À peine annoncé par le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, la rémunération des médecins du public à l'acte pratiqué à la place du salaire, a secoué la profession. Les professionnels de la santé mettent en garde contre toute opérationnalisation unilatérale de cette mesure et affirment la nécessité d'inclure l'ensemble des droits et des acquis garantis par le statut de la fonction publique. Mais faut-il remettre en cause la proposition du gouvernement ? Voilà plusieurs années que les médecins du public réclament une revalorisation salariale. Répondant à une question sur le sujet, lors des discussions autour du Projet de loi de finances 2022 à la chambre des représentants, le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a donné un premier aperçu du modèle de rémunération qui sera proposée, dans le cadre du projet de réforme de la fonction publique médicale. « Le médecin ne peut pas être un fonctionnaire. Il doit être payé pour l'acte qu'il pratique avec un seuil minimum et un plafond », affirme Lekjaâ. S'il arrive à atteindre même 100.000 DH, c'est son droit, s'il veut travailler peu et ne toucher que 30.000 DH c'est son droit aussi. Et s'il veut profiter d'une formation de 6 mois à l'étranger, il ne sera pas payé », poursuit-il, assurant que les prévisions pour ces acteurs du système de santé vont même au-delà des attentes des parlementaires, qui réclament une hausse du salaire des médecins. « On ne peut pas avoir deux structures dans le système de santé, un secteur privé, dans lequel le médecin peut percevoir une certaine rémunération et un établissement public, où on lui dit de rester à un certain niveau de salaire. Il faut une rupture totale avec l'ancien discours de l'échelon et de l'échelle,... on va aller vers un nouveau système et on assume notre responsabilité là-dessus », a estimé le ministre qui reconnu que le salaire de 7.000 DH par mois pour un médecin au Maroc est «insuffisant». Qu'en est-il réellement de la productivité des médecins du public comparés à leurs homologues du privé ? « Lorsqu'on analyse également la productivité des hôpitaux publics, on s'aperçoit que les ressources humaines n'ont pas soit les moyens de travailler, soit leur activité n'est pas élevée pour diverses raisons. L'exemple typique est que les médecins spécialistes ont en moyenne trois consultations par jour et que les chirurgiens font une intervention un jour sur deux. Comparé au secteur privé, on peut au moins doubler, voire tripler la productivité », explique Pr. Jaâfar Heikel Epidémiologiste, spécialiste en maladies infectieuses et économiste de la santé. Lire aussi | Le Maroc se prépare à recevoir la nouvelle génération de chasseur multirôles F-16 Block 72 En clair, dans la nouvelle réforme, le gouvernement a décidé de rémunérer les médecins du secteur public en proportion du nombre d'actes pratiqués. Mais depuis cette sortie du ministre délégué chargé du Budget, c'est le branle-bas de combat dans la profession. « Certes, nous revendiquons depuis plusieurs années la revalorisation des salaires mais il reste que les contours et le fond de ce projet sont entourés de secret et d'opacité. Nous mettons ainsi en garde contre toute formulation ou opérationnalisation unilatérale de ce projet et affirmons la nécessité d'inclure l'ensemble des droits et des acquis garantis par le statut de la fonction publique actuel qui assure la stabilité professionnelle et familiale et préserve le personnel contre tout abus de pouvoir », souligne Abdellah El Montadar Alaoui, secrétaire général du Syndicat indépendant des médecins du secteur public (SIMSP). Pour rappel, un médecin du secteur public commence sa carrière en tant qu'interne avec un salaire de 3.000 DH par mois. Il passe à 8.000 ou 8.600 DH lorsqu'il est titularisé et finit son parcours professionnel avec un salaire maximum de 16.000 à 18.000 DH. Salariat Vs paiement à l'acte Reste à savoir si le paiement à l'acte est mieux pour les professionnels de santé, les citoyens et le budget de l'Etat ? Jusque-là, si les modes de rémunération des médecins du public varient beaucoup d'un pays à l'autre, le Maroc applique le salariat à travers duquel le médecin reçoit une rémunération correspondant à un temps de travail donné, indépendamment du nombre d'actes. Selon Adnane Bouhami, économiste