Si l'acquisition par Addoha de 50% de Fadesa Maroc passe pour une opération de croissance externe des plus banales, elle est aujourd'hui surtout la condition sine qua none pour que Fadesa sauve sa peau au Maroc. J e ne pense pas que l'équipe de Fadesa Maroc ait cédé les 50 % de gaieté de cœur», remarque Karim Fekkak, président fondateur de la banque d'investissement MagFin. Une phrase qui peut à elle seule résumer, si l'on schématise à l'extrême, le pourquoi d'une telle opération. Car pour quelles raisons un opérateur de l'envergure de Fadesa céderait-il 50% d'une affaire qui rapporte de l'or ? «Cette acquisition, et j'insiste sur ce terme, est davantage une décision politique à laquelle Fadesa a dû, bon gré mal gré, se soumettre», ajoute un observateur du secteur. Une supposition qui trouve un certain écho, dans la mesure où Fadesa Maroc s'est montrée très discrète, pour ne pas dire absente, dans la communication autour de cette opération. D'ailleurs, le communiqué paru dans la presse provient de «Douja Promotion Groupe Addoha». Fadesa n'a même pas co-signé ledit communiqué. «Fadesa s'est fait beaucoup d'ennemis car elle est parvenue à rafler de manière agressive beaucoup trop de fonciers et de projets immobiliers», révèle la même source. Fadesa dérange manifestement, et si jusqu'à présent son savoir-faire était apprécié, aujourd'hui, l'on estime que le groupe espagnol n'apporte plus de réelle valeur ajoutée au pays. «Au départ, Fadesa a misé sur le secteur touristique et immobilier marocain, à l'heure où les Marocains eux-mêmes n'y croyaient pas beaucoup. L'Espagnole a donc joué le rôle de déclencheur. Aujourd'hui, elle n'a pas de valeur ajoutée par rapport aux promoteurs marocains car la compétence s'est développée dans le pays, et le vrai challenge est de ramener des investisseurs, tels que les hôteliers ou les géants du golf qui rapportent 100% de valeur ajoutée au Maroc», explique Karim Fekkak. Même si tout suite après, il tempère ses propos en insistant sur le fait que le business modèle de l'Espagnol est intéressant à garder pour le Maroc, et que Fadesa dispose tout de même de techniques de commercialisation et d'un réseau de placement très précieux. Si, du côté de Fadesa, la transaction paraît quelque peu «suggérée», du côté du groupe Addoha, l'opération est tout «bénéf», mais pas uniquement pour les raisons exposées dans le communiqué de presse… Dans l'absolu, cette acquisition ne peut-être qu'une bonne chose pour Addoha: elle prend une position forte dans le résidentiel touristique et haut de gamme, pour ne pas dire qu'elle devient le numéro 1 sur le marché marocain. Et par la même occasion, elle essuie d'un revers de main tous ses concurrents potentiels, y compris Fadesa elle-même. Addoha vient donc de se donner les moyens de façonner le marché du résidentiel touristique, de la même manière qu'elle a fait celui du logement économique. Cette acquisition pourrait même aller plus loin, vu le cheminement des relations entre Fadesa Maroc et Addoha. Les deux groupes ont d'abord effectué des échanges de participation dans certains projets via la création d'un consortium immobilier et touristique en juillet dernier. «L'acquisition est un pas supplémentaire, et un croisement capitalistique de Fadesa dans Addoha n'est pas à exclure», poursuit un analyste financier. Une hypothèse qui ne constitue en rien une raison suffisante pour mettre sur la table 1,3 milliard de DH. Les réserves foncières, nerf de la guerre Mais souvenez-vous plutôt, lorsque le business plan de Addoha a été présenté lors de son introduction en bourse, de la façon dont les revenus du groupe étaient ventilés pour les années à venir: 70% en provenance du logement social, 30% du haut standing et du tourisme. Sauf que depuis, les avantages fiscaux accordés au logement social sont en passe de voler en éclat, et les bénéfices du haut standing ne sont pas encore prêts de rentrer dans les caisses d'Addoha, vu que le groupe en est encore au stade des projets dans la plupart des cas. Alors comment faire face en même temps à l'effritement des marges dans le logement social et parvenir à dégager 30% de ses revenus du haut standing, segment qui n'est pas encore opérationnel? Réponse de Hassan Benbechir, conseiller du président du groupe Addoha: «nos marges ne seront aucunement affectées du fait de la nouvelle donne fiscale. L'ensemble des programmes économiques du Groupe est en effet couvert par des conventions conclues avec l'Etat. Ces programmes bénéficieront par conséquent de l'exonération totale de l'IS jusqu'en 2012». Et à un analyste financier d'ajouter, «de toute façon, Addoha avait déjà annoncé qu'elle se réorienterait de plus en plus vers le haut standing et le résidentiel touristique dès son introduction en bourse. D'ici 2009, ce segment devrait représenter 50% du chiffre d'affaires. Ajoutez à cela que les marges dans le haut standing sont nettement plus importantes que dans le social: 50% pour le haut standing vs 30% pour le social». L'argument de la fiscalité et de la perspective d'effritement des marges tombe alors aussitôt à l'eau, au moins à court terme. Selon le communiqué publié par le groupe Addoha, une des raisons ayant motivé cette transaction