Pige publicitaire, investissements et dépenses, menaces sur la télévision classique… Houcine Boulman, Média manager de Ipsos Maroc nous décortique les tendances digitales. Challenge : Avant d'aborder ce sujet, il est important de savoir ce que représentent les chiffres de la pige publicitaire? Houcine Boulman : La pige publicitaire est une lecture de la diffusion publicitaire des marques. Chaque diffusion est monétisée au tarif brut public communiqué par la régie. La remise crée un écart entre le net dépensé par l'annonceur et la pige suite aux négociations entre ce dernier et la régie. Cette remise peut être très importante pour différentes raisons : Le montant de l'engagement de l'annonceur avec la régie. La saisonnalité et la dynamique de l'économie. L'abondance de l'offre et sa similitude. Sur le marché des médias, plus il existe une abondance de supports qui offrent aux annonceurs le même profil d'audience en quantité et en qualité, plus les prix réels de la vente sont tirés vers le bas. C'est le cas de la radio et l'affichage au Maroc. La pige présente tout de même l'avantage de dégager des tendances, de reconstituter des stratégies d'achat et de refléter les poids de chaque annonceur et/ou marque. Challenge : Quelle a été l'évolution des investissements publicitaires entre 2016 et 2017 ? Les voyants sont au rouge partout. Les pays du Golfe vivent sur le rythme de la baisse du prix du pétrole. Cette baisse contraint l'Etat, 1er investisseur dans ces pays, a ralentir la cadence économique et les médias ressentent tout de suite l'effet. Les autres pays qui affichent une évolution positive ont des économies en mode « relance» comme l'Egypte et l'Irak ou la Syrie qui est en phase de redémarrage. Pour le Maroc, malgré les 3,2% d'évolution positive, il est plus sage de dire que les investissements publicitaires dans le offline stagnent. Challenge : Au Maroc, il y a une baisse des investissements publicitaires dans la presse papier, qu'en est-il des autres pays de la région ? Il y a un point commun entre tous ces pays, c'est que la presse papier enregistre sa 3ème année de baisse des investissements, voire la 5ème pour certains. Ce trend baissier se matérialise par la disparition de certains titres de presse et l'irrégularité des autres. Les titres de presse qui sont restés réguliers font des économies de papier en sortant moins de suppléments et en diminuant leurs paginations. Cet amoindrissement de l'offre de la presse papier est combiné avec une baisse de la diffusion. A titre d'exemple, historiquement, l'Algérie et l'Egypte sont les deux pays qui ont toujours eu les lectorats les plus importants de la région. Pourtant, la diffusion des grands titres a enregistré des taux de baisse à deux chiffres d'année en année depuis 2014, voire 2012. La principale raison est que les réseaux sociaux et la presse digitale se sont imposés comme la première source d'information. 2017 a apporté une demi-bonne nouvelle. La chute des investissements publicitaires dans la presse papier est amortie du fait de la disparition de plusieurs supports et de la stabilisation de l'offre qui a peut être- un niveau plus logique avec la conjoncture actuelle. Challenge : Que pouvez-vous nous dire sur l'évolution des dépenses publicitaires au Maroc ? Les 3,2% d'évolution positive n'incluent pas le digital car nous n'avons pas d'estimations pour l'année 2016. Il est aussi plus prudent de dire que le marché stagne, car si la télé accuse une baisse comme partout ailleurs dans les pays de la région MENA, les évolutions positives de la radio et l'affichage ne représentent pas la vérité. Ces deux médias ont un environnement très concurrentiel qui tire les prix réels vers le bas. À part la baisse des I.P de la presse dont on a déjà discuté, il y a deux constats : La baisse des I.P dans la télé peut s'expliquer par le fait que le top 15 des annonceurs est de plus en plus occupé par les entreprises locales qui elles, à la différence des multinationales, investissent moins en télévision que ces dernières. Elles sont en sous-investissement média quand on compare leurs SOS à leurs PDM. le web occupe la 4ème place avec 8% de PDM. Idem dans les autres pays de la région, il oscille entre la 3ème et 4ème place et une PDM entre 5% et 16%. En brut, nous évaluons l'achat média sur le WEB à 450 millions de DH. Ce chiffre situe le Maroc à la 5ème position dans la région MENA derrière les E.A.U, l'Arabie saoudite, l'Egypte et le Koweït. Nous avons aussi travaillé avec des agences partenaires sur une reconstitution du net -je veux dire les dépenses réelles- et le marché pèserait probablement 220 millions de DH en achat d'espace uniquement. Ce gâteau profite surtout à Google et Facebook qui captent plus des 2/3 des dépenses. Challenge : Le web est le 1er média dans plusieurs pays, est-ce qu'il constitue une menace pour la télévision « classique » ? Le web ne continuera plus à vivre de partages et de contenus créés par son audience. La guerre des contenus exclusifs, que se livraient dans le passé les chaînes de télévision, a vu les géants du web y prendre aussi position pour avoir les droits des championnats de sports majeurs et d'autres productions. Netflix est précurseur et bouscule les usages en mettant à la disposition de son audience tous les épisodes d'un feuilleton sur un clic, alors qu'à la télé l'audience doit attendre leurs diffusions. Google et Facebook passent ainsi un autre cap ; ils investissent dans le contenu. Ces investissements vont impacter leurs coûts et leurs tarifs. Les tickets d'accès pour les annonceurs vont-il augmenter ou allons-nous avoir deux offres, une pour les contenus achetés et l'autre pour les contenus partagés ? De l'autre côté, pour répondre à cette mutation, les chaînes de télé « classiques » développent des offres de streaming et de VOD pour fidéliser leurs audiences.Dans cette chasse croisée, l'exercice média sera de ressortir le niveau de complémentarité et d'opposition des deux offres.