SI LA CRISE FINANCIÈRE INTERNATIONALE EST LOIN DE TOUCHER DE PLEIN FOUET LE MARCHÉ FINANCIER MAROCAIN, IL N'EN RESTE PAS MOINS QUE SES EFFETS SUR L'ÉCONOMIE RÉELLE DU PAYS NE SE FERONT PAS ATTENDRE. MAIS CELA NE SEMBLE PAS ALERTER VÉRITABLEMENT LES OFFICIELS. « moyen et court termes, car on est déjà en phase de récession en Europe, dans la mesure où le vieux continent a connu deux semestres successifs de recul de la croissance», lance d'emblée l'économiste et professeur universitaire Driss Benali. Et d'ajouter: «même si le Maroc ne dispose que de 30 millions de dollars d'actifs étrangers, les répercussions de la crise financière vont se faire sentir au niveau de l'économie réelle». «Si la crise financière internationale continue, des impacts sont à craindre concernant l'économie nationale, notamment sur le tourisme, les transferts des MRE ou encore le refinancement des importations et des exportations», renchérit Jaloul Ayed , lors de l'annonce des résultas de la banque. Le couperet est tombé, et les craintes sont presque devenues une réalité palpable, lorsque le «très sérieux» CMC (Centre Marocain de Conjoncture) a publié son «Info-CMC» en date du 6 octobre, annonçant un recul de 1,5 à 2 points du PIB du pays. Adieu alors les prévisions de certains officiels, dont au premier rang notre ministre de l'Economie et des Finances, qui tablaient sur 6,8% de croissance. Et pourtant, les premiers signes annonciateurs de la crise ont pointé leur nez depuis l'été 2007. «Les gens confondent crise financière et crise économique », poursuit Benali. S'il est vrai que la crise financière internationale ne touche pas effectivement le Maroc, la crise économique, qui est une conséquence indirecte de la crise financière, finira pas se faire sentir sur l'économie nationale. Quant à la question de savoir quand exactement le Maroc sera frappé par les effets induits de cette crise, la réponse est plutôt délicate. «Tout dépend de la durabilité de la crise, si les plans de relance parviennent à faire redémarrer les économies américaines et européennes ou non», pense Larabi Jaïdi, économiste. Les IDE vont trinquer Les experts du CMC mettent en avant trois canaux de transmission de la crise internationale vers le Maroc. D'abord, il y a «l'affaiblissement de la demande adressée à la production nationale». En d'autres termes, les exportations marocaines risquent de connaître un net ralentissement. «Tout le monde sait que nous dépendons pratiquement à 70% des pays européens. Or, les Européens vont sans doute voir leur pouvoir d'achat réduit, ou auront tout simplement par anticipation d'une aggravation de la crise. L'effet psychologique est donc un paramètre essentiel à prendre en compte, bien au-delà des différents plans de relance», prévient Larbi Jaïdi. Or cette demande étrangère alimente la consommation nationale de biens intermédiaires, et cela concerne autant le secteur agro-alimentaire, le textile, que les produits électriques, électroniques ou encore les composants automobiles. Ensuite, ce sont les investissements directs étrangers qui risquent de trinquer. Car après des ann é e s f a s t e s et l'attractivité exceptionnelle dont a bénéficié le royaume parmi les pays du bassin méditerranéen, avec un montant record de 36 milliards de dirhams, les IDE connaîtront forcément un ralentissement en 2008. «Les entreprises des pays industrialisés vont sans doute devoir revoir leur plan et leur programme d'investissements. D'autres entreprises seront tout simplement dissuadées d'investir dans un tel contexte. Il n'est pas exclu que des investissements tels que ceux de Renault au Maroc soient révisés», souligne Jaïdi. Une éventualité tout à fait plausible vu les grèves dont souffrent les usines Renault en France, et la menace de licenciements qui plane sur les ouvriers du constructeur. Nicolas Sarkozy n'a d'ailleurs pas hésité à se rendre sur place, en compagnie de Carlos Ghosn, et à faire la ferme promesse de ne pas fermer l'usine de Sandouville. Peut-être que l'investissement de Renault à Tanger passera à la trappe, ou du moins sera revu à la baisse, pour sauver des emplois en France. «Il est tout à fait possible que des décisions de délocalisation soient