Quotas, demande de certificats parfois injustifiés, lobbying, concurrence sur les marchés locaux… Les pouvoirs publics ou le secteur privé des autres pays signataires font blocage. En résumé, beaucoup de choses ne vont pas dans l'accord d'Agadir, cet accord qui vise la création d'une zone de libre-échange entre le Maroc, la Tunisie, l'Egypte et la Jordanie. Le Centre Marocain de Promotion des Exportations (CMPE) évoque la faiblesse des échanges, qui sont en deçà du potentiel existant entre les pays de la Quad, la similitude des structures productives, la concurrence sur les marchés locaux, la compétition sur les mêmes marchés de l'exportation, le fonctionnement peu efficace des accords bilatéraux en raison des barrières et obstacles au commerce, l'engagement frileux des entreprises pour explorer des domaines et des niches de complémentarité ou d'internationalisation au niveau de la zone… Une année après son entrée en vigueur, l'accord n'a pas réussi à créer une ambiance favorisant le business entre ces quatre pays. Seule l'Egypte arrive à en profiter vraiment. Selon El Hassan Hzaine, directeur des études et de la formation au Centre Islamique de Développement du Commerce (CIDC), elle exporte pour 598,7 millions de dollars et n'importe des 3 autres pays que l'équivalent de 104 millions de dollars. C'est le Maroc et la Jordanie qui, finalement, ont le plus de mal à s'en sortir. Le solde de leurs échanges (exportations-importations) est déficitaire. Il est de -403,80 millions de dollars pour le Maroc, qui importe, entre autres, des produits métallurgiques, des fibres et tissus, des pneumatiques, des pièces détachées, des produits chimiques, et exporte notamment des produits alimentaires. Il est de -542,6 millions de dollars pour la Jordanie. La Tunisie, elle, s'en sort mieux. Son solde n'est déficitaire que de 30 millions de dollars. Pour Larbi Belarbi, directeur général de la Somaca, le ton est donné: «la coopération sud/sud ne marche pas»(*). Eh oui, nos amis tunisiens, égyptiens ou jordaniens ne semblent pas encore prêts à accueillir en masse nos produits. Histoire d'animosités ? Le Maroc et la Tunisie bataillent sur les mêmes créneaux. L'Egypte et la Jordanie en font de même. Barrières non-tarifaires pour bloquer les échanges Cela expliquerait-il cette réticence à vouloir créer des synergies ? De prime abord, une réponse par l'affirmative serait subjective. Mais les expériences concrètes d'opérateurs marocains sur ces marchés témoignent des intentions de blocage des uns et des autres. Un responsable de la Confédération Marocaine de l'Agriculture et du Développement Rural (Comader) ne manque pas de rappeler qu'une entreprise marocaine a essayé récemment d'exporter du foie de canard vers la Jordanie. Un échantillon leur avait été adressé. Les autorités ont jugé bon de le détruire sous prétexte que le Maroc n'était pas indemne de la grippe aviaire. Autre mésaventure, cette fois-ci en Tunisie. Une entreprise marocaine a tenté d'exporter des produits dattiers. Les Tunisiens les ont refusés, arguant qu'au Maroc sévit la maladie du Bayoud, une maladie qui détruit ces produits. «C'est une aberration», lance le responsable de la Comader. Même son de cloche dans le secteur de l'automobile. Mais dans ce cas, les pays craignant l'arrivée de nos produits brandissent la carte des barrières non-tarifaires. C'est le cas en Tunisie par exemple, où la Somaca a essayé d'exporter des Logan. «Nous avons eu pas mal de discussions. Mais dès lors où nous avons essayé d'exporter nos véhicules, on nous a fait savoir qu'un système de quotas était appliqué. Or, d'après l'accord d'Agadir, ce système n'existe pas», atteste Larbi Belarbi. Deux langages cohabitent alors - le politique et le pratique - et l'un n'a rien à voir avec l'autre. Et c'est bien dommage. Les pays signataires ont une chance de créer une zone forte qui puisse mieux négocier sur l'échelle internationale et avoir plus de poids. Une autre mésaventure de la Somaca est à enregistrer en Egypte. Plusieurs discussions ont eu lieu entre les officiels et le secteur privé. Des tests ont été réalisés sur ce marché. Mais malheureusement, les véhicules montés au Maroc n'auront pas (pour l'instant) la chance de circuler sur le sol du pays des Pharaons. Les Egyptiens prétendent ne pas vouloir appliquer les termes de l'accord d'Agadir, parce que le Maroc ne les appliquerait