Après la publication d'un très beau livre « La revue souffles(1966-1973),Espoir de révolution culturelle au Maroc », préfacé par Abdellatif Laâbi ,lequel livre interroge un pan majeur de notre histoire, Kenza sefrioui journaliste culturel , critique littéraire, et éditrice aussi ,vient de publier et présenter à la librairie Kalila waDimna, son nouveau livre ,où elle nous livre à cœur ouvert l'état des lieux de la lecture et des bibliothèques au Maroc . L'ouvrage « le livre à l'épreuve, les failles de la chaîne au Maroc »édition En toutes lettres, fait partie de la collection « Enquête », dirigée de main de maître par le journaliste et écrivain Hicham HoudaÏfa, qui s'est imposé le défi de dédier cette collection au journalisme d'investigation qui fait cruellement défaut au Maroc. Ainsi, les ouvrages publiés sont-ils la résultante de travail laborieux sur le terrain, de reportages, d' enquêtes et d' interviews visant à rendre audibles des voix qui peinent à se faire entendre et à se frayer une voie . Devant un auditoire très peu nombreux malgré l'importance du thème développé, censé interpeller tous ceux qui ont à cœur le devenir de la culture au Maroc, kenza Sefrioui nous a fait une sorte de lecture apéritive de son ouvrage avec la complicité de la directrice de la librairie Mme souad Ballafrej. L'auteure remarque d'abord que le livre qu'elle considère comme le vecteur principal de l'épanouissement intellectuel de l'individu reste hors de la portée du citoyen pour moult raisons : l'absence d'un marché du livre et d'un circuit de lecture publique. Aussi, la chaîne du livre demeure-t-elle incomplète faute de diffuseurs, chargés du lancement des œuvres. Les librairies professionnelles, dotées de personnel qualifié et de site internet, sont rarissimes.la plupart d'entre elles ne vivent pas de littérature générale mais de manuels et fournitures scolaires, de papèterie, photocopie et tabac. Kenza signale aussi la faible production du livre au Maroc(1300 titres par an) en comparaison avec la France(60000) et surtout la rareté des bibliothèques et médiathèques au nombre désolant de 297 dans un pays qui compte 1503 communes et 50000 mosquées. Si les librairies et bibliothèques sont rares dans les villes, elles sont inexistantes dans les campagnes. A cet égard, l'auteure salue l'initiative de Moubarik Chentoufi, fondateur de l'association locale pour la coopération et le développement social de la commune de Bouhouda dans la région de Taounat, qui a déployé des efforts méritoires pour la création d'une bibliothèque et la mise en place d'un programme d'alphabétisation, de soutien scolaire et de manifestations culturelles, étant convaincu que l'ignorance est la mère de tous les vices. Kenza soulève aussi le problème de la censure qui entrave la promotion du livre. Elle cite l'exemple éloquent de l'ouvrage posthume du regretté Mohamed Leftah , couronné du prix de la Mamounia en 2011, sans qu'il soit disponible en librairie. D'autres ouvrages ont été frappés de censure comme « Le jour du roi »de Abdellah Taïa (Seuil2011) et « Soumission » de Michel Houellebecq (Flammarion2015),alors qu'on avait permis la vente d'ouvrages aussi sulfureux que « Mein Kampf » d'Adolf Hitler qui expose, dans un style haineux ,l'idéologie totalitariste du nazisme avec ses composantes hégémoniques belliqueuses, racistes et ouvertement antisémites. Kenza évoque aussi le phénomène inquiétant des livres piratés, de très mauvaise facture, en particulier à Rabat où ils sont vendus en toute impunité, à des prix très bas, à un jet de pierre de la librairie Kalila wa dimna ,par des vendeurs ambulants « Farachats » et même par les kiosques. Ce phénomène n'est que le corollaire du manque de professionnalisme du secteur du livre. En dépit de l'émergence des maisons d'édition au Maroc, la production d'ouvrages demeure très faible (moins de 10 titres par an tirés à 1000 ou 2000 exemplaires, à l'exception du best-seller d'Ahmed Marzouki, édition Tarek 2OO1,tiré à plus de 85000 exemplaires). Les éditeurs marocains ne disposent pas d'un attaché de presse, si bien qu'ils sont incapables d'assurer une bonne diffusion du livre. Aussi, certains auteurs marocains talentueux préfèrent-ils publier en France, qui est dotée d'une véritable chaîne du livre avec des distributeurs, des librairies de qualité et une médiatisation, qui contribue à la promotion du livre. Rien d'étonnant donc que Tahar Benjelloun ait vendu des millions d'exemplaires de ses deux romans « L'enfant de sable » et « la nuit sacrée ». D'autres auteurs se trouvent contraints de publier à compte d'auteurs, au mépris parfois des normes internationales telles que la procédure de dépôt légal et l'inscription au catalogue de la bibliothèque nationale. Ces publications qui peinent souvent à dépasser le cercle des amis et des étudiants de l'auteur, n'auront aucune vie médiatique et commerciale. Ainsi, ce livre de Kenza constitue-t-il une référence incontournable pour connaître l'état des lieux de la culture au Maroc. Le lecteur y découvrira les résultats d'une série d'enquêtes effectués par deux documentalistes de la Fondation du roi Abdelaziz Al Saoud, qui ont entrepris un voyage studieux de deux semaines en parcourant 3600 kilomètres, à travers le royaume, à la recherche des livres non-catalogués par la BNRM. Il lira des témoignages édifiants de certains écrivains majeurs sur la culture au Maroc tels que Abdellatif Laâbi, Tahar Benjelloun, Mohamed Nedali , Abdellah TaÏa , Driss Jaydane qui militent pour un véritable déploiement de la culture au Maroc.les bibliophiles y dénicheront aussi le bouquiniste de Rabat-Hassan ou pour reprendre son expression « bouquinissaire » Abdellah El Ghouari ,qui œuvre pour la pérennité de cette profession. Il est le seul bouquiniste à utiliser l'internet , en se faisant assister de Dame Providence et Monsieur Hasard(sic). Cette soirée, animée avec une grande maestria par Kenza Séfrioui ,a été agrémentée par les interventions du Président de l'association locale pour le développement social de Bouhouda Moubarik Chentoufi, qui a fait le bilan des activités culturelles visant à sortir ce petit patelin du marasme .Seul bémol cependant de cette rencontre, c'est l'absence des écrivains dont Kenza(critique littéraire racée) a présenté les ouvrages et qui se plaignent hélas du manque flagrant des critiques littéraires dans notre paysage culturel. Signalons néanmoins la présence discrète de deux écrivains Houcine Faraj et Souad Jamaï qui a plus d'une corde à son arc ;elle est cardiologue ,artiste, élue communale, membre de la commission culturelle de Rabat et animatrice d'un club de lecture dans un lycée public à Rabat, et à ce titre elle va bientôt animer une rencontre avec l'écrivain talentueux Driss Ksikess, autour de son dernier roman « Au détroit d'Averroès ».Voilà un très bel exemple à suivre pour promouvoir le livre au Maroc.