reportées dans un tel contexte de crise», soutient Jaïdi. Au-delà des IDE , il est également indispensable de considérer les transferts des MRE (Marocains Résidents à l'Etranger). «De la même manière que les ménages européens sont touchés par la crise du pouvoir d'achat, les MRE seront amenés à revoir le lieu de dépense de leur ressource, ne serait-ce que par un effet psychologique induit», interpelle Jaïdi. Le Maroc patauge Du coup, toutes les activités liées aux dépenses des MRE, notamment celles produisant des biens finis de consommation mais aussi celles liées à la construction de logements, connaîtront un net fléchissement. Sans compter que les recettes touristiques pâtiront du fait que les loisirs sont le premier poste de dépenses à être supprimé en temps de crise. Résultat, transport, hébergement, restauration, artisanat et autres services sont des pans entiers de l'activité économique qui souffriront d'une contraction plus que probable. Alors comment faire face à l'arrivée imminente de cette crise? Comment le Maroc et ses entreprises pourraient-ils l'endiguer ou du moins en atténuer les effets? Peut-on même entreprendre une quelconque action, ou bien le Maroc est-il condamné à subir cette crise de plein fouet? «Bien entendu, nous ne sommes pas plus malins que les autres pays. Seulement, il est impératif que l'Etat évite la dégringolade de la demande interne», assure Driss Benali. Comment? «Il faut avoir une bonne anticipation, une politique économique adaptée à l'ampli-tude de la crise. Il est certain qu'il n'est pas possible de remettre en place des barrières douanières, au contraire il est important d'être agressif sur les exportations», répond Jaïdi. Il n' y a bien évidemment pas de recette miracle. D'ailleurs, Ricardo Hausmann, directeur du Centre de développement international de l'Université Harvard, lors de l'assemblée générale de l'ONU le 6 octobre dernier, n'a pas manqué d'insister sur l'importance des taux de croissance à long terme, liés selon lui aux exportations. «Les pays ne deviennent pas plus riches en exportant davantage les mêmes produits, mais plutôt en diversifiant leurs exportations», a-t-il fait remarquer. Parlant d'une «sophistication des exportations», il a affirmé que les ressources brutes devaient être transformées en produits finis à valeur ajoutée, ce qui passe par la mise en place d'infrastructures, de réglementations et de spécialisations supplémentaires et diversifiées. En somme, des conclusions qui n'ont rien d'extraordinaire, qui sont connues du Maroc mais qui tardent à se concrétiser. «Il y a aussi le fait que nos entreprises ont des visions plutôt court-termistes en matière de marges par exemple. Une solution serait de renoncer à des marges plus importantes aujourd'hui, pour maintenir une marge moyenne sur la durée et fidéliser ainsi les donneurs d'ordre en temps de crise», propose Jaïdi. Des solutions en matière de relance de la demande interne, il y en a plusieurs mais tout dépendra de la manière dont l'Etat, mais aussi les opérateurs, vont réagir à la crise, en particulier dans les secteurs productifs de l'économie. Le secteur de l'immobilier en est une parfaite illustration. L'Etat est attendu au niveau fiscal, mais les promoteurs pèseront également de tout leur poids. «Pour que la crise ne gagne pas le secteur, il faudrait doper les logements destinés à la classe moyenne. Mais si les promoteurs ont une assise financière suffisamment confortable, ils ne seront pas poussés à vendre leur produit. Dans le cas contraire, ils devront écraser leur marge et baisser leurs prix pour vendre au plus tôt. Les bénéfices seront alors à faire au niveau des volumes», soutient Jaïdi. Les solutions existent, elles sont connues, nombreuses, même si elles restent fastidieuses à mettre en place. Seulement aujourd'hui, à l'heure où le monde s'alarme depuis plusieurs semaines déjà face à la crise internationale, le Maroc, que ce soit au niveau des officiels que des opérateurs, peine à faire face à la situation, voire occulte carrément la situation de crise à venir. Les premières réunions pour évoquer ses effets sur l'économie marocaine de manière globale ne sont prévues que dans les semaines à venir. ◆