«Quel espoir reste aux algériens quand ils voient leurs enfants, les hommes de l'avenir manifester et s'opposer à la police pour réclamer le droit de tricher à l'examen ». C'est ce que le directeur du journal le plus lu en Algérie a écrit, suite à une altercation dans un centre d'examen, survenue parce que les candidats ont jugé les surveillants trop sévères. Au Maroc, la triche est arrivée au Conseil du gouvernement qui a «légiféré» sur la question en renforçant les sanctions et en y réservant la plus large des publicités espérant que la prévention par la dissuasion fonctionnera. C'est hilarant ou tragique, au choix. Si on en est arrivé là, c'est que le phénomène de la triche est d'une grande ampleur, qu'il persiste depuis des années, à tel point que les candidats au lieu de préparer leurs examens, rivalisent d'ingéniosité pour trouver les moyens de tricher. C'est un vrai problème sociétal, qui dépasse de loin l'académique. Ce n'est pas le fait que de jeunes gens puissent accéder à un diplôme sans avoir fait l'effort d'acquérir les connaissances nécessaires qui est inquiétant. S'agissant d'un examen et non pas d'un concours, ils n'enlèvent rien aux élèves sérieux qui ne comptent que sur leurs acquis, fruits de leur préparation. La question qu'il faut se poser est pourquoi est-ce que ce phénomène a prospéré. L'école est la première accusée. La détérioration des rapports entre enseignants et élèves, l'absence de toute idée de discipline, de respect est sans doute à la base de l'extension d'une pratique qui commence dès le collège. C'est-à-dire à un très jeune âge. Certains enseignants y participent même, puisque chaque année, on dénonce certains surveillants qui, lors de l'examen d'entrée en sixième croient faire œuvre utile en donnant les réponses aux élèves. La conception de la transmission du savoir, basée sur le par cœur est aussi incriminée. Si l'examen consistait, uniquement, en des sujets analytiques où les candidats doivent démontrer, non pas qu'ils ont appris des leçons, mais qu'ils peuvent se servir des reconnaissances acquises, la triche ne servirait à rien. Mais même pour le baccalauréat, l'examen consiste à réciter une leçon. C'est se voiler la face, se cacher l'étendue du désastre, que de confiner la question de la triche à l'école. C'est un phénomène qui en dit long sur la société. La valeur travail, le goût de l'effort s'effacent au profit de la «débrouillardise». Pour arriver à ses fins, tous les moyens sont permis. C'est ce qu'on a appris à ces jeunes. La relation à la règle de droit, très élastique de manière généralisée, trouve dans la triche son expression la plus caricaturale. Le Marocain qui confesse qu'il a vu le feu rouge, mais qu'il n'avait pas vu le flic, ce n'est pas juste une blague, c'est une réalité. Dans la vie quotidienne, il s'agit d'éviter la sanction et non pas de respecter la règle de droit, comme une règle de vie commune. La triche aux examens est l'expression perverse, de la conviction des citoyens que la méritocratie n'est qu'un vain mot, que le droit n'existe pas, que le système de valeurs ne sert que les possédants. Pour s'élever, il faut donc s'émanciper de toutes les règles et s'arranger pour « arriver ». Une société qui a normalisé la corruption au point de reprocher aux fonctionnaires intègres de l'être, ne peut produire que ce genre de phénomènes. Le gouvernement a donc pris le taureau par les cornes et a décidé de durcir les sanctions. Cette dissuasion fonctionnera-t-elle ? Peut-être de manière relative, mais elle n'éliminera pas la triche, parce que ses causes sont profondes et multiples. L'interrogation de l'éditorialiste algérien prend tout sens. Quel avenir nous réservent ces jeunes qui croient au droit de tricher ? n