Les patrons auraient vendu certains de leurs biens, l'Etat offre 100 MDH, les banques rééchelonnent les dettes… Cela suffira-t-il à assurer l'avenir de l'entreprise ? Le magazine «Al Aan» en langue arabe a titré en Une de son édition du 15 au 21 mars : «La colère du Roi contre Benkirane». La crise que rencontre Maghreb Steel (MS) aurait fait éclater son mécontentement. Le Souverain avait inauguré en 2001 le nouveau complexe sidérurgique de laminage à froid du groupe Sekkat. En 2007, il pose la première pierre d'un complexe de laminage à chaud. En 2012, il inaugure le nouveau complexe de Mohammedia qui a coûté 5,7 milliards de dirhams. Le roi n'aurait donc pas apprécié, selon Al Aan, que le gouvernement ne se soit pas manifesté pour essayer de trouver une solution à la crise que le groupe est en train de rencontrer, et via lui, d'autres industriels. Hasard ou coïncidence, on apprend que l'argentier du Royaume a réuni, il y a quelques jours, les responsables du groupe, ceux du secteur, et les responsables des banques créancières. L'objectif est de trouver une issue à «l'aciériste» qui explique sa crise notamment par la concurrence déloyale des produits importés à bas prix (dumping) et la baisse draconienne du prix de l'acier à l'international : 200 dollars environ la tonne aujourd'hui contre 1300 dollars en 2007. Un professionnel très au fait de ce qui se passe dans ce secteur ne semble pas très convaincu par ces raisons. Pour lui, «Maghreb Steel a, dès le départ, surdimensionné ses investissements, principalement celui de Mohammedia. Sachant que le secteur est cyclique, il a, à mon sens, mal calculé les risques». En tous cas, la famille Sekkat ne baisse pas les bras. On raconte même que ses patrons auraient vendu quelques biens familiaux pour renflouer les caisses de l'entreprise. Une action pareille ne peut que démontrer la bonne volonté de l'équipe dirigeante pour sauver les meubles. Elle est soutenue par ses différents partenaires, même les banques. C'est normal. Ces dernières doivent défendre leurs intérêts. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Le gouvernement aussi a fait un geste. Il débloque 100 MDH du fonds de promotion de l'investissement (FPI). Rapporté à l'encours d'endettement de près de deux milliards de dirhams du groupe, c'est epsilon. Mais tout de même, ce montant servirait bien à résorber une partie de la trésorerie négative. On peut s'interroger alors sur la rapidité avec laquelle cette décision a été prise. Selon l'article 17 de la charte d'investissement, un investisseur peut bénéficier de l'aide directe de ce fonds via une contribution dans l'appui au foncier, aux infrastructures externes ou à la formation. Selon une source bien informée, cette aide dont bénéficie aujourd'hui Maghreb Steel était prévue dans le cadre de sa convention d'investissement signée avec l'Etat. Mais la procédure d'octroi a-t-elle été pour autant totalement respectée? Pour être éligible à l'aide du FPI, les entreprises bénéficiaires doivent investir plus de 200 MDH (c'est le cas de Maghreb Steel), créer des emplois égal ou supérieur à 250 (ça devrait l'être aussi), assurer un transfert technologique et réaliser le projet dans les provinces ou préfectures du Nord (Tanger, Téouan, Asilah, Al Hoceima, Berkane, chefchaouen, Larache, Nador…) et/ou du Sud (Boujdour, Guelmim, Tan Tan, Taourirt…). Ce qui n'est pas le cas de Maghreb Steel dont les projets se focalisent plutôt dans la région du Centre. A cela, l'une de nos sources ajoute que pour bénéficier de l'aide du FPI, le mécanisme d'attribution est très lourd d'autant plus que l'entreprise doit avoir réalisé des investissements… En a-t-il été vraiment le cas ? Des prix indicatifs pour limiter les importations En tous les cas, les pouvoirs publics semblent déterminés à soutenir Maghreb Steel, bien qu'avant lui, Legler, un industriel dans le secteur du textile, ait été lâché par tout le monde. Ni l'Etat, ni les banques (qui, aujourd'hui soutiennent Maghreb Steel) n'ont eu de remord à le laisser couler. Cela rappelle vaguement l'affaire de la banque Lehman Brothers qu'on avait laissé sombrer, mais pas les institutions qui, après elle, avaient connu des déboires financiers. Nous ne sommes pas dans la même configuration, ni dans le même cas bien évidemment. Le mot est donc donné pour maintenir le vaisseau amiral du secteur. Les Sekkat ont demandé aux pouvoirs publics d'introduire la notion de prix indicatif pour freiner les importations en attendant l'enquête du ministère du Commerce sur le bien fondé (ou pas) du dumping mené par des concurrents de l'aciériste. Pour un professionnel du secteur, la raison évoquée du dumping n'est pas justifiée. «Dans son business plan, Maghreb Steel avait prévu d'exporter 60% de ses produits. Ses responsables demandent aujourd'hui aux pouvoirs publics de les laissent gagner de l'argent sur le marché local pour exporter». Bref, depuis quelques mois, le groupe Sekkat a décidé, avec ses partenaires, plusieurs choses: augmentation de capital prévue de 600 MDH, rééchelonnement de la dette sur une période d'une dizaine d'années avec réduction des taux d'intérêt sur les trois premières années, aide directe de l'Etat… Il devrait respirer un peu. Mais pour l'une de nos sources, ces solutions ne seraient pas suffisantes. Maghreb Steel aurait besoin de bien plus. «Pourquoi les banques n'abandonneraient-elles pas une partie importante de la dette ou que l'Etat ferme les yeux sur les arriérés fiscaux… », s'interroge la source. S'il en est ainsi, le cas de Maghreb Steel pourrait faire office de jurisprudence. Demain, un autre groupe privé, qui se retrouverait dans pareille situation, demanderait alors les mêmes «faveurs». Le problème est donc bien plus grave et concerne l'industrie de manière générale. Sans une réelle vision et une politique industrielle élaborée, chaque jour, on entendra parler de plusieurs cas qui ressemblent à Maghreb Steel, que ce soit dans la sidérurgie (bien qu'il n'y ait pas d'opérateur de son envergure) ou une autre activité.