Malgré la qualité de la production littéraire, le marché du livre marocain est en berne. En cause, l'absence d'une véritable politique d'incitation à la lecture. Le Maroc à l'honneur au Salon Livre Paris, Abdelkader Retnani en rêvait depuis des années. À la tête des éditions La croisée des chemins, installées à Casablanca, le président de l'Union professionnelle des éditeurs marocains est l'un des artisans de cet événement. « Après avoir essuyé le refus de deux ministres de la culture, qui estimaient l'investissement financier trop important, j'ai enfin obtenu l'accord du ministre actuel, Mohamed Amine Sbihi », se félicite-t-il. Abdelkader Retnani œuvre depuis des décennies au rayonnement des lettres marocaines. On lui doit, entre autres, la mise en place d'une rentrée littéraire, dont la deuxième édition a eu lieu en novembre, à Marrakech. « Le Maroc a un potentiel énorme, s'enthousiasme cet homme de 71 ans, qui espère que le Salon du livre de Paris, le plus important de France, concourra à faire du pays un acteur incontournable sur la scène littéraire mondiale. La participation du Maroc à Livre Paris témoigne d'une volonté des pouvoirs publics marocains de s'investir davantage dans la promotion du livre. « Depuis quelques années, le ministère de la culture a augmenté l'enveloppe allouée au soutien de ce secteur : aides à l'édition de livres et de revues, aides à la participation aux salons internationaux, aux initiatives de promotion de la lecture et à la rénovation de librairies…, souligne la journaliste Kenza Sefrioui, auteur d'une solide enquête sur le livre au Maroc, Le Livre à l'épreuve. Les failles de la chaîne au Maroc (Editions En toutes lettres). Elle estime néanmoins que les moyens sont encore insuffisants, et les éditeurs, peu soutenus. « Les faiblesses structurelles du marché rendent très difficile le retour sur investissement, assure-t-elle, familière de ces préoccupations pour avoir elle-même cofondé sa maison d'édition en 2012. La diffusion étant souvent aléatoire, l'accès au livre incertain en raison du faible nombre de librairies et bibliothèques, « il est indispensable d'organiser de nombreuses rencontres pour aller au-devant des lecteurs et faire vivre les livres que nous publions ». La rareté du lectorat est à la fois la cause et la conséquence de la panne du marché du livre. Selon une enquête publiée en novembre par l'association de promotion culturelle Racines, 64,3 % de la population n'avaient acheté aucun livre en un an. « Il n'y a pas vraiment de culture de la lecture chez nous, et malheureusement, les enseignants, qui eux-mêmes lisent peu, n'en favorisent pas le développement, regrette Layla Chaouni, fondatrice des éditions Le Fennec. Alors que sa maison fête son trentième anniversaire, les acheteurs se dispersent. Ainsi les ouvrages de sa collection poche, proposés à des prix accessibles (entre 20 et 30 dirhams, soit autour de deux euros), ont vu leur tirage tomber de 10 000 à 5 000 exemplaires. Quant aux auteurs, soucieux d'être lus, ils décident de plus en plus souvent de se tourner vers des éditeurs étrangers, afin de bénéficier d'une diffusion et d'une médiatisation plus larges. « Ils tentent leur chance auprès de pays qui, au fil du temps, se sont constitués en pôles éditoriaux : Beyrouth et Le Caire pour les arabophones, Paris pour les francophones, explique Kenza Sefrioui.Leurs livres sont ensuite commercialisés au Maroc à des prix prohibitifs, ce qui entrave le dialogue entre les Marocains et leurs écrivains. » Pour sortir de ce cercle vicieux, éditeurs, libraires et auteurs marocains plaident donc pour le lancement d'un programme d'incitation à la lecture, en particulier auprès des jeunes. Il n'en va pas seulement du moral des professionnels du secteur, mais de l'avenir du pays, selon l'écrivain Mohamed Nedali. Car il en est convaincu, « la culture, et en particulier la littérature, est le seul antidote aux radicalismes, qu'ils soient politiques ou religieux ».