Trilemme : « Choix à effectuer entre trois possibilités contradictoires ». Telle est la situation à laquelle est confronté le chef désigné de l'exécutif marocain, l'islamiste Abdelilah Benkirane, qui vient de franchir la barre des 120 jours sans avoir réussi à composer une majorité de gouvernement. Arrivé en tête des élections législatives du 7 Octobre dernier, le parti de la Justice et du Développement (PJD), dirigé par Benkirane, aurait du, en toute logique, trouver les « voies et moyens » qui lui auraient permis de diriger à nouveau le gouvernement pendant cinq ans. Sauf que la « machine à fabriquer du consensus », dont on croyait le patron du PJD l'un des artisans les plus habiles et l'une des marques de fabrique du Maroc, s'est brisée sur le double écueil des ambitions individuelles et la formidable capacité de résistance des technostructures partisanes, avec à leur tête un nouvel homme fort, le milliardaire Aziz Akhannouch, patron du Rassemblement National des Indépendants (RNI). Dans ce contexte, quelles sont les options qui restent à Abdelilah Benkirane ? Au nombre de trois, aucune d'entre elles n'est satisfaisante, plaçant de facto celui qui était jusqu'alors loué comme un formidable manoeuvrier dans une position de faiblesse structurelle. En effet, même s'il arrivait à trouver une majorité pour le soutenir, la mandature à venir du chef du gouvernement serait marquée du sceau de la fragilité, l'épée de Damoclès d'une dislocation de son alliance lui pesant en permanence au dessus de la tête. Première option : tout céder (mais conserver son fauteuil) Après avoir donné son assentiment à l'entrée de l'Union Constitutionnelle (UC) dans la coalition menée par le patron du RNI, il ne resterait plus que la pierre d'achoppement que constitue l'Union Socialiste des Forces Populaires (USFP). Ce dernier, bien qu'ultra minoritaire au parlement avec seulement 20 sièges, vient d'en ravir la présidence à la faveur d'un de ces arrangements « exotiques » dont seul le Maroc a le secret. Si Benkirane, au terme d'un ultime renoncement, venait à accepter l'entrée de l'USFP dans sa majorité, il sanctuariserait Aziz Akhannouch dans une position de co-gestionnaire de l'exécutif, sorte de vice-chef de gouvernement avec lequel il aurait à composer en permanence et pour toute décision à prendre. Or, s'il venait à céder, Benkirane accréditerait la thèse selon laquelle les islamistes poursuivent, in fine, un agenda caché qui consiste à rester coûte que coûte au pouvoir afin de pouvoir poursuivre la politique d'essaimage de leurs cadres au sein de l'administration marocaine. Dans ce cas de figure, il donnerait raison à ceux qui souhaitent poursuivre une politique agressive de « containment » des islamistes marocains, en affirmant que le visage qu'ils affichent n'est pas vraiment le leur. Seconde option : ne rien lâcher (et jouer le pourrissement) Bien qu'exprimée mezzo voce jusque là, la pression pour la formation d'un gouvernement pourrait se faire beaucoup plus insistante dans les semaines à venir, au terme de la tournée africaine du roi Mohammed VI qui fait suite au retour du royaume dans l'Union Africaine. Dès lors, toute volonté d' Abdelilah Benkirane de faire montre d'intransigeance quant à la composition de la majorité sera interprétée comme une tentative de jouer le « pourrissement » en poussant ses alliés potentiels dans leurs ultimes retranchements. Dans ce contexte, le chef du gouvernement marocain n'est pas à l'abri d'une intervention du palais pour siffler la fin de la récréation. Au final, même si la tentation peut être grande, Benkirane n'a surtout pas intérêt à jouer la montre et doit se montrer proactif en repartant à l'assaut de ses partenaires en puissance, quitte à perdre partiellement la face. Troisième option : renverser la table (et risquer de se la prendre sur la figure) Maintes fois évoquée, la démission d'Abdelilah Benkirane, si elle intervenait dans les jours qui viennent, arriverait beaucoup trop tard. Surtout, si elle ouvrait la voie à de nouvelles élections du fait du refus du PJD de voir un autre de ses leaders prendre la tête de l'exécutif, elle le placerait dans une position de « pompier pyromane ». Il serait alors désigné -notamment par les élites économiques et politiques du pays- comme le responsable principal d'une fissuration du pacte national marocain qui a émergé suite au « printemps arabe ». En effet, l'accord implicite – et intégré par tous- issu de la refonte de la constitution de 2011 reposait sur un axe fondamental : celui de du changement incrémental perpétuel afin de ne pas bousculer les équilibres subtils qui composent la scène politique marocaine, notamment entre le Palais et le champ partisan . En voulant repartir aux urnes, le PJD signifierait son envie d'en découdre et confirmerait la tentation hégémonique qui lui est prêtée par ses adversaires. A vouloir imposer le rapport de force, le chef du PJD se mettrait lui même en marge du champs des possibles et réintroduirait de la brutalité dans un champ politique marocain qui peine encore à se construire.