Docteur Al-Othmani ou Mister Saad ? Aimant à se présenter comme un islamiste modéré et consensuel, le nouveau chef du gouvernement marocain, Saad-Eddine Al-Othmani, offre pourtant un visage moins lisse sur son compte Twitter, @Elotmanisaad. A ce jour, la bannière le montre en compagnie du roi Mohammed VI, mais la courte biographie n'est pas à jour. Elle annonce, dans un mélange d'arabe et de français : « Président du conseil national du Parti de la justice et du développement, spécialiste des principes de la jurisprudence islamique, médecin psychiatre, ex-ministre marocain des affaires étrangères, le compte est géré par une équipe et mes tweets sont signés S.O. » «Il est certainement l'homme politique marocain qui tweete le plus », vante son directeur de cabinet, Yahya Chautta. Le 11 avril, son compte affichait quelque 15 500 tweets et 33 300 abonnés. Il est aussi le premier chef du gouvernement marocain sur Twitter. Depuis la mi-mars, son compte ne fait que recenser des événements liés à la formation de la majorité ou des photos des visiteurs qui se succèdent dans sa villa de Hay Essalam, à Salé. Il faut chercher plus loin dans sa « timeline » pour trouver des messages qui tendent un miroir un peu moins reluisant que l'image de modéré que M. Al-Othmani se construit depuis des décennies. Ainsi, le 14 janvier 2015, une semaine après l'attentat à Paris contre le journal Charlie Hebdo, l'ex-ministre des affaires étrangères se fend de ce tweet (traduction) : « Les réseaux sociaux s'enflamment en soutien avec l'humoriste français Dieudonné. Où sont les défenseurs de la liberté de la presse ?? #JeSuisDieudonne. » Toujours pas effacé plus de deux ans après, ce tweet en dit long sur le personnage. Pour rappel, ce jour-là, Dieudonné était arrêté et placé en garde à vue, après avoir publié sur son compte Facebook des propos polémiques (« Je suis Charlie Coulibaly »). Dans le monde arabe et musulman, la vague de solidarité avec Charlie Hebdo était alors largement incomprise voire rejetée. Face à ses fans, M. Al-Othmani ne prenait donc pas de risques avec ce hashtag provocant : #JeSuisDieudonne. Son successeur à la tête de la diplomatie chérifienne, le libéral Salaheddine Mezouar, s'était d'ailleurs retiré de la marche républicaine du 11 janvier, à Paris, sur fond de tensions entre Paris et Rabat. Qui appuie sur le bouton ? Yahya Chautta dit ne pas se souvenir précisément de ce tweet « pas très important » et botte en touche : « Le docteur Al-Othmani est un intellectuel qui exprime ses idées et il accepte tout débat courtois. » Le choix de Twitter, un réseau social encore élitiste au Maroc, lui « permet d'échanger avec les intellectuels, les politiques au Maroc et à l'étranger », ajoute M. Chautta. M. Chautta, docteur en sociolinguistique de 28 ans, gère notamment les comptes Twitter et Facebook de M. Al-Othmani. Il a rejoint l'ex-ministre des affaires étrangères quand ce dernier a quitté le gouvernement, en octobre 2013. Retourné à son cabinet de psychiatrie dans le centre-ville de Rabat, M. Al-Othmani avait alors besoin d'un collaborateur qui partageait son goût pour la politique, les affaires internationales, le Sahara occidental et les sujets de l'« Oumma » (communauté des musulmans) : Palestine, Syrie, Yémen. Presque tous les tweets publiés par le compte @Elotmanisaad peuvent se ranger dans l'une de ces catégories, sans que l'on sache précisément qui appuie sur le bouton. Comme ce 4 avril 2014 : « Ce vendredi est décédé le penseur islamique Mohammed Qotb, frère du martyr Sayid Qotb. » Le choix du terme « martyr » accolé à Sayid Qotb peut choquer quand on pense que cet idéologue islamiste est le père du djihadisme. Mais ce genre de messages, publié en arabe, sert à conforter les militants et à réaffirmer une fidélité aux canons islamistes. Sur le profil de M. Al-Othmani, il est bien précisé que les tweets personnels du nouveau chef du gouvernement sont signés « S.O. », mais il n'est pas précisé depuis quand. De fait, M. Chautta assure que son patron gazouille lui-même directement depuis son smartphone. Sur les réseaux sociaux, la présence du Parti de la justice et du développement (PJD) s'est renforcée depuis 2011. Le parti islamiste s'est doté d'un service de la communication dirigé par son secrétaire général adjoint, Slimane Al-Amrani. Il s'appuie sur une équipe de geeks, issus pour la plupart de la jeunesse du PJD. Ils éditent un site web, pjd.ma, et une page Facebook qui dépasse 1,3 million de « likes ». L'équipe gère aussi la page Facebook d'Abdelilah Benkirane, secrétaire général du parti depuis 2008 et prédécesseur de M. Al-Othmani à la tête du gouvernement. Peu présent sur Twitter, M. Benkirane préfère parler à ce qu'il nomme « le peuple de Facebook ».