel ensemble en bourse n'est pas encore d'actualité. Et pour cause. « Le nouvel ensemble n'est pas encore complètement au goût de Moulay Hafid Elalamy. Nous voulons une entreprise parfaite dont le service, qui doit être aux normes internationales, soit irréprochable. Nous plaçons la barre haut. Nous nous positionnons en termes de qualité de service. Et pour l'instant, nous ne sommes pas encore totalement satisfaits. Des réglages sont encore nécessaires », souligne un proche collaborateur d'Elalamy. En d'autres termes, la porte n'est pas close pour une éventuelle entrée sur le marché boursier. Ce n'est qu'une question de temps. Quant à ceux qui s'attendent à ce que le patron des compagnies d'assurance vende son nouvel ensemble, le sujet n'est pas non plus à l'ordre du jour. Avant d'en arriver-là, Elalamy devra trouver un nouveau projet pour s'occuper. Lui qui aime tant les super défis, lui qui aime prendre des risques… Mais calculés, il n'a pas encore déniché une affaire assez rare à son goût. Pourquoi le deal ne s'est pas fait avec la BCP ? Au départ, il n'était question que de rumeurs. Mais c'est Mohamed Benchaâboun, le président de la BCP, qui a mis fin aux racontars. «L'affaire avec la CNIA est close», avait-il lancé en substance en réponse à une question posée lors de la conférence de presse relative à l'opération d'absorption d'Upline par la banque. A ce moment, nous avions expliqué que la BCP ne s'était pas laissée faire sur le plan du prix de la transaction. Aujourd'hui, les choses se précisent davantage. En effet, Benchaâboun et Elalamy ne se sont pas mis d'accord, non pas sur les participations croisées que l'opération allait conclure, mais sur son prix. Benchaâboun aurait fait une offre inintéressante. Il ne voulait pas payer assez cher la transaction. « Pourquoi donc faire un cadeau à la banque », soutient un proche du patron du groupe Saham. Elalamy aurait pu céder puisque les enjeux de l'opération sont capitaux. Avec le changement des textes, le groupe aurait pu augmenter sa participation dans la BCP. Aujourd'hui, elle n'avoisine que les 5%. Et si l'Etat décidait d'ouvrir son capital, le groupe Saham serait dans une bonne posture. Elalamy ne cache pas ses envies. Il raconte que si une banque est à acheter, il serait « preneur ». Dans sa logique, ce sont les compagnies d'assurance qui détiennent les banques et non l'inverse. Alors, c'était ça le calcul ? De toutes les manières, Elalamy ne semble pas pour autant pressé. Il attendra les bonnes opportunités pour investir.