est le puissant réseau de commercialisation dont dispose Fadesa. Mais si l'on pousse la réflexion un peu plus loin, même avant le rachat, Addoha bénéficiait déjà du réseau de commercialisation et de distribution de Fadesa, puisque le groupe d'Anas Sefrioui et Fadesa ont déjà créé un «consortium immobilier et touristique Addoha/Fadesa» en juillet dernier, appelé Gil Seaside. Dans ce cas, pourquoi Addoha s'allierait-elle à Fadesa, alors qu'elle dispose déjà d'un partenariat avec une multinationale britannique pour la commercialisation de ses logements? D'autant plus que certains observateurs signalent au passage qu'à travers les mémorandums d'entente signés avec les Emiratis de la Somed, d'Al Qudra, ou encore le CMKD…, Addoha pouvait également faire jouer les synergies, car eux disposent de réseaux de distribution à travers le monde ( notamment grâce à l'acquisition de grandes agences immobilières américaines)…autrement plus puissants que celui de Fadesa. Du coup, l'argument du réseau de commercialisation paraît moins crédible ou du moins pas aussi primordial qu'on voudrait bien nous le faire croire. Mais lorsque l'on demande à Hassan Ben Bachir le pourquoi du choix de Fadesa, il nous livre à demi-mot la véritable réponse à cette question. «Il s'agit d'une opération de croissance externe permettant au Groupe Addoha d'augmenter rapidement le volume de sa production et de ses parts de marché avec un impact positif sur ses résultats. Les synergies qui seront développées entre les deux Groupes, outre les ventes à l'international, ont trait également aux autres domaines de notre activité: développement de la réserve foncière, conception des projets, maîtrise des coûts et des délais …. ». Et oui, le mot est lâché: ce sont bien d'abord les réserves foncières de Fadesa qui intéressent Addoha. Ce que ne manque pas de nous confirmer un analyste financier qui suit de très près cette valeur. «Le plus important dans cette acquisition, c'est la réserve foncière sous-jacente, puis les projets que l'on va mettre dessus. Or on ne connaît pour l'instant pas la réserve foncière exacte de Fadesa et encore moins le type de projets qu'on va y développer». Cela dit, selon les rumeurs du marché, Fadesa disposerait d'importantes réserves foncières. Un véritable trésor de guerre, surtout lorsque l'on sait combien il est désormais difficile de mettre la main sur des terrains bien situés à construire. En outre, être dans Fadesa Maroc permet à Addoha de s'associer à des projets de grande envergure, que ce soit des projets touristiques ou du résidentiel haut de gamme, et qui plus est très rentable financièrement. L'objectif numéro 2 de Addoha via cette acquisition serait alors de dégager du cash rapidement, puisque Fadesa dispose de bon nombre de projets déjà en phase de commercialisation. En revanche, une grande partie des projets d'Addoha sont encore dans une phase de démarrage et leur avancement nécessite justement beaucoup de cash. Encore faut-il être sûr qu' Addoha pourra immédiatement profiter des cash flow dégagé par les projets de Fadesa. «Il faut s'assurer du fait que les 1,3 milliard versés par Addoha lors du rachat lui permettent de partager tout de suite le cash flow avec Fadesa, ou si ce partage ne concernera que les projets qui démarreront à compter de la date d'acquisition des 50% de Fadesa Maroc. Seules les clauses du contrat signé entre les deux groupes peuvent répondre à cette question». Des informations impossibles à obtenir au stade actuel des choses et qu'il ne sera envisageable d'obtenir qu'en regardant de très près le business plan actualisé suite à cette opération, notamment via l'évolution des cash flow. Le rachat de 50% de Fadesa Maroc serait donc à la fois une opération financière, si Addoha profite immédiatement des cash flow, mais aussi une opération stratégique, puisque Addoha devient le market maker du résidentiel touristique marocain. Seulement, on ne peut parler d'opération stratégique pour Addoha que si elle détient la majorité au sein de Fadesa Maroc, même si elle en préside désormais le directoire. La question du contrôle et de la force de vote pour influer sur les décisions du conseil d'administration devient légitime. Car autrement, Anas Sefrioui n'aurait pas une véritable emprise sur le réseau de commercialisation. Or à l'heure actuelle, personne sur la place financière ne sait à qui revient la majorité…. Dans le communiqué de presse officiel, c'est le black out total concernant ce point précis. Interpellée par Challenge Hebdo, Addoha joue le jeu de la communication jusqu'au bout et apporte une réponse à travers le conseiller du président. «D'un commun accord avec Fadesa, nous avons procédé à la modification de la forme juridique de la société Groupe Fadesa Maroc transformée en S.A à Directoire et Conseil de Surveillance. La Présidence du Directoire sera assurée par M. Anas Sefrioui, Président du Groupe Addoha, et celle du Conseil de Surveillance par M. Fernando Martin, Président du Groupe Fadesa. D'autres membres désignés pour moitié par Addoha, et pour l'autre moitié par Fadesa, sont également membres de ces deux organes. Les droits de vote sont par conséquent détenus à parts égales par les deux groupes».