de la Santé, ce modèle de rémunération permet la réalisation de missions qui nécessitent beaucoup de temps et mal rémunérées par le paiement à l'acte, telles que la prévention, l'éducation thérapeutique, mais aussi la coordination des soins ou l'enseignement. « Il n'y a pas de phénomène de demande induite. Le salaire des médecins étant fixe et prévisible, les dépenses de santé sont contrôlables. Les principaux effets négatifs décrits sont la diminution de la productivité et l'absence de réponse à la demande par manque d'incitation à l'effort », explique Bouhami, ajoutant que ce mode de rémunération est appliqué par exemple en Finlande (pour les médecins spécialisés), en France (pour la moitié des médecins spécialisés), au Danemark (pour les médecins spécialisés) ou encore au Royaume-Uni (pour les médecins spécialisés). Lire aussi | Espagne. Un avion marocain atterrit d'urgence à Majorque, 20 passagers s'enfuient [Vidéo] Quid alors du paiement à l'acte que le Royaume veut instaurer ? Avec ce modèle, le médecin perçoit des honoraires en fonction du prix des actes réalisés et de leur quantité, selon Adnane Bouhami. Le principal avantage du paiement à l'acte est d'augmenter la productivité des médecins. Il incite à réaliser plus d'actes dont des actes plus spécialisés, mais aussi à élargir les horaires de travail. On observe aussi une diminution du recours aux spécialistes, poursuit-il. Selon Bouhami, le paiement à l'acte a deux inconvénients majeurs. Le premier est qu'il favorise le phénomène de demande induite. Le médecin peut augmenter son activité afin de conserver ou majorer ses revenus, par exemple en faisant revenir les patients en consultation plus que nécessaire. Cela entraine une surproduction de soins qui pèse sur le budget du système de santé. Son deuxième inconvénient est qu'il délaisse certains actes qui demandent beaucoup de temps et peu rémunérateurs, qui ont une importance primordiale en termes de santé publique : l'éducation thérapeutique et la prévention des patients. « Ce modèle est appliqué par exemple en France (pour les médecins généralistes et la moitié des médecins spécialisés), au Canada, en Allemagne et aux Etats-Unis », dit-il. Le troisième modèle appliqué dans le monde est la capitation qui est par exemple appliqué au Royaume-Uni et via lequel le médecin perçoit une rémunération dépendante du nombre de patients rattachés à son nom, indépendamment du nombre d'actes réalisés, ajoute Bouhami, notant que ce modèle vise l'efficacité. En fait, le praticien fait en sorte de ne voir le patient que lorsque cela lui semble nécessaire. Il n'y a pas d'effet de demande induite. L'éducation thérapeutique et la prévention sont favorisées. Elle permet aussi une amélioration de l'offre de soin, en favorisant l'augmentation du nombre de patients pris en charge par un même médecin. Le tout permet un contrôle des dépenses de santé, explique Bouhami. Cependant, précise-t-il, l'incitation à l'augmentation de la taille de la patientèle induit une concurrence entre les médecins. Ils peuvent être tentés de satisfaire aux demandes des patients même si elles ne sont pas justifiées, afin de les fidéliser. On observe aussi une sélection des patients les moins à risques, et un recours plus fréquent aux autres spécialités et aux services des hôpitaux ». Au final, est-il dans l'intérêt des médecins du public de remettre en cause le paiement à l'acte des médecins ? « Nous n'avons pas dit que nous sommes pour ou nous sommes contre. Ce qu'on a dit est que nous ne voulons pas être sous la tutelle des lois. Nous refusons d'être mis devant le fait accompli. Il faut que toutes les parties concernées se retrouvent autour d'une table négociation. C'est la position de tous les médecins du public », martèle le secrétaire général du Syndicat indépendant des médecins du secteur public. Selon Abdellah El Montadar Alaoui, cela fait plusieurs années que leur syndicat demande l'application de l'indice-échelon 509 dans le calcul du salaire des médecins. « Actuellement, l'échelon ou indice sur la base duquel le salaire du médecin est calculé est à 336, soit l'équivalent d'un master (Bac+5). Nous réclamons depuis que celui-ci passe à 509, l'équivalent d'un doctorat (Bac+8) », dit-il. Lire aussi | Marche Verte. Ce qu'il faut retenir du discours royal