Dans la course au marché de la LGV, le Coréen Hyundai Rotem rejoint le Français Alstom et l'Espagnol Talgo. Décryptage ! Inauguré à Tanger par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président de la République française, Emmanuel Macron, le train à grande vitesse Al Boraq est l'une des grandes vitrines qui envoie une lumière reluisante du Maroc dans la région MENA ainsi que dans le continent. Mobilisant une enveloppe de l'ordre de 22,9 milliards de dirhams, ce gigantesque projet de mobilité s'inscrit dans le cadre du schéma directeur de LGV visant la construction d'un réseau d'environ 1 500 km, composé de l'axe « Atlantique » Tanger-Casablanca-Agadir et de l'axe « Maghrébin » Rabat-Fès-Oujda. Comme un grand pari à la lumière des défis, notamment la viabilité du projet auprès du grand public, Al Boraq, presque cinq ans après, a conquis le cœur des Marocains. C'est ce que les chiffres de l'ONCF montrent avec éloquence. Selon le rapport financier 2022, le groupe explique que le nombre de passagers à bord d'Al Boraq a atteint 4,15 millions de passagers en 2022, contre 3 millions de passagers en 2019. Le taux de remplissage est de 58 % tandis que le taux de satisfaction a atteint 89 %. Toujours selon le rapport, Al Boraq a réalisé des revenus s'élevant à 555 millions de dirhams en 2022, contre 407 millions de dirhams en 2019. En ce qui concerne les attentes, la source indique que le nombre de passagers atteindra 6,2 millions de passagers par an d'ici 2030. Lire aussi | Cinéma, un instrument de soft power ? Aujourd'hui, la suite de ce projet semble ouvrir un nouveau chapitre avec de nouveaux acteurs. 20 MMDH, c'est le coût total du repositionnement stratégique du secteur ferroviaire marocain. Lorgné par bon nombre d'acteurs, à l'heure où nous écrivons ces lignes, il ne reste qu'une journée, puisque c'est demain en principe que le DG de l'ONCF (date limite) doit recevoir les derniers plis des chantiers structurants placés sous la houlette de l'office. On peut citer, entre autres, les rames de la ligne LGV qui reliera Tanger à Marrakech, l'acquisition de trains pour le transport urbain, et sans oublier la recherche de partenaires stratégiques pour l'émergence d'une offre de transport multimodale dans les grands pôles urbains du Maroc. Le tout pour une offre multimodale… Depuis quelques années, le Maroc est inscrit dans une dynamique de développement tous azimuts d'offres de transport. À l'image des économies émergentes, sous la vision éclairée du Souverain, le pays s'est doté d'un véritable écosystème de transport multimodal. Du tramway au réseau fluide d'autocars et sans oublier la nouvelle ligne LGV, les grandes villes du Maroc ont développé ces dernières années une maturité indéniable en termes de mobilité urbaine. Rappelons que le transport multimodal offre plusieurs avantages, notamment l'intégration et la combinaison des modes et de la chaîne logistique. Cela a la vertu de réduire les charges pesant sur l'opérateur du transport multimodal et sans oublier la répercussion favorable sur le coût du transport et des services connexes au profit du chargeur. Lire aussi | Fouad Souiba: «La distribution et l'exploitation demeurent les parents pauvres de l'industrie cinématographique au Maroc». Rappelons qu'afin de mettre en perspective un réseau national de lignes à grande vitesse, le Royaume a entrepris dès 2006 l'élaboration d'un schéma directeur de la grande vitesse définissant les axes à desservir. Puis, à partir de 2014, sous l'impulsion de Aziz RABBAH, alors ministre de l'Equipement, du Transport et de la Logistique, fut lancée l'élaboration de la stratégie ferroviaire nationale à l'horizon 2040 « Plan Rail Maroc 2040 », incluant les lignes à grande vitesse, désormais devenu le document de référence de la planification stratégique de la modernisation du réseau et de son développement. Plan Rail 2040 est un schéma directeur de long terme portant sur le développement du réseau ferré national dans ses différentes composantes. Celui-ci, baptisé Plan Rail Maroc 2040, vise, entre autres, à doter le pays d'une extension de 1 500 km de lignes ferroviaires à grande vitesse. Aujourd'hui, dans ce continuum de développement de l'offre, l'ONCF prévoit d'acquérir 168 rames de trains. 18 d'entre elles (pour un budget de près de 4,5 MMDH) sont destinées à la ligne grande vitesse. 40 autres rames devraient être déployées également dans le cadre du transport interurbain sur les lignes Fès-Marrakech et Kénitra-Fès pour un coût de 3,8 MMDH. L'ONCF prévoit aussi de se doter de 50 nouvelles rames de trains pour un coût de 3,3 MMDH. Ces rames permettront la mise en place de 5 lignes de RER entre Casa, Zenata, Mohammedia et Bouskoura. Une compétition rude Aujourd'hui, à la lumière de ce développement de l'offre ferroviaire impulsé par l'ONCF, plusieurs acteurs sont sur le qui-vive. L'un des acteurs clés de ce dossier est Alstom, le bras armé de la France dans l'industrie ferroviaire. Comme tous les présidents avant lui, Emmanuel Macron ne sous-estime guère la diplomatie des grands contrats qui soutient en grande partie le commerce extérieur français. La RATP, la SNCF, Dassault Aviation, Safran, Alstom, EDF… ce sont des milliards qui tombent dans l'escarcelle de l'industrie française. Après quelques brouilles qui pesaient sur le positionnement du groupe dans ce dossier, la France, à travers une diplomatie économique, a su revenir dans le jeu. Ayant fait la première partie du projet avec le constructeur Alstom, il serait un peu complexe, sous un angle d'exploitation et de maintenance, pour la seconde partie de changer de constructeur. Il y a donc un enjeu de continuité technique », nous confie Michel Vialatte, consultant en politique publique. Par ailleurs, l'autre acteur, c'est bien l'Espagne à travers Talgo. Lors du Forum économique Maroc-Espagne, un mémorandum d'entente dans le domaine des infrastructures, entre le Ministère des Transports, des Mobilités et des Programmes Urbains du Royaume d'Espagne et le Ministère de l'Equipement et de l'Eau du Royaume du Maroc, avait annoncé les couleurs. Notons qu'à l'instar d'Alstom, Talgo peut aussi se targuer d'une grande expérience dans le développement interurbain. Lire aussi | Législatives françaises: Mélenchon, le Marocain super star À la grande surprise, un autre invité, ces derniers jours, a sorti la tête de l'eau. Cité par des médias coréens, c'est bien Hyundai Rotem qui ambitionne d'acquérir une part des appels d'offres de l'ONCF. Le groupe coréen, de son côté, est un acteur qui a une offre qui séduit. En juin dernier, la société sud-coréenne Hyundai a signé un contrat d'exportation de trains à grande vitesse vers l'Ouzbékistan. « La France a des avantages comparatifs sur le dossier de la LGV. Il serait compliqué de changer de technologie », explique l'économiste Ahmed Azirar. Il ajoute que le Maroc est aujourd'hui dans une logique de développement d'une industrie ainsi qu'un secteur qui ambitionne de contribuer au projet Afrique Atlantique. « Et pour cela, il faut un cadre clair de transfert de technologie ». Aujourd'hui, même si les expertises et les offres sont toutes de prestige, il est clair que le choix du DG de l'ONCF se fera à la lumière des enjeux diplomatiques et géostratégiques. La France, l'Espagne et aujourd'hui la Corée, sur quelle base ces acteurs seront-ils départagés ?