pas. La réalité est plus complexe. Les Egyptiens ont peur de la concurrence marocaine. Si la Somaca peut produire seule 50.000 véhicules, en Egypte, c'est une douzaine d'opérateurs qui ont cette capacité. Chacun peut produire entre 3.000 et 4.000 voitures. Ce sont eux qui font du lobbying pour que la Somaca n'introduise pas ses véhicules. Même son de cloche en Tunisie, qui met en avant des clauses de sauvegarde pour protéger les siens. Somaca a trouvé une parade. Elle a suggéré, dans un premier temps, exporter une quantité minime de véhicules, entre 5.000 et 10.000. Ce chiffre pourrait être révisé à la hausse dans les années suivantes. «On est ouvert à tout», lance Larbi Belarbi, pourvu que le business marche. La balle serait maintenant dans le camp des Tunisiens. Pas de réflexe pour investir dans la région Dans le secteur du textile et de l'habillement, les choses semblent aller différemment pour nos industriels. En fait, ils n'auraient pas vraiment d'avantages à pénétrer les marchés des pays de l'accord Quad. Comparativement aux trois autres pays, les coûts des facteurs de production des Marocains demeurent élevés. Le coût du kilowatt heure est de 0,09 euro au Maroc, contre 0,04 en Tunisie et en Jordanie et 0,03 euro en Egypte. D'autant plus que par rapport aux Egyptiens par exemple, nous ne disposons pas de matières premières (coton)… Grosso modo, donc, les échanges intra-pays voire même les investissements croisés restent faibles. Cette faiblesse serait due à la dimension de l'ensemble des quatre pays, qui sont des importateurs. Mohamed Tazi, directeur général de l'Association Marocaine de l'Industrie du Textile et de l'Habillement (AMITH), l'explique par quelques éléments : pas de développement de marques propres pour exporter dans les pays de la Quad, méconnaissance des possibilités afférentes au segment des fibres par exemple, «a priori» négatifs au niveau des prix, de la qualité et des délais… De plus, le secteur textile de chacun de ces pays est ouvert aux étrangers, mais pas forcément aux pays signataires de l'accord. En Egypte, ce sont les Turcs, les Indiens, les Chinois, les Taïwanais… qui ont percé le marché. En Jordanie, ce sont les Chinois, les Pakistanais… Au Maroc et en Tunisie, ce sont plutôt les Français, les Britanniques, les Espagnols… «Nous n'avons pas le réflexe d'investir entre nous», fait remarquer Tazi. Des ébauches existent. Des Tunisiens se sont installés au Maroc. Des Marocains se lancent dans un processus industriel en Egypte. Mais cela reste insuffisant. C'est le cas aussi du secteur automobile où la part de l'intégration des pièces des pays signataires de l'accord d'Agadir gagnerait à grandir. Aujourd'hui, 5% de pièces tunisiennes sont intégrées dans la Logan. «Nous essayons de voir de quelle manière nous allons intégrer les pièces égyptiennes», lance Belarbi. Malgré tous les désagréments causés, il faut savoir que le potentiel des échanges commerciaux entre les pays de la Quad demeure encore inexploité. Des opportunités sont à saisir. Pourvu que les mésententes soient dépassées.◆ Agroalimentaire : La Tunisie en fait-elle trop ? Les professionnels du secteur agricole, et plus particulièrement les exportateurs, sont étonnés de voir que l'accord d'Agadir ne leur profite pas vraiment. Selon le responsable de la Comader, les statistiques annoncées par les officiels, selon lesquelles les exportations et les importations n'atteindraient respectivement que 27.000 tonnes et 136.000 tonnes avec les pays signataires de l'accord, ne signifient pas forcément que les professionnels marocains se désintéressent du marché régional. Le problème réside dans des contraintes qui freinent le développement des affaires. Le responsable cite à cet effet la différence des politiques agricoles en termes de mécanismes utilisés à la frontière et ceux de soutien adoptés dans chacun des pays. «Les tarifs des importations des intrants par exemple sont inférieurs dans trois pays à ceux du Maroc», constate le responsable. A cela, il faudra ajouter la sensibilité des produits agricoles. Les produits agricoles ont des traitements différenciés d'un pays à l'autre. Last but not least, l'application de barrières non tarifaires par certains pays. Le responsable de la Comader ne manque pas de montrer du doigt la Tunisie, qui exige par exemple des certificats de mise en vente libre, de non irradiation…