L'Association de défense des deniers publics interpelle le gouvernement pour l'ouverture d'une enquête sur les conditions d'octroi à SAADA, en 2007, de 800 millions de DH par le Fonds de solidarité des assurances. Faisant le parallèle avec les compagnies acculées par le passé à rembourser par anticipation des prêts similaires, l'association souhaite que CNIA-SAADA fasse de même, puisqu'elle est refaite financièrement. CNIA-SAADA dit vouloir se maintenir au respect des conditions initiales prévues dans le contrat de prêt, et le rembourser in fine en 2022. Il y a de ces affaires qui, benoitement, embarrassent la classe politique et embrasent la place financière de Casablanca. L'association de défense des deniers publics (ADDP) interpelle le gouvernement, le Conseil déontologique des valeurs mobilières et les présidents des deux chambres du Parlement pour ouvrir une enquête sur le non-remboursement immédiat du prêt de 800 millions de DH accordé en 2007 par le Fonds de solidarité des assurances pour renflouer l'ex-compagnie d'assurance Essaada. A l'origine de la requête, les précédents enregistrés, entre autres, auprès des ex-compagnies L'Entente (absorbée par Al Amane, ayant elle-même fusionné avec Axa) et RMA (actuellement RMA-Watanya). Deux compagnies qui, dès qu'elles se sont refait une santé, ont été priées de rembourser par anticipation les crédits contractés auprès du Fonds de Solidarité des assurances. L'ADPP souhaite de même pour CNIA-SAADA, «du moment qu'elle est devenue rentable et se permet même de distribuer des dividendes à ses actionnaires». Le bureau de l'association enfonce le clou en se demandant même «comment Moulay Hafid El Alamy a pu convaincre le ministère des Finances de lui accorder ce prêt sur 15 ans, alors qu'il a pu redresser sa compagnie en moins de 2 ans». Des interrogations légitimes, mais qui semblent mettre en filigrane l'accusation d'avoir abusivement privilégié les intérêts privés de canards boiteux en leur accordant un soutien financier important, au mépris de la défense du patrimoine public et des règles du marché. Rappel des faits Pour situer cette polémique qui enfle, un rappel des faits, des interventions et des responsabilités de chaque partie s'impose. En 2006, le Groupe Saham (dirigé par Moulay Hafid El Alamy, PDG de CNIA-SAADA et président de la CGEM au moment des faits) rachète l'assurance Essaada qui se trouve en grandes difficultés financières. Le patron des patrons n'agit pas à la légère, il a un plan en tête, celui de fusionner ce canard boiteux avec la compagnie CNIA qu'il vient d'acquérir un an plus tôt à la barbe de la CDG. Pour relancer Essaada, un plan de sauvetage est soumis en 2007 à la Direction des assurances et de la protection sociale (DAPS), le gendarme du secteur des assurances au sein du ministère des Finances. Sa particularité est qu'il prévoyait le renflouement de la compagnie par un apport en capital de 1,3 milliard de DH et un prêt de 800 millions de DH qui seront tirés du Fonds de solidarité des assurances. En effet, ce fonds a été institué en 1984 pour soutenir les compagnies en difficulté, essentiellement à cause du tarif administré des polices d'assurance automobile. Un niveau insuffisant décrié par les assureurs, puisqu'il ne garantissait pas l'équilibre de la branche. Leur interdisant de le relever, l'Etat fait amende honorable en mettant en place ce mécanisme de solidarité de place et l'alimente par 50% de la taxe sur les polices d'assurance. Un fonds spécial servait, dès lors, sur la base d'une décision du ministre des Finances et d'une commission retreinte, des prêts à taux zéro aux assureurs qui risquaient de ne plus faire face à leurs engagements en termes de paiement des sinistres aux assurés. Les interventions du fonds ont été graduellement étendues pour soutenir même les liquidations des compagnies ou encore celles se trouvant en difficulté en raison de l'insuffisance des prix de l'ensemble des assurances obligatoires. L'argument de base à l'origine du soutien des compagnies allait sauter en 2006, lorsque les tarifs ont été libéralisés, notamment pour l'automobile. Dès lors, il n'était plus recevable de lier leurs déséquilibres financiers aux tarifs pratiqués. L'ADDP reproche ainsi au gouvernement d'avoir octroyé à Essaada un prêt de soutien après cette échéance. D'autant plus que ce fonds est alimenté par un prélèvement obligatoire sur tous les contrats d'assurance conclus