La stratégie du patron du groupe Saham, Moulay Hafid Elalamy, n'est pas encore tout à fait claire en matière d'assurance. Des négociations avec la BCP retarderaient la décision de fusion entre ces deux compagnies Des éléments semblent montrer que Moulay Hafid Elalamy, le président-directeur général du groupe Saham, n'a pas l'intention, du moins, pour l'instant, de faire fusionner ses deux compagnies d'assurance, la CNIA et Essaâda. Pourtant, il y a moins de trois mois, le groupe s'est lancé dans une campagne médiatique (rappelez-vous les communiqués, les multiples articles publiés) annonçant officiellement la décision récente du groupe de faire fusionner les deux compagnies d'assurance. Moulay Hafid Elalamy est allé encore plus loin. Interrogé par un hebdomadaire de la place, il avait répondu: «Nous avons mené une étude avec un cabinet très connu au plan international, pour évaluer l'opportunité et l'intérêt d'une fusion, la poursuite d'une démarche séparée des deux compagnies d'assurance, mais avec un back office commun. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'une fusion totale était la plus indiquée». Beaucoup de professionnels, qui suivent, entre autres, ce dossier de près, doutent aujourd'hui des intentions du groupe. Pour eux, Moulay Hafid s'est précipité alors que techniquement, le dossier n'était pas encore bouclé. « C'est un effet d'annonce, et Moulay Hafid, en tant que bon communicateur, a réussi son coup ». Sauf qu'aujourd'hui, il est rattrapé par ses propos. Car, au sein même de sa compagnie d'assurance, les responsables commencent à tenir un nouveau langage. « Nous étudions encore l'éventualité du rapprochement entre la CNIA et Essaâda. Des réflexions sérieuses sont menées pour étudier cette possibilité». En d'autres termes, la cas de la fusion entre la CNIA et Essaâda n'est pas tranché, comme l'assuraient certains supports médiatiques, probablement alimentés en informations par des sources proches de la compagnie. L'opération n'est d'ailleurs même pas, au jour d'aujourd'hui, validée par l'autorité de tutelle. La procédure veut que Moulay Hafid Elalamy soumette officiellement une demande de fusion au ministère des Finances. La Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale se charge d'en étudier les différents termes. A l'issue de cette procédure, c'est le ministre des Finances qui doit donner son aval pour que l'opération soit reconnue. Rien de tout cela n'a été fait. Qu'attend donc Elalamy, qui annonçait une fusion effective au 1er janvier 2009 ? La BCP en pourparlers avec Saham et Holmarcom Pour nous répondre, Elalamy est resté injoignable. Mais d'après nos informations, le PDG de la compagnie modère son projet de fusion parce qu'il serait en pourparlers avec d'éventuels acheteurs. On prêtait il y a des mois à Moulay Hafid son intention de vouloir vendre sa compagnie d'assurance à l'ONA. Aujourd'hui, il semble que des négociations se passent avec une tout autre banque, la BCP en l'occurrence. Un nouveau deal pourrait-il être passé ? La banque du cheval a un chaînon manquant: pas de compagnie d'assurance. Elle aurait pu en avoir une lorsque Arig, l'actionnaire bahreïni majoritaire de la CNIA, vendait ses parts. Mais Elalamy a barré la route à Nourredine Omary, alors président du groupe Banque Populaire en lui «piquant» son projet. A charge de revanche ? La banque, qui essaie de trouver une voie pour mettre un pied dans l'assurance, a changé de patron. Mohammed Benchaaboun sera-t-il alors l'homme qui réussira à convaincre Elalamy de vendre sa compagnie ? Lui permettra-t-il, en contrepartie, de prendre une part plus importante (lorsque le texte de loi permettant à des actionnaires de dépasser le seuil de 5% dans le capital de la banque) dans le tour de table de l'établissement bancaire ? Ou bien s'agira-t-il seulement de renforcer le partenariat entre les deux parties, sachant que la CNIA réalise moins de dix pour