Le secteur n'en finit pas de faire sa mue, otage d'une conjoncture internationale défavorable, des aléas climatiques que connaît notre pays ainsi que d'un système de régulation inefficient… Cela pourrait être la chronique d'une libéralisation éternellement inachevée… Il aura fallu l'annonce officielle d'une très faible campagne agricole pour qu'à nouveau, tout ce que la filière céréalière compte d'intervenants, publics et privés, dégainent leurs calculettes et sonnent le branle-bas de combat ! Que ce soit pour le blé dur ou pour le blé tendre, les minotiers ont une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme, inquiets qu'ils sont de la baisse des stocks et des droits de douane élevés sur les importations. Dans le cas du blé dur, la production locale sert traditionnellement à l'autoconsommation en milieu rural, et de ce fait, les importations couvrent la quasi-totalité du blé commercialisé au Maroc, contrairement au blé tendre, dont le marché dépend à la fois de la production locale et des cours mondiaux. Résultat des courses, c'est un été très chaud qui s'annonce, puisque ce ne sont pas moins de 3,5 millions de tonnes de blé qui devront être importés. Autre signe inquiétant, ce sera la première fois que le Maroc épuisera en totalité les contingents américain et européen. Seul facteur véritablement exogène, la flambée des prix des céréales sur le marché mondial. En effet, rien que sur l'année 2006, les cours des céréales ont gagné 36% ! Principale explication, des récoltes qui ont fortement diminué dans plusieurs bassins producteurs comme l'Europe, l'Ukraine, la Russie, les Etats-Unis ou l'Inde, sous l'effet de conditions climatiques particulièrement défavorables. Ce phénomène est d'ailleurs parfaitement illustré par le cas actuel de l'Australie, dont la dernière récolte a été catastrophique du fait d'une longue période de sécheresse. Tant que les stocks mondiaux seront très bas, les cours du blé resteront soutenus. C'est dans ce contexte fort défavorable que les minotiers n'ont eu de cesse de dénoncer des droits de douane trop élevés (95% pour le blé dur jusqu'en février 2007). Des mécanismes complexes O r il faut savoir que dans le cas du blé tendre par exemple, ces tarifs douaniers (jusqu'à 130%) ont été mis en place momentanément, dans l'optique d'écouler plus facilement la production locale. Une fois la totalité de la production nationale collectée et usinée (ce qui est quasiment le cas pour l'actuelle campagne), les minotiers ont demandé tout naturellement que ces droits de douane soient revus à la baisse, autour de 50%. Ils n'ont été que partiellement satisfaits, puisque ces droits de douane sont passés à 60% depuis plus d'un mois. Ce qui est clair, c'est que le système d'importation des céréales demeure régi par des mécanismes complexes, et qu'il comporte une multiplicité d'intervenants, le plus important étant l'ONICL (Office National Interprofessionnel des Céréales et Légumineuses). Par ailleurs, même dans le cas de la baisse des tarifs douaniers, les problèmes ne sont pas pour autant résolus ! En effet, au port de Casablanca, le blé tendre s'affiche à 285 DH le quintal alors même qu'il devrait être normalement vendu autour de 258 DH le quintal, afin de respecter les prix indicatifs sur lesquels reposent tout le système… Et c'est là que l'on reparle du fameux système de subvention tant décrié par les minotiers ! Pour la filière dite réglementée, celle de la farine nationale de blé tendre ou FNBT (10 à 12 millions de quintaux/an environ), l'Etat décaisse chaque année quelque 2 milliards de DH. Cette subvention est répartie entre les stockeurs et les minotiers. Les premiers s'approvisionnent en blé tendre auprès des producteurs à un prix fixé par l'Etat, et perçoivent par la suite une subvention mensuelle et fonction de la quantité stockée. Les minotiers qui écrasent ensuite reçoivent une subvention fonction de la quantité écrasée. Ce qui ne laisse pas d'étonner au niveau de ce secteur, c'est le manque de réactivité patent des organismes en charge de la régulation. De manière récurrente, on ne semble agir que dans la précipitation et l'urgence, un coup en renforçant les droits de douane, un autre en les diminuant, tout cela restant à courte vue… et fortement aléatoire. De plus, le système de subvention continue à introduire un biais fort préjudiciable avec des grossistes qui continuent à opérer une péréquation entre la farine subventionnée et la farine dite libre, en augmentant le prix de la première et en diminuant celui de la seconde… Au niveau des professionnels du secteur, on martèle que non seulement ce système de subvention n'atteint pas sa cible, mais qu'il ne réalise pas non plus l'objectif social fixé. Ce qui est également mis en avant, c'est la nécessité d'achever la libéralisation de ce secteur en permettant de faire véritablement jouer les mécanismes du marché. Cela fait maintenant plus d'une dizaine d'années que le processus de libéralisation a été entamé, et les opérateurs du secteur continuent à opérer sans réelle visibilité, dans un environnement où la mutualisation des coûts et la sécurisation des intrants ne sont toujours pas garanties. Si le dossier de la filière céréalière a toujours été considéré comme fortement « politisé », les fortes tensions sur les marchés mondiaux et les cours élevés (pour longtemps) doivent provoquer le déclic qui permettra de réellement mener à bout la libéralisation de la filière au Maroc.