par l'ensemble des compagnies du pays. «Ce prélèvement assimilé à une taxe parafiscale lui confère la notion d'argent public, il est en plus géré exclusivement par décision du ministre des Finances après uniquement un avis d'une commission du secteur», nous confie un spécialiste de la comptabilité nationale. L'ADPP avance en outre que ce fonds existe légalement pour venir au secours des assurés en cas de difficultés de leur compagnie. Sa vocation est de sécuriser les intérêts des assurés et non de financer, à la place des banques, le tour de table de sociétés privées. C'est cette décision que semble aujourd'hui attaquer l'association. Comment se fait-il que le ministre des Finances (Fathallah Oualalou au moment des faits) ait autorisé le fonds à transférer une telle somme ? Plus grave, comment se fait-il que ce trésor de guerre ait pu être offert pour une période de 15 ans, à taux zéro, sans garantie ? Et comment se fait-il qu'il n'ait pas été remboursé alors que la société qu'il a servi à renflouer a été déclarée en bonne santé et bénéficiaire et a été introduite en bourse, ouvrant la porte à de confortables plus-values à ses actionnaires privés ? Les Finances s'en défendent. Une gestion hasardeuse caractérisait de fait Essaada depuis sa création. La compagnie ne provisionnait pas suffisamment pour honorer ses engagements, notamment en matière d'assurance automobile. Le prêt demandé par le Groupe Saham pour en refaire la santé financière correspondait au gap accumulé, sur plusieurs années, sur le différentiel du prix pratiqué. Voilà ce qui justifie l'ampleur du montant accordé à Essaada. Mais pour l'échéance du prêt, le bureau de l'ADPP estime que «les Finances ont été un peu plus larges». Le nouvel actionnaire ne paiera son dû qu'en 2022. «D'aucuns ne projetaient que le Groupe Saham allait redresser la barre de la compagnie en moins de deux ans», confient nos sources au sein des Finances. Ghita Lahlou, directrice général de CNIA-SAADA, rectifie le tir : «La restructuration de SAADA a été réussie en grande partie grâce au 1,3 milliard de DH apporté par le Groupe Saham, mais surtout aux 800 millions de DH du Fonds de solidarité des assurances». Et d'ajouter que «CNIA ne pouvait pas s'aventurer à la fusionner sans un assainissement des comptes et une remise à niveau des provisions». Le couronnement de ce projet mené tambour battant entre 2007 et 2010, est l'introduction de CNIA-SAADA en bourse le 22 novembre dernier. Mais à peine les projecteurs de la fête commençaient-ils à refroidir que Moulay Hafid El Alamy se retrouvait sous les feux de la rampe. Et c'est sur le terrain politique que risque maintenant de se jouer le 2e feuilleton CNIA-SAADA. L'ADPP se rebiffe face au traitement réservé à Essaada par rapport aux autres compagnies. «Deux poids et deux mesures avec un soutien 4 fois supérieur en faveur du Groupe Saham? », relève-t-on dans la missive adressée au gouvernement. L'ADPP rappelle le cas de la CAT (compagnie d'assurance couvrant les transports en commun, taxis, bus et cars) qui n'avait pu bénéficier que d'un prêt de 200 millions de DH pour une échéance de 10 ans seulement. Or l'utilité sociale de la compagnie CAT est, souligne-t-on, incomparablement plus évidente que celle de CNIA-SAADA. Elle est presque par nature, d'utilité publique, obligée qu'elle est de couvrir des sinistres de transport en commun se chiffrant à chaque fois en millions de DH avec des victimes qui se comptent parfois en dizaines. La CAT s'est retrouvée même interdite de distribuer des dividendes, tant que le prêt n'est pas entièrement remboursé. «Une interdiction que semble avoir oublié d'imposer le ministère des Finances au Groupe Saham», martèle le bureau de l'Association. Ses membres se demandent en fait «pourquoi CNIA SAADA avait-elle pu verser des dividendes à ses actionnaires et vendre en bourse 15% de ses titres avant d'avoir remboursé le fameux prêt de 800 millions de DH». «Comment une entreprise sous perfusion d'un prêt social sans intérêt peut-elle distribuer des dividendes ?». Ghita Lahlou note dans ce sens que «les conditions d'octroi du prêt à Essaada ne prévoyait aucune restriction quant à la distribution de dividendes à CNIA-SAADA. La situation financière de la compagnie remplit toutes les dispositions réglementaires lui permettant d'en servir». CNIA-SAADA dit compter se limiter à l'échéancier initial prévu pour rembourser son prêt, à l'horizon 2022.