cent de son chiffre d'affaires en bancassurance ? Ce segment ne semble pas être une priorité pour le groupe Saham, qui estime que la bancassurance n'est pas pour l'instant son axe de développement. « Notre parti pris de départ est de faire de la compagnie d'assurance une entité à part entière, autonome, capable de dégager du résultat, du développement, de façon intrinsèque. Mais pour la distribution de la Vie, vous avez besoin d'un réseau bancaire, et un partenariat commercial n'induit pas de dépendance … Nous avons démontré que nous nous sommes développés malgré la baisse de notre chiffre d'affaires Vie. CNIA-Essaâda peut vivre sans bancassurance», déclarait Elalamy il y a à peine deux ou trois mois. La BCP par contre a besoin de l'assurance. « La banque cherche à faire les choses en grand. Pas question pour elle de faire un choix qu'elle pourrait regretter. Toutes les négociations sont donc, à ce stade, délicates et confidentielles», confie une source proche de ce dossier. Tant que les négociations n'ont pas abouti, il est donc difficile d'apporter des éléments de réponse à toutes ces questions. Mais ce qui est sûr, c'est que la BCP cherche LE bon partenaire pour se lancer de plain-pied dans l'assurance. Hormis le groupe Saham, la banque serait aussi en pourparlers avec le groupe Holmarcom qui détient les compagnies Atlanta et Sanad. Cette dernière serait dans la ligne de mire. Si le cas est résolu, et que le groupe Saham se débarrasse d'une de ses compagnies, Elalamy s'en mettra plein les poches. Par contre, si le patron du groupe décide de garder dans son escarcelle ses deux compagnies, de les faire fusionner, il devra alors résoudre certains volets qui restent encore en suspens. Les deux compagnies ne peuvent pas opérer dans les branches vie et non vie à la fois. La scission entre les deux branches est obligatoire pour toute nouvelle compagnie. « Nous examinons d'ores et déjà cette piste de la séparation, déterminés à observer pour la fusion une politique avant-gardiste au niveau du secteur des assurances. Nous voulons donc respecter cette prescription du code des assurances », déclarait Elalamy à l'hebdomadaire de la place. Des «barrières» devant la fusion Dans ces cas-là, le ministère des Finances devra alors retirer l'agrément de la CNIA, ou plutôt, l'adapter, pour qu'elle ne soit plus spécialisée que dans la branche vie. Essaâda se focaliserait, elle, sur la non vie. Au-delà de cette contrainte réglementaire, deux problèmes subsisteraient. Essaâda est mise sous plan de redressement pour une durée de 15 ans. Elle doit d'abord retrouver toute sa santé financière avant de fusionner. « Au moment où je vous parle, toutes les règles prudentielles des assurances sont respectées au sein d'Essaâda et notamment la règle de couverture des réserves, qui est la plus importante », déclarait Elalamy dans son entretien publié au mois de juin dernier. Selon les informations que nous avons pu collecter, ce n'est pas vraiment le cas. Essaâda n'a pas complètement retrouvé la forme. Il est certain que le recouvrement des réserves a été nettement amélioré. Cependant, il persiste un problème, et non des moindres : « ses fonds propres seraient encore négatifs », nous assure notre source proche du dossier. La situation financière de la compagnie n'est donc pas totalement assainie, comme le prétendent des responsables du groupe. Autre volet sur lequel l'équipe Elalamy devra se pencher en cas de fusion, celui du prêt de 800 millions de DH accordé sans intérêt par le fonds de solidarité pour rééquilibrer les comptes. « Si Essaâda doit changer de statut, il faudra alors rediscuter des termes de ce contrat », explique la source. Si tous ces obstacles sont dépassés, et que finalement, Elalamy se «rabat» sur l'option de la fusion de ces deux compagnies, le nouveau groupement pourrait peser 2,6 milliards de DH (volume de portefeuille), soit près de 14% de parts de marché. ◆