Le rapport de la Cour des comptes est virulent à l'égard de nombreuses institutions relevant du secteur public. Seul hic : ses conclusions risquent de rester (encore une fois) de simples lettres mortes en l‘absence de mesures correctionnelles. Un rapport virulent est celui qu'a produit l'équipe d'Ahmed El Midaoui. Pas besoin de lire entre les lignes, ni d'être un illustre financier pour en saisir le message. Les irrégularités y sont pointées du doigt sans y aller par quatre chemins, ni faire dans la demi-mesure. Des recommandations formulées en guise de nouvelle feuille de route que l'entité concernée est normalement tenue de respecter dans le futur. Dans la foulée, nombreux sont les offices et autres administrations passés au crible des juges de la Cour : Autoroutes du Maroc, Office national des pêches, centre cinématographique marocain, Cnops… Cependant, s'il est une première remarque à faire, elle porte sans conteste sur le volume consacré à la gestion des collectivités locales. En effet, sur les 732 pages du rapport, plus de la moitié est réservé aux communes urbaines et rurales. C'est dire que la toute récente version du rapport de la Cour des comptes a touché là ou le bât blesse. Et pour cause, s'il est un secret de polichinelle de dire que la gestion de l'argent par les élus ne se fait pas toujours de manière orthodoxe, la production des documents comptables permettant de juger du degré de gravité n'a pas toujours été faite. Quelle efficacité, in fine ? Tout cela est beau. Mais est-ce suffisant pour faire de la Cour des Comptes une entité dont le travail est efficace in fine? Car le travail colossal de plusieurs mois réalisé par les différentes Cours implantées dans les régions de Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech, Tanger, Settat et l'Oriental ressemble finalement à une épée dans l'eau. Malgré tout le débat suscité par des rapports pondus régulièrement, la Cour demeure une sorte de coquille vide en l'absence de mesures de sanctions a posteriori. Des commentaires dans toute la presse, des déclarations soufflées en off par les premiers concernés pour contrecarrer les accusations du staff El Midaoui, des interview parues dans quelques journaux de la place… Bref, un débat houleux qui se calme avec le temps pour que la vie normale reprenne même là où les plus grandes irrégularités ont été constatées. «L'année dernière, nous avons lancé le débat pour qu'il y ait des suites au rapport de la Cour des comptes. C'est là que son existence aura une utilité. Si c'est seulement pour être classé sur des étagères, c'est plus une perte de temps, d'énergie et de budget», commente Lahcen Daoudi, figure emblématique du PJD. Même position au sein de l'USFP. «C'est au ministère public de prendre l'initiative et de donner aux rapports de la Cour des comptes une nouvelle vie». Contacté à ce sujet, le premier président de la Cour des comptes, connu pourtant pour ne pas avoir la langue dans la poche, a préféré ne pas répondre aux questions de Challenge Hebdo. «C'est une décision politique et c'est au chef du gouvernement de demander à ce que les conclusions du rapport soient un préalable à un traitement purement judiciaire en cas de dilapidation ou de détournement de fonds publics», s'insurge Lahcen Daoudi. Et d'ajouter, «dans toute démocratie, un tel rapport devrait susciter un débat dans les colonnes de la presse, canal par lequel les présumés coupables devront s'exprimer et répondre aux accusations des juridictions financières». Ghellab sort du lot Voilà qui ne manquet pas de plaire à ce PJdiste. Quelques jours seulement après la publication des premiers articles dans la presse, Karim Ghellab a réagi en tant que ministre de tutelle de l'entreprise Autoroutes du Maroc. I, commente le patron d'une entreprise publique cité dans le rapport d'El Midaoui. Mais à y voir de plus près, il y a de quoi réagir. En ce qui concerne Autoroutes du Maroc, le rapport note des problèmes de gestion très importants. En dehors de l'aspect lié à la gestion technique, de la politique commerciale et de la tarification ainsi que de la relation de la société avec la tutelle technique, le document de la Cour des comptes met en relief des aspects qui peuvent compromettre la continuité de l'entreprise suite à un endettement jugé excessif. «Le déséquilibre financier actuel est hautement risqué. Il dépasse les possibilités financières de la société et menace même, si des mesures adéquates ne sont pas prises, les finances de l'Etat qui est le garant de tous les emprunts», peut-on lire dans le rapport. La pilule est mal passée auprès du ministre de l'Equipement et du Transport. Faisant dans le politiquement correct, il dit saluer l'initiative, voire y adhérer complètement, mais ne pas en partager les conclusions, d'où la nécessité d'apporter «certaines précisions afin d'éclairer l'opinion publique et ramener à leur juste proportion les conclusions du rapport de la Cour des Comptes», lance-t-il tout de go lors d'un point de presse provoqué en urgence. Le ton y était grave, réfutant notamment le fait que la Cour parle qualifie la situation financière d'ADM de précaire. Et de poursuivre : «je me réjouis du fait que le rapport de la Cour des comptes n'a relevé aucun élément qui mettrait en doute la régularité des dépenses et l'intégrité des responsables». Seul à avoir réagir publiquement aux articles publiés dans la presse, Karim Ghellab n'est par ailleurs pas le seul à montrer sa fierté quant à l'inexistence de chefs d'inculpation remettant en question l'intégrité du patron de l'entreprise. Selon Magid El Ghaib, DG de l'Office National des Pêches, « le rapport ne dit rien de méchant au sujet de l'ONP ». Convenons par ailleurs que ledit document pointe du doigt des études portant sur le marché international du poulpe et d'autres liées au schéma directeur de la filière pêche, ayant coûté respectivement la bagatelle de 3,4 MDH et 7,1 MDH. «Ce sont des études qui ont permis de tracer tout le plan d'action », répond-il. Et d'ajouter, «j'ai déjà répondu point par point à tout ce qui a été avancé par les juges de la Cour. Elles sont dans le rapport». En gros, rien d'inquiétant pour ce DG, peut-on en déduire. Cela ne doit par ailleurs pas être le cas de ces patrons de commune, dont les chefs d'inculpation dépassent de simples conclusions nées d'un audit de routine. La Cour des Comptes fait son bilan Le bilan fait en interne est positif. «A fin 2007, les juridictions financières notent avec satisfaction l'application des dispositions de la loi en matière de reddition des comptes. La quasi-totalité des organismes assujettis produisent leurs comptes de manière régulière, hormis les sociétés mixtes et les associations bénéficiant de subventions publiques pour lesquelles un effort de sensibilisation devrait être encore consenti en vue d'instaurer la culture de reddition des comptes», note-t-on en interne. « Cette approche prévoit des passerelles entre les différentes attributions juridictionnelles et non juridictionnelles permettant d'appréhender tous les intervenants dans le processus de la gestion publique. Seul ce mode d'intervention saurait aider à relever le défi de l'application d'un contrôle efficace et pertinent ». Il sera aussi question de se former à de nouveaux métiers comme l'audit informatique, l'audit de l'environnement, le risk management, le droit des affaires appliqué au secteur public...